2 réactions à l'article d'Olivier Mouton "Les médias pro et anti-Chavez: un mur de Berlin à Caracas" de LA LIBRE BELGIQUE ", 26.12.02.

"On parle de toi dans le journal". Cette phrase résonne encore dans ma tête depuis qu'un ami m'a téléphoné pour m'informer que mon nom apparaissait dans La Libre Belgique du 23 décembre.

Après lecture de l'article, je ne peux que ressentir de l'amertume et beaucoup de déception. L' "éclairage"(1) (?) d'Olivier Mouton est un exemple type de désinformation ; phénomène de plus en plus fréquent.

L'analyse journalistique d'Olivier Mouton, en ce qui concerne le Venezuela, a toujours été assez caricaturale et c'est aussi pour cette raison que je l'ai contacté afin d'y apporter mon point de vue (2). L'entretien s'est réalisé dans une atmosphère conviviale où tour à tour mon collègue et moi-même avons répondu aux interrogations du journaliste (sur la politique de Chavez, le rôle des médias commerciaux dans le putsch du 11 avril ainsi que leur manque d'éthique, l'émergence des médias communautaires,…).

Que reste-t-il de cette heure passée à discuter où sans cesse Olivier Mouton jouait à l'" avocat du diable" (pour reprendre ses termes) dès qu'on évoquait les avancées de la politique de Chavez? Parce que s'il a senti de notre part une certaine sympathie pour le président vénézuélien, j'ai personnellement ressenti chez lui une profonde méfiance pour ne pas dire de l'antipathie à l'encontre du personnage.

Ainsi, O. Mouton dénonce bel et bien la cabale médiatique dont est victime Chavez mais pour "adoucir" son propos, il lui oppose, d'une part, une émission qu'il qualifie de démagogue (alors qu'il ne l'a jamais vue et sans donner d'arguments) et, d'autre part, les médias communautaires, créés (selon lui) à l'instigation du président Chavez afin de tisser une toile (3). Cette dernière information étant complètement fausse, les médias communautaires sont nés (et naissent encore) grâce au regroupement de citoyens.

Désinformation, manipulation ou simple bourde journalistique ? Je crois simplement qu'Olivier Mouton est un consensuel mou qui manque cruellement de déontologie. En dénonçant la manipulation des médias commerciaux, il induit également que la manipulation existe dans l'autre camp, une belle mise en abîme en sorte…

Lors de l'entretien, O. Mouton a regretté que Chavez soit, en Belgique, principalement soutenu par des extrémistes de gauche (souvent très mécontents de ses articles), ce qui, selon moi, devait le conforter dans l'idée que Chavez était effectivement ce populiste, néo-castriste. Ne pouvant nous qualifier de Trotskistes, O. Mouton a jugé nécessaire de mentionner que nous travaillons au groupe des verts du Parlement européen et même de nous désigner comme " Ecolos ". Sans doute a-t-il oublié que nous avions souhaité ne pas être présentés ainsi étant donné que notre projet de documentaire était personnel et donc n'avait rien à avoir avec notre travail. Qui plus est, nous avons répété à maintes reprises que nous n'étions d'aucun parti.

J'aimerais beaucoup donner à Olivier Mouton le bénéfice du doute mais après réflexion je crois que cet article démontre clairement à quoi en est réduit le journalisme à l'heure actuelle. Comme il nous l'a dit, Olivier Mouton travaille pour un journal d'information et non d'opinion, ce qui, pour lui, signifie que La Libre Belgique n'est pas Le Monde Diplomatique.

Comment analyser le traitement journalistique d'Olivier Mouton ?

  • O. Mouton a écrit, pendant 6 ans, pour la rubrique politique intérieure à la LLB et a demandé à être muté à la section Amérique latine. Quelle connaissance a-t-il des dossiers ? Sur quels critères lui a-t-on accordé ce changement ? Nous sommes en droit de nous poser la question.

  • O. Mouton ne connaît pas le Venezuela, ce qui pose la question du traitement de l'information à distance. Il me semble difficile de rendre compte d'une réalité qu'on ne vit pas, néanmoins je crois aussi que l'on peut donner une image plus ou moins fidèle en confrontant les points de vue, en s'informant via différentes sources.

  • O. Mouton comprend très bien l'enjeu stratégique du Venezuela pour les Etats-Unis mais ne peut faire de l'anti-américanisme primaire (sic). Doit-on parler de censure, d'autocensure ou de conformisme ?

  • O. Mouton n'aime pas être critiqué par des " extrémistes de gauche " et préfère manipuler de soi-disant Ecolos. Par ailleurs, il ne qualifie jamais les opposants de Chavez de bourgeois de droite, élitistes et racistes, mais ses sympathisants ont évidemment " le cœur qui bat à gauche ". Le problème du clivage gauche-droite dans le traitement de l'information en est ici une claire démonstration.

  • Chavez est souvent présenté dans les médias comme un populiste, autoritaire, il en viendrait mal à O. Mouton d'aller à contre courant de l'opinion générale.

  • Mouton veut tendre vers l'objectivité en faisant parler les deux camps mais son traitement de l'information n'est pas équitable. En accordant plus de place au conflit, à la crise et au chaos, il enfonce le clou et va dans le jeu des opposants. Une fois de plus, on ne peut que regretter l'emprise du sensationnel dans l'actualité.

Si le point de vue d'O. Mouton sur le Venezuela est le seul que peut nous offrir LLB, j'invite alors tous ses lecteurs à s'informer par d'autres canaux. Face à ce phénomène de désinformation générale et de médiatiquement correct, il est temps que les journalistes fassent leur autocritique, que les médias se soumettent à la critique du public et que celui-ci mette en place des voies alternatives d'information.

O. Mouton a présenté les médias communautaires comme un outil politique chaviste alors qu'ils sont la voix des citoyens, qui nous donnent une leçon de démocratie participative. Ces médias sont la seule source d'information indépendante dont bénéficie le Venezuela face aux monstres commerciaux qui polluent nos écrans et participent à notre désinformation. Alors qu' ils sont l'alternative, ils sont ridiculisés par le "journaliste".

Ma première expérience d'interview m'a laissé un goût amer et ma méfiance envers les journalistes s'en est accrue. Et pourtant, je savais que je risquais gros en m'approchant des nouveaux chiens de garde (4) …

Sarah Fautré
Bruxelles, le 2 janvier 2003

Notes:

(1) C'est ainsi que l'article a été dénommé.
(2) Ainsi que celle de mon collègue avec qui je suis partie pendant trois semaines au Venezuela pour un repérage en vue de la réalisation d'un documentaire sur le pouvoir des médias.
(3) L'emploi de ce terme n'est pas dénué de sens…
(4) Titre du livre de Serge Halimi dans lequel il démontre qu'en France, nous n'avons plus affaire à un contre pouvoir mais à un journalisme de révérence, chapeauté par des groupes financiers et industriels. Halimi est journaliste au Monde Diplomatique.


Bonjour Monsieur Mouton,

Je vous écris suite à votre article «Les médias pro et anti Chavez: un mur de Berlin à Caracas», pour vous apporter quelques précisions quant aux télévisions communautaires.

J'ai passé 5 mois dans l'une d'elle à Maracay.

Tout d'abord, les télévisions communautaires n'ont pas été mises en place par le président Chavez, mais sont bien le fruit du travail de groupes d'habitants. Pour le moment il existe au Venezuela 4 télévisions communautaires, qui proviennent de projets existant avant l'arrivée de Mr Chavez à la présidence de la république.

Teletambores (Maracay) est née au sein de l'école populaire de cinéma qui existe depuis plus de 8 ans, Catia TVE (Caracas) est née au sein d'un ciné club qui diffuse et produit des reportages depuis 1989, TV Rubio (dans un village des Andes) existe comme télévision culturelle et communautaire depuis 1994, et la quatrième «télévision» communautaire , Canal Z, produit des reportages à Maracaibo, mais ne peut les diffuser par voie hertziennes, car toutes les fréquences de la région appartiennent aux médias privés.

La Constitution bolivarienne du Venezuela, a permis un espace pour ce type de média. Mais rien n'existait pour réguler ces télévisions et radios communautaires. Un règlement a donc été mis en place et négocié entre les acteurs des médias communautaires (qui jusque-là transmettaient de façon pirate) et la CONATEL (Commission nationale des télécommunications). Cela a été fait dans un souci de respecter la démocratie participative, et après plusieurs mois de négociations (pas toujours très faciles) un règlement dont 80% a été proposé par les médias communautaires a été accepté par le gouvernement, le 3 novembre 2001.

Vous pouvez consulter ce règlement sur le site :
http://www.conatel.gov.ve/ns/index.htm

Lorsque vous dites que c'est l'Etat qui subventionne les TV communautaires, vous avez raison, mais là n'est pas la principale ressource (de plus, les demandes de subventions se font comme en Belgique. Vous savez bien que certaines télévisions et certains journaux reçoivent d'énormes subventions - européennes, de l'Etat, ou locales - dans notre pays et ce n'est pas pour cela que se sont des rouages efficaces au service du projet politique belge!).

En effet, ce type de projet favorise l'autogestion. C'est pour cela qu'il est autorisé 5 minutes de publicités à destination des petites ou micros entreprises qui travaillent dans la zone de diffusion. Beaucoup de personnes s'impliquant dans ce type de projet mettent aussi la main à la poche. Par exemples, les cassettes servant aux reportages sont achetées par les équipes de production indépendantes (donc les habitants des quartiers) ainsi que pour certaines leur caméras. Comment font-elles ? En trouvant des parrainages, en organisant des tombolas, en organisant des repas de soutiens, en vendant des tartes, etc.bref en s'organisant.

Pour ce qui est des subventions de l'Etat, elles ne sont vraiment pas énormes, de plus pour les avoirs cela fonctionne comme en Belgique (mais c'est «un peu» plus lent). Il faut introduire un dossier auprès du ministère de la culture, qui l'accepte ou ne l'accepte pas. Si le dossier a été accepté, il faut encore attendre au moins 8 mois avant de recevoir la première moitié de la subvention (qui soit dit en passant n'est vraiment pas énorme, comparé, par exemple aux subvention que reçoivent certaines TV commerciales en Belgique ou aux moyens dont disposent les médias privés au Venezuela. Je ne pense pas que la subvention de Teletambores reçue pour une année pourrait couvrir les frais de production d'un seul JT d'une TV commerciale vénézuélienne !).

Pour participer à ce type de média, je peux vous affirmer que ces télévisions sont bien indépendantes et que tout le monde a le droit de s'y exprimer (qu'il soit pour ou contre la politique gouvernementale, ce qui n'est pas le cas dans d'autres types de médias locaux !). De plus, tout types de programmes ont droit de citer, il y a aussi bien des débats, que des reportages culturels, des reportages sur la santé, de l'humour, etc. Si
ces médias existent, c'est bien grâce à la volonté de citoyens qui ont compris qu'ils pouvaient donner leur point de vue en participant directement à la production et à la diffusion de l'information (qu'elle soit télévisée, radiophonique, ou écrite).

En espérant que cet éclaircissement vous aura permis d'en savoir un peu plus sur les médias communautaires au Venezuela, je suis à votre disposition si vous avez des questions,

Merci de m'avoir lu,
Bonnes fêtes de fin d'année,
Pierre-Alain Vandewalle


LETTRES à LA PRESSE:
http://www.collectifs.net/risbal/agir/lettre.htm