Lettre ouverte à Olivier Deleuze Cher Olivier, Je me permets de te tutoyer, en souvenir de ces quelques jours que nous avons passés ensemble il y a maintenant une bonne quinzaine d'années. Tu te souviens, nous étions partis en Afghanistan, où je devais couvrir la distribution d'une aide urgente pour le compte du Comité Afghanistan Belgique. Toi, à l'époque député européen, tu m'accompagnais pour donner plus d'impact à mon voyage, pour témoigner à ton retour de ce que tu aurais vu sur le terrain. Sur le terrain, tu n'es pas resté bien longtemps : après quelques kilomètres parcourus à pied dans la vallée du Kunar, en compagnie d'un groupe de moudjahidins du FUNA, des hélicoptères soviétiques sont passés en rase-mottes au-dessus de nos têtes, nous avons dû sauter dans un fossé pour nous cacher et tu as alors décidé de quitter l'expédition. « J'ai fait part de ma décision au chef du groupe », expliquais-tu. « Leur perception du danger est différente de ma perception à moi, européen, qui ne suis jamais réellement mis en situation de danger de mort. Il y avait une incompréhension entre deux cultures sur la perception et le prix qu’on donne à la vie. » Tu jugeais que tu étais trop jeune pour mourir, ta fonction de député européen était encore pleine de promesses. Tu pensais faire un parcours-santé, tu ignorais que la guerre était partout présente en Afghanistan. « Je n'ai pas essayé de convaincre Annelise de rebrousser chemin avec moi », ajoutais-tu. Bien entendu, tu n'aurais pas pu me convaincre. Pas avec tes arguments. C'est que nous avions une « perception » différente. J'avais fait un autre choix que toi. J'avais choisi le côté du peuple afghan. Ce 10 juin, je t'entends dire, sur les ondes de Alter Echo : « Je n'ai aucune espèce de scrupule de dire que si ces gens-là (les terroristes antidémocrates moyenâgeux afghans), il faut les contenir par des frappes, je n'ai pas de problème avec ça…. Je pense qu'il n'y a pas 36 manières de contenir des gens moyenâgeux, non-démocratiques et violents. Ce n'est pas en faisant de la prévention et de la formation… » Tu vois où ça te mène, Olivier, ton « autre choix », soutenu par quelques années de participation au gouvernement ? C'est vraiment immonde, Olivier! « Moyenâgeux », dis-tu? Tu te souviens pourtant, Olivier, de ces gens si raffinés, de cet accueil si chaleureux, dans ce village en ruine, dévasté par les bombes, où le contact avait été « parfait », de ces visages d'enfants terrifiés, de ces garçons estropiés par les mines anti-personnelles, de ces réfugiés « qui marchaient depuis 20 jours et se nourrissaient de feuilles d’arbre car ils n’avaient plus rien à manger »1 ?… Mais il est vrai que tu as une « autre perception »… Les bombes d’alors étaient larguées par les Soviétiques et les Afghans étaient alors de pauvres victimes. Les frappes d’aujourd’hui sont américaines et donc méritées… Tu n'as « pas de problème avec ‘ça’ » ?!?… Ce doit être une question de « perception » : les Afghans, eux, ont des problèmes avec ‘ça’ : ce peuple à genou suite à plus de vingt années de guerre a reçu sur la tête les bombes thermobariques et autres daisy cutter, le matériel militaire le plus perfectionné dont tu voudrais que s’équipe l’armée européenne. Pourtant, tu as eu aussi des problèmes face à la violence des armes, lorsque tu as rebroussé chemin. Mais bien sûr, dis-tu, il y a cette « incompréhension entre deux cultures sur la perception et le prix qu’on donne à la vie »… « Non démocratique et violent »?!? Là vraiment, tu dépasses les bornes. Voilà donc où te mènent quelques années de participation à ce gouvernement et à cette Europe antisociale, non-démocratique et belliqueuse : « Si les frappes sont américaines, dis-tu, c'est parce que l'Europe n'a pas une capacité de défense, une capacité militaire suffisante. Moi je suis pour que l'Europe ait une capacité militaire bien plus grande qu'elle a aujourd'hui, parce que je crois que ça amènera la paix, davantage qu'aujourd'hui, et je pense aussi que ça réduira l'influence américaine davantage qu'aujourd'hui. »2 Toi et les tiens, pacifistes des années 70, vous êtes passés du côté des va-t-en-guerre sans scrupule. Et tu oses accuser ces malheureux afghans d'être « non-démocratiques et violents » ? Ce sont ceux qui osent anéantir un pays déjà ruiné, un des pays les plus pauvres du monde, qui sont, à mes yeux, les moyenâgeux, les non-démocratiques et les violents. Question de « perception ». Honte à toi, Olivier… J'espère que ta « perception » te procure des nuits blanches et que tu as ainsi le temps de rêver de ce pays de conte oriental en ruines et en haillons que tu connais si mal pour l'avoir fui trop vite. Heureusement pour les Afghans et le reste du monde opprimé, il y a des gens qui ont choisi leur camp, qui ressentent le monde avec la « perception » des opprimés et qui n'ont rien à faire d'une carrière, que ce soit au sein de cette Europe guerrière ou de ce gouvernement antisocial. Quand je t'entends, je suis fière d'être de leur côté. Annelise Arcq, ex-Comité Afghanistan