Bruxelles, athénée Marcel Tricot : un enseignant pris à parti par des élèves à cause des consommances juives de son patronyme. Anvers, Borgehout : un autre jeune professeur, de religion islamique celui-là, abattu par un vieux Belge dans une crise de délirium raciste. Anvers, toujours : des brigades qui, sous le couvert de surveiller la police, font de l’agit-prop dans les quartiers à haute densité immigrée. Bruxelles, toujours : des étudiants juifs de l’ULB menacés de mort parce qu’ils ont le mauvais goût de placarder des affiches en faveur d’Israël… Devant une telle accumulation d’intolérance, de bêtise et de haine, comment ne pas réagir ? Mais comment réagir aussi ? Comment ne pas faire le jeu de ceux pour qui, déjà, la simple évocation d’un problème est en soi le début d’une victoire ? Le Mrax s’inquiète… Le Mrax s’inquiète de l’importation croissante des conflits au Moyen-Orient dans la vie de ce pays, et, bien en deçà de l’analyse raisonnée qui s’impose, de son exploitation systématiquement manichéenne à des fins politico-religieuses et/ou simplement identitaires. Le Mrax s’inquiète aussi, évidemment, du grand retour du bouc émissaire dans le discours de certains, de la banalisation d’injures à caractère antisémite, et des drames qui, un jour ou l’autre, ne manqueront pas d’en sortir, quand les actes des plus impulsifs auront rattrapé leurs paroles… Le Mrax s’inquiète aussi, évidemment, des amalgames et de la stigmatisation sournoise dont sont, régulièrement, victimes les jeunes issus de l’immigration arabo-musulmane, et les Musulmans en général. Et rappelle que les discriminations qui touchent ces populations au quotidien, en matière notamment d’accès à l’enseignement, à l’emploi, au logement, ne sont certes pas un facteur d’intégration des plus productifs… Le Mrax s’inquiète du sentiment de frustration qui croît au sein de ces populations, ainsi que de la tentation du repli communautaire qui en est la conséquence, et sur laquelle les fanatiques et les intégristes de tout poil ont beau jeu de surfer… Le Mrax s’inquiète du poids que peut prendre dans la vie politique belge une soi-disant Ligue arabe européenne, simplement parce qu’elle s’est octroyé, non sans intelligence, un rôle de pompier boutefeu dans la dramaturgie médiatique du moment. Le Mrax s’inquiète des gains électoraux que pourrait en tirer l’extrême droite flamande et nationale. Le Mrax s’inquiète de voir chaque nouvel incident aussitôt récupéré par les plus extrémistes, quels que soient d’ailleurs les pôles où ils se situent, tant il est évident que, loin de se combattre et de s’annuler, les extrémismes se nourrissent et se renforcent mutuellement… Le Mrax s’inquiète de l’irresponsabilité de certains médias qui n’ont de cesse de courir derrière l’image ou la formule choc, et cèdent systématiquement la parole à ceux qui crient le plus fort, donnant à croire qu’ils sont représentatifs de toute une communauté. Le Mrax s’inquiète de cette logique simplificatrice qui consiste à poser le débat toujours plus en terme de groupes homogènes, pour ne pas dire de camps, comme si tous les Juifs de Belgique arboraient le portrait de Sharon sur le buffet de leur salon, comme si tous les jeunes d’origine maghrébine étaient des casseurs de voitures ou des poseurs de bombes en puissance, comme si, également, tous les policiers d’Anvers ou d’ailleurs étaient sympathisants du Blok… Le Mrax s’inquiète de ce que, chaque fois qu’il prend, ou ne prend pas position par rapport à une discrimination ou une agression xénophobe, quelle qu’en soit sa nature, il reçoit en retour une volée de lettres d’injures, et se fait taxer tantôt d’antisémitisme, tantôt du contraire, tantôt de se montrer anti-belge ( ? !)… Le Mrax s’inquiète, et tient à rappeler, pour paraphraser Desproges, que l’on peut, et que l’on doit débattre de tout, qu’il n’est pas de sujet qui ne mérite d’être débattu, certes, mais assurément pas avec n’importe qui. Que le catastrophisme, la surenchère médiatique et la tentation électoraliste ne servent finalement que les intérêts des pousse-à-la-guerre les plus radicaux. Et que de notre faculté à comprendre et à résoudre les contradictions socio-économiques qui sous-tendent les crises de ces derniers jours dépend aussi, et surtout, et en définitive, la tranquilité de l’immense majorité des citoyens de ce pays…