Amman, de notre envoyée spéciale Les Palestiniens, ou plus exactement les Jordaniens d'origine palestinienne, représentent aujourd'hui au moins 60 % de la population du pays, qui compte 5 millions d'habitants. D'après certains, les statistiques démographiques n'étant pas très précises, ce chiffre pourrait atteindre 70 %. À Amman, où vivent deux millions de personnes, leur présence est manifeste ; les chauffeurs de taxi, les commerçants… tous revendiquent avec fierté leur identité : certains précisent d'emblée qu'ils sont " Palestiniens ", d'autres se disent " Jordanien mais d'origine palestinienne. " Pour Bader Majali, jeune businessman de 26 ans qui se définit comme « Jordanien-Jordanien », cette distinction entre Jordano-Palestinien et Jordanien de souche n'est plus vraiment d'actualité. " Elle constituait un problème jusque dans les années 80 mais, maintenant, les gens oublient qu'ils sont Palestiniens. Il y a des mariages mixtes. Simplement, dès lors que la question est posée, surtout par une journaliste occidentale, les gens éprouvent le besoin de montrer leur différence ! ". Il est vrai que, contrairement à ce qui se passe au Liban ou en Syrie, les Palestiniens sont parfaitement intégrés à la société jordanienne. En 1960, le Roi Hussein avait accordé la citoyenneté jordanienne à tous les réfugiés palestiniens. Seule une infime minorité, originaire de la bande de Gaza alors sous souveraineté égyptienne, ne l'a pas. " Ici, Jordanien et Palestinien ont les mêmes droits. Nous ne sommes pas des étrangers, au contraire ", remarque Assad, 24 ans, représentant de commerce d'origine palestinienne né en Jordanie. Les Palestiniens qui vivent dans les camps de réfugiés - 15 % de la population totale - ont aussi un passeport jordanien, mais ils sont socialement marginalisés. Le camp de Wahdat, au sein d'Amman, est sans doute la zone la plus pauvre de la ville. " Ils bénéficient de nos systèmes de santé et éducatif, mais nous, on ne peut pas faire plus, on n'en a pas les moyens " précise Bader, le jeune businessman. " Ce sont les Nations unies qui doivent s'occuper d'eux ", ajoute-t-il. « Constitutionnellement, on a les mêmes droits mais, dans la pratique, il y a beaucoup de discriminations ethniques » Cependant, nombre de Palestiniens ont bien réussi dans les affaires. " Ils sont le moteur économique du pays, commente un diplomate, et détiennent les banques et les usines ". Labib Kamhawi est l'un de ceux-là. Il est président de la Cessco, florissante dans le secteur pétrolier. " C'est vrai, commente-t-il, que les Palestiniens réussissent dans le business parce que c'est le seul secteur où l'on peut travailler sans être à la merci des services de renseignements. Constitutionnellement, on a les mêmes droits mais, dans la pratique, il y a beaucoup de discriminations ethniques ". Labib Kamhawi en a fait l'expérience : rentrant de Londres muni de son Ph-D en sciences politiques, il a entamé en 1981 une carrière à l'université de Amman. Cinq ans plus tard, il était interdit d'enseignement, sans la moindre explication. Au centre d'Amman, plusieurs commerçants palestiniens ont refusé de nous parler, craignant de se confier à quelqu'un qui " travaille pour le gouvernement " L'emprise des services de renseignements sur la société reste forte. Les nominations aux emplois publics sont soumises à leur bon vouloir et, dans la rue, certains Palestiniens s'en méfient constamment. Au centre d'Amman, plusieurs commerçants palestiniens ont refusé de nous parler, craignant de se confier à quelqu'un qui " travaille pour le gouvernement ". M., un jeune homme d'une vingtaine d'années, très disert sur les conséquences d'une guerre en Irak, se fait muet dès l'instant où l'on aborde les questions de politique intérieure. " On n'est pas libre comme les vrais Jordaniens ", se contente-t-il de préciser à voix basse et en baissant les yeux. La répression de " Septembre Noir " en 1970 et ses 3 000 morts, a laissé des traces indélébiles parmi la population palestinienne de Jordanie. Cependant, la situation évolue. " Certes, les Palestiniens n'ont aucun poste dans tout ce qui touche à la sécurité intérieure et extérieure de l'État - des fonctions réservées aux Bédouins et aux Tcherkès (ndlr : une ethnie musulmane originaire de la frontière russo-turque exilée à la fin du 19ème siècle dans plusieurs pays du Moyen-Orient). Mais, il y a déjà eu un Premier ministre palestinien (Taher Al-Masri, au début des années 90) et le gouvernement actuel compte plusieurs ministres palestiniens, dont celui des Finances et celui du Plan ", précise un autre diplomate. Deux ministères d'autant plus importants que le Royaume a décidé de mettre l'accent sur les réformes économiques. Pour cette raison, il semble que le Roi Abdallah envisage d'intégrer davantage les Palestiniens dans les structures de l'État que ne l'avait fait son père ,le Roi Hussein, un choix peu apprécié des Jordaniens pure souche. Et puis, la reine est palestinienne, une grande fierté pour les siens. De fait, elle contribue fortement à l'unification de la nation.