]En Europe, la perspective d'une campagne contre l'Irak rencontre une forte opposition, et pas seulement dans les rangs des pacifistes. On invoque pas moins de 11 arguments contre une guerre en Irak : 1. L'existence de liens entre Saddam Hussein et le chef d'Al Qaida, Oussama Ben Laden, n'a pas été démontrée de façon probante. 2. Saddam Hussein ne détient probablement plus aucune arme de destruction massive. 3. S'il en possède encore, il y a un grand risque qu'il les utilise en cas de guerre, ce qui entraînerait la mort de nombreux innocents. 4. Même s'il disposait toujours d'armes chimiques ou biologiques, que pourrait-il déclencher avec elles ? (Les arguments 3 et 4 se contredisent, mais n'y prêtons pas attention.) 5. Plutôt qu'engager une guerre, il vaudrait mieux faire en sorte que les inspecteurs de l'ONU reviennent en Irak. 6. Personne ne soutiendra les Etats-Unis dans l'éventualité d'une campagne contre l'Irak. 7. Une intervention militaire causerait la mort de nombreux innocents. 8. Il n'y a pas de successeur en vue pour Saddam Hussein. Une victoire des Etats-Unis plongerait l'Irak dans le chaos et déstabiliserait toute la région. 9. D'autres pays que l'Irak disposent d'armes de destruction massive, mais on ne les attaque pas pour autant. 10. Jamais les guerres n'ont encore résolu les problèmes politiques. En outre, elles sont coûteuses et sont souvent la source de surprises désagréables. 11. On ne peut empêcher la prolifération d'armes de destruction massive. Certains de ces arguments sont faciles à démonter, d'autres moins. Les guerres peuvent bel et bien résoudre les problèmes politiques : c'est une évidence, et le Premier ministre britannique Winston Churchill en était convaincu. Sans sa volonté de mener la guerre contre l'Allemagne nazie, les descendants d'Adolf Hitler seraient aujourd'hui au pouvoir, et l'Europe ne serait qu'un sinistre continent. Il est tout aussi peu fondé d'affirmer que les guerres sont, a priori, trop coûteuses. Même pendant la guerre froide, les Cassandre prophétisaient que la course aux armements ruinerait l'Occident. Il en est allé tout autrement. Par ailleurs, il est des moments, dans l'Histoire, où le calcul économique est accessoire. En revanche, il est vrai que les guerres font des victimes innocentes. Il faudrait pouvoir éviter les guerres ; elles constituent le dernier recours quand toutes les autres possibilités politiques ont été épuisées. Ces dernières semaines, Saddam Hussein a laissé entendre, à plusieurs reprises, qu'il détenait des armes de destruction massive. Tout au moins, il aurait récemment accompli des progrès considérables dans le développement de ce type d'équipement. C'est une vérité que l'on n'aime guère entendre en Europe, où un autre argument, lui, trouve des oreilles complaisantes, celui qui veut que des centaines de milliers d'enfants irakiens soient menacés par la famine, du fait des sanctions occidentales. Une chose est sûre : les inspecteurs des Nations unies ont découvert plus d'armes de destruction massive qu'ils ne l'escomptaient (or, ils n'ont pu en dépister et en détruire qu'une partie). Il est certain aussi que seuls les Etats-Unis disposent des informations appropriées concernant le véritable potentiel militaire de l'Irak. Ils connaissent l'emplacement des laboratoires où sont produits les gaz toxiques (VX) et les armes biologiques (provoquant variole, maladie du charbon, botulisme et tularémie). Eux seuls savent où se trouvent les installations nucléaires et les rampes mobiles. Tels sont les faits. Tout le reste n'est que voeux pieux nés des angoisses européennes - angoisses que Washington comprend fort bien. Ce que les Etats-Unis ne comprennent pas, cependant, c'est qu'elles puissent avoir valeur de philosophie politique. Il semble évident que d'autres pays du Moyen-Orient possèdent des armes de destruction massive, comme l'Iran, ainsi que vraisemblablement la Libye, la Syrie et aussi, il est vrai, Israël. Ces dernières années, l'Iran a considérablement renforcé ses capacités militaires et sera probablement en mesure de fabriquer des bombes atomiques bien avant l'Irak. Mais il y a là une différence majeure par rapport à Bagdad : tout porte à croire que ces pays ne se sont pas dotés de ces armes à des fins offensives. Israël n'utiliserait l'arme nucléaire qu'en cas d'attaque extérieure et si son existence, en tant qu'Etat, venait à être menacée. Saddam Hussein, lui, a déjà utilisé des gaz toxiques interdits de manière offensive : pendant la guerre contre l'Iran, ainsi que dans son propre pays, contre les Kurdes, ce qui a causé la mort de milliers de personnes. Enfin, l'Irak de Saddam Hussein nourrit de plus grandes ambitions géostratégiques que les autres pays cités. Le dictateur lui-même souhaite entrer dans l'Histoire en tant que nouveau Saladin, le plus grand héros du monde arabe. Et, pour réaliser son rêve, il ne dispose que d'un seul moyen : la force. Si l'on n'entreprend rien contre lui, il en résultera une nouvelle course aux armements. D'ici deux ou trois ans, le nombre de pays équipés d'armes de destruction massive, si "primitif" que soit leur mode de production, aura doublé ou triplé. Ce qui aura pour effet de rendre caducs les traités internationaux réglementant la destruction des armes chimiques et biologiques, traités qui représentent l'aboutissement de décennies de difficiles négociations. Le danger serait également plus grand de voir ces armes tomber entre les mains de terroristes, par exemple à l'issue d'une guerre civile. Ou encore, jugeant une guerre ouverte avec ce type d'équipement trop risquée pour lui, un dirigeant pourrait se servir de terroristes comme de prête-noms, espérant ainsi qu'il serait impossible de découvrir où les terroristes se sont procuré leurs "bombes nucléaires sales", leurs gaz toxiques et leurs virus. Ce sont là quelques-unes des conséquences possibles de l'inaction face au dictateur irakien. Si, dans les capitales européennes, on avançait des propositions réalistes sur le moyen de neutraliser, par des voies politiques, le danger représenté par Saddam Hussein, Washington les accueillerait avec un grand soulagement. Mais, pour l'instant, l'Europe n'a accouché d'aucune idée en ce sens. C'est pourquoi la Maison-Blanche considère la réaction du Vieux Continent comme irresponsable et sujette à caution. L'Europe se comporterait de façon plus honorable si elle argumentait qu'il est hors de question que des démocraties entreprennent une guerre préventive, même si le risque est grand d'un conflit avec des armes de destruction massive. C'est une attitude défaitiste et contraire à l'éthique américaine. Mais, dans ce cas, l'Europe accepterait la responsabilité d'immenses destructions et de pertes terribles en vies humaines. Et le comportement de l'Europe serait honorable et représenterait une véritable alternative aux préparations militaires de Washington. Jusqu'à présent, le Vieux Continent s'est contenté d'appliquer une politique de l'autruche, déguisée en philosophie. Les dirigeants européens se complaisent dans une politique, prétendument intelligente, de prudence et de sentiment de responsabilité. Ils se dépeignent volontiers comme des spécialistes expérimentés de la gestion des crises et voient dans les Américains des cow-boys primaires et agressifs. Soyons directs : ce n'est pas comme cela qu'ils résoudront le problème Saddam Hussein.