Coca-Cola en Colombie Forum international à Bruxelles : Colombie, laboratoire de la globalisation néolibérale, Parlement européen le 10 octobre 2002. " Les eaux noires de l'impérialisme " Personne n’en parle : " Nos camarades sont morts alors qu’ils travaillaient dans les usines Coca-Cola ". Syndicalistes colombiens des sous-traitances de la marque, ils sont venus témoigner et informer la communauté internationale sur l’état de guerre dans lequel est plongée la Colombie, et comment Coca-Cola, une multinationale nord-américaine, est en service commandé (et armé) de l’hégémonie économique des États-Unis sur le globe. La Colombie, révèle le titre de ce forum, est le " laboratoire de la globalisation néolibérale ". Déjà dans les années 70, " Les eaux noires de l’impérialisme " étaient le slogan des populations visées contre l’expansion des usines Coca-Cola en Amérique latine et dans le monde, nous rappelle très justement, Tatiana Roa, ouvrière d’Agua Viva, l’une des 21 filiales de Coca-Cola en Colombie, spécialisées dans la mise en bouteilles. Aujourd’hui, ces eaux noires n’ont pas disparues et elles se sont tachées du sang des ouvriers militants et des syndicalistes qui, à chaque fois, quel que soit le prétexte, sont pris pour cible. En Colombie, des assassinats de syndicalistes ont été perpétrés par des paramilitaires, lesquels sont perçus par les populations menacées comme les bras armés de Coca-Cola et des multinationales. Rien que pour l’année 2002, dix assassinats sont attribués à Coca-Cola, plus 200 détenus comme terroristes, et neuf à Nestlé, preuves à l’appui des nombreux témoins oculaires. Le 30 août 2002, en pleine négociation sur la Convention collective agroalimentaire (83 % de sous-traitance pour Coca-Cola, salaire de 40 dollars par mois au lieu de 430 dollars pour les 17 % non sous-traités de Coca-Cola, violations des droits collectifs, suspension du contrat de travail, expulsion des familles des salariés " gênants "), le syndicaliste de Sinaltrainal (1) est abattu en salle de réunion par les paramilitaires. " Alors qu’un camarade allait réintégrer l’entreprise le 21 août 2002, le jour même il a, lui aussi, été assassiné ", rapporte Javier Corea, syndicaliste à Coca-Cola de Sinaltrainal. Le meurtre d’Isidro Segundo Gil dans l’usine où il travaillait n’a donné suite à aucune enquête de la part du parquet contre ses assassins. Castro, un travailleur noir de Barranquilla, au nord de la Colombie, a été tué en pleine rue devant sa mère et plusieurs témoins : malgré le procès et les preuves qui accablaient son meurtrier, ce dernier a été acquitté, et un témoin a été assassiné par la suite, afin de l’empêcher de quitter le pays et de parler aux instances de défense des droits humains en Europe. Depuis, sur les 2 743 affiliés à Sinaltrainal, 50 % ont quitté le syndicat. Tous ces meurtres, restés impunis à ce jour, ont fait l’objet de plaintes de la part des proches des victimes ou des victimes elles-mêmes, qui demandent à Coca-Cola et au gouvernement de l’État colombien, réparations, dédommagements et que justice soit faite sur les meurtres des syndicalistes et travailleurs de Coca-Cola. La violence de l’État colombien Le gouvernement d’Alvaro Uribe Vélez, récemment " élu ", - complètement dévoué au Congrès américain et à l’Administration Bush -, est le premier responsable de l’extrême violence en Colombie. Dès son arrivée au pouvoir, le président Uribe a rompu le processus de paix entamé par son prédécesseur, Andrés Pastrana, avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), lesquelles ont riposté par une attaque sanglante au palais présidentiel de Bogota, en septembre dernier. Il a également promulgué une nouvelle Constitution, dans laquelle n’est dénoncée aucune violation des droits de l’homme tout en affirmant que l’État colombien est démocratique, en réponse au Pentagone, qui considère que la Colombie est le seul pays d’Amérique latine qui ne figure pas sur la liste des pays dits " terroristes " ; comme par hasard... La Cour constitutionnelle de justice de Colombie vient d’avaliser la mesure d’état de siège décrété par Uribe. " Cette Cour est loin d’être indépendante, elle est composée de militaires, d’anciens généraux, de représentants de multinationales étrangères qui sont autant de garanties pour les paramilitaires et assassins à l’impunité totale, accentuant les provocations, la discrémination et les violences criminelles sur les populations civiles. Le programme du gouvernement “ Le chemin de la confiance ” est une véritable invitation à la guerre en Colombie. Le président Uribe est lui-même fortement impliqué et " suspecté " dans le narco-trafic " ; question de confiance... Convergence des multinationales " Le programme prévoit d’employer 100 000 soldats supplémentaires formés à “ L’École des Amériques ”, d’élargir le système carcéral (+ de prisons), de repousser l’âge de la retraite à 65 ans et d’augmenter l’exploitation pétrolière en élargissant les marchés aux firmes étrangères occidentales : tout le programme de l’OMC et du FMI. Ce modèle ne fait que répondre à la continuité de la logique néolibérale et au renforcement du plan Colombie, mis en place en 1998 par l’Administration Clinton ", témoigne l’avocat des victimes, Pedro Mahecha. Il poursuit : " Le but est de marginaliser les syndicats et défenseurs des droits de l’homme en les menaçant, en les assassinant. N. Santana, un paramilitaire, dans le département d’Arauca, a massacré toute une famille (femmes et enfants) à la hache. Il est aussi membre de l’Armée nationale et a dénoncé cent personnes à l’Armée. Ce sont les paramilitaires qui, dans l’usine Coca-Cola, ont ordonné aux travailleurs de ne pas suivre le syndicat Sinaltrainal. Les dirigeants de Coca-Cola travaillent en étroite collaboration avec les paramilitaires ". Pour James Petras (CETRI), " L’impérialisme américain est le moteur expansionniste des multinationales à l’étranger ". Les multinationales ont une représentation directe dans le gouvernement de l’État colombien qui distribue des postes administratifs importants à ses dirigeants et les protège dans leur course aux profits, en employant la force de l’Armée et des paramilitaires. D’ailleurs, des échanges en hommes et en armes sont fréquents entre les rangs de l’Armée nationale et ceux des paramilitaires, ils font souvent " double emploi " et servent l’autonomie de l’État réduite à une relation de sous-traitance du pouvoir repressif par les paramilitaires, et cela, avec l’appui des États-Unis. " Il y a un phénomène de convergence entre les projections d’accroissement des bénéfices de Coca-Cola (+ 24 millions d’euros et 13 000 licenciements), la politique stratégique des États-Unis en Amérique latine (et, à travers elle, sur le reste du monde), l’État colombien (corrompu et de composantes militaires liées à l’oligarchie nationale) et les paramilitaires qui exterminent les populations civiles, les ouvriers syndiqués, les journalistes... dans l’impunité la plus complète ! À l’instar de Coca-Cola, Mercedes, en Argentine, a donné les noms et adresses des syndicalistes de l’entreprise aux “ escadrons de la mort ” afin de permettre la restructuration de l’entreprise et la restauration de ses bénéfices (2) ". " C'est la réplique du Guatemala des années noires de la décennie 80 où, entre 1982 et 1985, 15 syndicalistes de Coca-Cola ont été assassinés ", remarque Éric Toussaint. L'eau et la feuille de coca... Sur le plan écologique, les usines Coca-Cola sont une catastrophe : " huit litres d'eau potable sont utilisés dans le rinçage des bouteilles pour un litre de boisson gazeuse. Les eaux usées sont ensuite rejetées dans la nature andine. 50 % de la population colombienne doit avoir accès à l'eau potable d'ici à 2005, la question est : par qui ? et comment ? Coca-Cola convoite depuis toujours le monopole des eaux souterraines et fluviales pour l'exploitation de leurs usines, et pour la vente d'eau minérale, fabriquée dans de petites bouteilles de 25 cl., plus chères à la consommation ", explique Tatiana Roa. L’eau, si vitale pour l’humanité, est sacrifiée sur l’autel du néolibéralisme des multinationales agroalimentaires et aurifères. Quant à la culture de la feuille de coca - dont l’achat et l’importation inhérents au processus de fabrication du Coca-Cola ou de produits pharmaceutiques des firmes de chimie biotechnologique se calculent en milliers de tonnes par an -, elle est au cœur de l’impérialisme nord-américain [jusqu’au Congrès !...] au détriment des paysans colombiens et petits cultivateurs accusés à tort de " narco-trafiquants " par l’État et l’Administration Bush. La lutte contre la drogue et la feuille de coca, entamée sous le gouvernement Clinton, sert plus souvent de prétexte à toutes les exactions criminelles inimaginables, afin de maintenir l’expansion des multinationales, que d’une volonté sociale économique et culturelle de résoudre le problème. La plante de coca est victime d’un manège d’une hypocrisie politique bien organisée parmi les plus hautes sphères de la géopolitique internationale. Ainsi, l’article 27 de la Convention internationale considère que la culture de la feuille de coca et sa consommation sont illicites, mais en autorise l’importation pour les multinationales de la biotechnologie qu’ils l’utilisent. L’une des solutions, selon Joep Oomen, " est de légaliser la feuille de coca afin de contrer les multinationales et la répression sur les civils ". Boycott international contre coca-cola " Nestlé et Coca-Cola n’ont pas voulu nous recevoir en Europe, Coca-Cola a porté plainte contre Sinaltrainal, transformant les victimes en coupables (3). C’est pourquoi, en tant que syndicaliste de Sinaltrainal, nous demandons au Parlement européen qu’il fasse pression sur l’État colombien pour qu’il annule la réforme du travail engagée qui va à l’encontre des exigences de l’organisation internationale du travail (OIT), nous voulons que la Colombie devienne un observatoire international des droits de l’homme... (3) ". Propos recueillis par C. Le Corre et S. Simon-Vermot Notes (1) Sinaltrainal est le syndicat des ouvriers colombiens travaillant chez Coca-Cola. (2) James Petras (CETRI). (3) Edgar Pas, syndicaliste de Sinaltrainal.