[ Analyse critique de cet article en dessous ]

Témoignage de la manifestation du 3 janvier dernier. Je couvrais la manifestation en tant que photographe. Les photos seront publiées par après

Trois jours après avoir célébré la fin d’une année émaillée d’un coup d’État et de gigantesques manifestations demandant la démission du Président populiste Hugo Chávez Frías, les Vénézuéliens se rendent compte que la solution au conflit qui frappe le pays est encore lointaine.

Cela aurait dû être une manifestation familiale où des centaines de milliers de personnes devaient rallier de manière pacifique les abords du Paseo Los Próceres, un lieu de promenade situé près du Fort Tiuna, quartier général de l’armée où se trouve détenu sans aucune charge une des têtes de la Garde Nationale, Alfonso Martinez. C’était sans compter sur une manifestation de partisans du Président partie à l’encontre des "traîtres" à la patrie.

Après plus d’un mois de grève générale, le Venezuela s’est réveillé en deuil. Produit des affrontements de la veille ayant fait deux morts, une trentaine de blessés dont deux par balles. Pendant plus de cinq heures, les partisans du président et de l’opposition se sont livrés à une bataille rangée s’expliquant à jets de pierres, de bouteilles et de pétards. Au milieu, la police et la garde nationale se sont limités empêcher toute rencontre entre les deux camps.

Le comportement des forces de sécurité pose de nombreuses questions. Car si la manifestation de l’opposition bénéficiait d’une autorisation formelle, il n’en était rien du côté des quelques centaines de chavistes réunis dans la claire intention d’empêcher la manifestation de l’opposition à atteindre sa destination. Malgré cela, En dépit de cette violence, aucune charge ne fut donnée pour tenter de rétablir l’ordre. "Nous respectons le droit de chaque citoyen vénézuélien à manifester pacifiquement", a déclaré pour se justifier le colonel Montilla, responsable de la sécurité de la manifestation.

Récit d’une journée de combats

Il était midi heure locale quand tout a commencé. Les partisans du président Chávez s’étaient réunis sur un pont surplombant une autoroute, faisant de la sorte face à la manifestation de l’opposition, quand les autorités ont soudainement tirés des gaz asphyxiants en plein centre de la centaine de chavistes réunis, ne laissant à certains d’entre eux que pour seule issue de se réfugier en sautant du pont. Quelques minutes plus tard, l’autoroute se fermait à la circulation, causant des embouteillages monstres dans une ville déjà chaotique.

Il n’en fallait pas beaucoup plus pour que la police de Caracas se retire de l’autoroute, laissant l’espace libre aux partisans les plus radicaux de Chávez pour jeter pierres et toute sorte d’objets sur l’opposition réunie, jusqu’à cet instant, pacifiquement. Répondant aux jets de pierres qui leur étaient adressés, l’opposition allait également se voir adresser des gaz asphyxiants. Au total, la police et la garde nationale, cantonnée au bord du pont, ont tiré plus de 150 bombes lacrymogènes. Mais les gaz lacrymogènes n’étaient pas l’apanage des forces de sécurité. Assez étonnement, quelques chavistes ont tenté en vain de lancer vers l’opposition ces gaz destinés, en temps normal, au seul usage des autorités.

Quatre heures plus tard, le conflit allait prendre une tournure fatale pour plusieurs manifestants. Des rafales de tirs provenant des chavistes se faisaient entendre, rappelant des scènes du 11 avril, date du coup d’État et journée au cour de laquelle des dizaines de manifestants avaient perdu la vie. Parmi les blessés par balle, un photographe et un ambulancier.

Une bipolarisation grandissante

Selon le général Medina Gómez, à la tête des officiers qui se sont soulevés contre le gouvernement et qui se sont réunis sur la Place de France rebaptisée place de la liberté, "le pays risque de basculer vers un scénario de guerre civile. Plusieurs variables sont présentes, a-t-il affirmé quelques heures après les affrontements avant de poursuivre : Tout d’abord, le pays connaît une bipolarisation extrême typique à chaque conflit civil. Ensuite, le désespoir de chaque côté fait que le dialogue devient de plus en plus difficile". Chaque jour apporte son lot de manifestations, qualifiées par le gouvernement de manifestations de "squales". Le ressentiment, une composante de cette bipolarisation. Car la ferveur des partisans de Chávez est proportionnelle à la haine manifestée à l’encontre de l’opposition.

Une bipolarisation reflétée par les médias locaux où la propagande fait rage. D’un côté, les chaînes privées qui ont supprimé toute publicité commerciale pour laisser place à des messages de l’opposition, auto-dénominée Coordinadora democrática, appelant à la démission de Chávez et à la tenue d’élections anticipées. De l’autre côté, le canal officiel, Venezolana de television, qui affirme que la situation est normale et que la grève n’affecte que très peu le pays. Pourtant, les files d’attentes aux abords des stations services ne se résorbent pas et plusieurs États du pays vivent une pénurie totale de combustible. Les boissons rafraîchissantes, le lait en poudre, la farine de maïs et la bière, produits très prisés par les vénézuéliens sont quasi introuvables.

Une solution au conflit? Entre les scénarios les plus radicaux d’une part des partisans de Chavez qui exigent du gouvernement d’avoir la main lourde et de mettre fin à l’impunité existant dans le pays et d’autre part des plus radicaux de l’opposition qui en appellent au coup d’État, seule la solution des élections anticipées pourrait permettre de panser les blessures et de tourner une des pages les plus sombres du pays. Cette solution, le Président Chávez ne veut pas l’entendre, prétendant que les élections anticipées sont anticonstitutionnelles. Une Constitution démocratique modèle selon certains spécialistes qui pourrait se révéler la cause indirecte d’un bain de sang inédit même lors des pires dictatures qu’a connue le venezuela. Paradoxe.