Ceci est une traduction partielle dĄŻun article ecrit en fevrier 1956 par Murray Rothbard, economiste americain relativement fameux de tendance libertaire(1) sur le mouvement poujadiste, qui venait de faire une entree fracassante a lĄŻAssemblee nationale en janvier de la meme annee avec 53 deputes. Me souvenant de la parole de Ciceron: Ą°LĄŻhistoire est le meilleur maitre dĄŻecoleĄ± et de lĄŻexhortation de Napoleon premier a son fils: Ą°Etudie lĄŻhistoire, cĄŻest la que se trouve la vraie philosophieĄ±, jĄŻai pense quĄŻun regard en arriere et d'un point de vue plutot a contre-courant pourrait aider le lecteur serein a mieux comprendre la situation actuelle. Ne pas manquer les notes a la fin de la traduction. 
Le texte integral en anglais peut etre trouve a lĄŻadresse suivante: www.mises.org/freemarket_detail.asp?control=327


Qui est Pierre Poujade(2)? Avons-nous affaire a un nouvel avatar de lĄŻinstabilite hexagonale? Est-ce un semi-fasciste ou meme pire?
La premiere chose quĄŻun Americain doit faire pour comprendre Poujade et son mouvement, cĄŻest ne pas tomber dans le panneau de lĄŻepithete de Ą°fascisteĄ±. Souvenons-nous que la presse de gauche est toujours prompte a qualifier de Ą°fachosĄ± les adversaires du communisme, du socialisme et de lĄŻinternationalisme. Poujade, quant a lui, nie categoriquement tout lien de parente entre son programme et celui du fascisme, faisant remarquer que celui-ci recrute ses adherents dans la classe ouvriere decue du socialisme(3), plutot que parmi les classes moyennes.
Peu dĄŻAmericains connaissent lĄŻhistoire de ce mouvement qui est parti de zero pour faire une entree remarquee a lĄŻAssemblee Nationale avec 53 deputes. Les poujadistes ont commence a faire parler dĄŻeux il y a deux ans en organisant des campagnes de greve fiscale.
Rassembles au sein de lĄŻUnion de Defense des Commercants et des Artisans(UDCA), ils etaient diriges par un certain Pierre Poujade, petit libraire du sud de la France. Elu au conseil municipal de sa bonne ville de St-Cere(4), il persuada les commercants de la ville de refuser de payer lĄŻimpot et de sĄŻopposer a tout controle de leur comptabilite de la part de lĄŻEtat francais.
Le succes de cette action fit tache dĄŻhuile et finit par gagner de nombreuses regions de la France.
On sĄŻetonne de ce que les poujadistes vont jusquĄŻa jurer de se pendre sĄŻils trahissent leur mandat? Mais cĄŻest que la situation en France a atteint les limites du supportable: une pression fiscale ecrasante sur les entreprises et les menages, une erosion galopante de la souverainete nationale, un gouvernement incompetent et gaffeur, des guerres coloniales interminables. Mais ce sont surtout les impots qui font mal.Il ne faut pas oublier que la France est un pays de petits commercants. Cela sĄŻexplique dĄŻune part par la menace de la confiscation qui dissuade lĄŻinvestissement dans de gros projets et dĄŻautre part par le gout prononce des Francais pour les produits maison.
Pour comprendre le mouvement, il faut remonter a lĄŻapres-guerre. Le mecontentement suscite par la main trop lourde du fisc conduisit a la formation dĄŻune Ligue des PME. Au depart, cette association nĄŻavait aucunement lĄŻintention dĄŻorganiser des greves fiscales ou dĄŻautres actions musclees a la base. Elle comptait simplement persuader les deputes de lĄŻAssemblee nationale de preter lĄŻoreille aux plaintes des petits commercants et de leur accorder des deductions fiscales. A lĄŻAssemblee de 1951, la Ligue obtint finalement dĄŻune centaine de deputes un engagement ecrit allant dans ce sens.
Sa colere fut grande lorsquĄŻelle sĄŻapercut que les deputes nĄŻavaient nullement lĄŻintention de tenir leurs promesses! Ce fut le declic: desormais elle se passerait des politiciens. La Ligue se tourne alors vers Poujade et lĄŻarme de la greve fiscale. LĄŻAssemblee continuait a faire la sourde oreille aux revendications des petits commercants. Le premier ministre Faure convoqua des elections legislatives. Poujade mit sur pied a la hate trois listes de candidats et se jeta dans la melee. On sĄŻattendait a ce quĄŻil recolte a peine deux ou trois sieges, il engrangea en realite pas moins de 2,5 millions de voix(5), plus que les radicaux dĄŻEdgar Faure(6) et de Pierre Mendes-France(7).
La presse de gauche avait vitupere les methodes Ą°fascistesĄ± des casseurs de Poujade. LĄŻexamen des faits montre que le mouvement ne dispose pas de forces paramilitaires et nĄŻa jamais assassine aucun opposant. Ce quĄŻon trouve en revanche, ce sont des chahuteurs, dont Francois Miterrand(partisan de Mendes-France et ennemi jure des poujadistes)fut un jour la victime, ramassant une poire pourrie en pleine figure. Comme on le voit il nĄŻy a pas de quoi fouetter un chat.
Curieusement, les forces favorables a Mendes-France, qui ne voient aucun inconvenient a faire cause commune avec les 150 deputes communistes(8) de lĄŻAssemblee nationale, veulent a tout prix barrer la route aux poujadistes et les empecher de sĄŻemparer de Ą°leursĄ± sieges.(Ą­)
Le programme des poujadistes comprend deux points principaux: reductions dĄŻimpots et convocation des Etats-Generaux. Faisons remarquer au passage que les regimes dĄŻHitler et de Mussolini etaient au contraire pour un niveau de taxes eleve et pressaient leurs malheureux sujets jusquĄŻa la derniere goutte de sang. Les passions qui animent les poujadistes sont un mepris absolu des socialistes et de leur gouvernement incompetent et une horreur viscerale des organismes internationaux, dans lesquels ils voient se dissoudre la souverainete francaise. Un Americain conservateur dirait: QuĄŻy a-t-il de si choquant dans tout cela? Quand la gauche accuse le programme des poujadistes dĄŻetre Ą°vagueĄ± et Ą°fumeuxĄ±, elle semble ignorer quĄŻil nĄŻy a rien de plus tangible, ni de plus benefique pour monsieur tout le monde, quĄŻune baisse des impots.
La convocation des Etats-Generaux est un point du programme poujadiste qui merite quĄŻon sĄŻy arrete. 
La representation dans ce type dĄŻassemblee, qui sĄŻest reunie pour la derniere fois a la veille de la revolution francaise, est a la fois geographique, economique et sociale. Les anciens Etats-Generaux representaient la noblesse, le tiers etat et le clerge, les nouveaux comprendraient, en proportion de leur importance dans la population, la classe ouvriere, les petits commercants, les gros industriels, les paysans et les cols blancs.
Nous sommes tellement habitues au principe de la representation geographique que cette idee nous parait tout a fait loufoque. En fait, elle pourrait etre un remede a bien des maux. En France, comme dĄŻailleurs aux Etats-Unis, les hommes de loi sont surrepresentes. A  cause de leurs liens etroits avec le monde politique, les avocats ont tendance a proliferer et a rendre les lois compliquees au-dela de toute mesure. Ils en viennent a former une sorte de caste parlementaire et bureaucratique semi-permanente. Cantonnes a Paris ou a Washington, loin du peuple, leur grande affaire sont les traffics dĄŻinfluence et la vie brillante de la capitale. Ils nĄŻont dĄŻautre souci que dĄŻetendre toujours plus lĄŻemprise de lĄŻEtat sur les simples citoyens. Une representation sociale permettrait dĄŻassurer une voix a toutes les classes sociales a lĄŻAssemblee et obligerait les groupes de pression a sortir de lĄŻombre pour sĄŻafficher au grand jour de la legislature elle-meme.(Ą­)
Le poujadisme est vraiment un mouvement populaire(9) au sens fort de ce terme aujourdĄŻhui use. Paris nĄŻen revenait pas de voir defiler dans ses rues les deputes poujadistes: des bouchers, des boulangers, des epiciers, des libraires, la premiere delegation reellement du peuple que la capitale ait vu depuis des dizaines dĄŻannees.(Ą­)

Notes du traducteur:
1. Courant dĄŻidees ultraliberal oppose a toute intervention de lĄŻEtat dans le domaine economique; le parti libertaire est souvent qualifie de Ą°troisieme parti americainĄ±, mais son score est encore plus faible que celui du PCF aujourdĄŻhui.
2.Pierre Poujade est toujours parmi nous. Il a aujourdĄŻhui 81 ans et a apporte en novembre son soutien au Ą°CheĄ±, qui y a vu un presage de victoire(!). Il est vrai quĄŻil avait soutenu Francois Mitterand en 1981 avec plus de bonheur. En 1956, Jean-Marie Le Pen est entre a lĄŻAssemblee nationale comme depute de lĄŻUDCA. Cela fait donc 46 ans que M. Le Pen est en politique.
3.Cela est parfaitement exact. A remarquer que cĄŻest dans les villes ouvrieres du Nord, fiefs socialistes, que M.Le Pen a obtenu cette annee ses plus gros succes.
4. Cela se passait en 1952. Il figurait sur la liste du RPF(Rassemblement du Peuple francais), le parti de De Gaulle a lĄŻepoque.En 1953, De Gaulle a dissous son mouvement et Poujade a profite de ce vide politique. Des que De gaulle a reparu sur la scene en 1958, le mouvement poujadiste sĄŻest effondre.
5. Soit 12% des suffrages. JMLP a obtenu 4,5 millions de voix en 1995 (15,2% des suffrages), 4,8 millions cette annee(16,8%). Le FN, depuis sa scission en 1998, nĄŻa plus quĄŻun siege de depute a lĄŻAN alors quĄŻil en avait 35 en 1986 apres le passage a la proportionnelle voulu par Francois Mitterand pour affaiblir la droiteĄ­
6.Edgar Faure(1908-1988)avocat et orientaliste, radical socialiste, fut cent fois ministre: des Finances et des Affaires economiques, des Affaires etrangeres, etc. Il etait president du Conseil des ministres en 1956.
7. Pierre Mendes-France(1907šC82)avocat et economiste, radical socialiste. Premier ministre apres la bataille de Dienbienphu en 1954. Son cabinet tomba en 1955. Il avait provoque lĄŻire de Poujade en proposant, pour lutter contre lĄŻalcoolisme, que les Francais boivent du lait plutot que du vin. 
8. Il faut savoir quĄŻau debut de sa carriere politique Pierre Poujade a travaille main dans la main avec les communistes (Fregeac) et quĄŻil a du une grande partie de son succes au soutien du PC, qui voulait en fait recuperer le mouvement. A partir dĄŻoctobre 1955, le PC, voyant que lĄŻUDCA ne se laisserait pas faire, sĄŻen est promptement distancee, allant jusquĄŻa appeler lĄŻallie dĄŻhier Ą°PoujadolfĄ±.
9.A remarquer que le terme de Ą°populisteĄ±, qui signifie Ą°qui accorde de lĄŻimportance aux couches populaires de la societeĄ±, est curieusement devenu un terme meprisant, voire une injure, dans la bouche de certains commentateurs et hommes politiques de gauche comme de droite. 
Lire en ligne le livre Ą°Le PeupleĄ± de lĄŻhistorien romantique Jules Michelet(1798-1874), merveille dĄŻanalyse et de poesie.
http://gallica.bnf.fr/Fonds_Frantext/T0089077.htm