Les archéologues en ont des sueurs froides. Le mur d'enceinte sud du Mont du Temple résistera-t-il au Ramadan ? Depuis plus d'un an, des spécialistes israéliens et étrangers alertent sur les risques d'effondrement de la muraille méridionale qui soutient le Mont du Temple, également appelée Esplanade des Mosquées. Si cette immense terrasse de près de 12 hectares s'effondrait, provoquant la mort de centaines voire de milliers de personnes, il s'en suivrait un cataclysme politico-religieux qui embraserait la région. Le premier test de résistance du mur aura lieu ce vendredi 8 novembre, premier jour d'affluence pendant le mois de jeûne des musulmans. Le dernier vendredi de la fête rassemble une foule encore plus nombreuse. " Le nombre de fidèles est impossible à connaître avec précision. Les chiffres annoncés varient entre 250 000 selon la police israélienne et 500 000 selon les responsables musulmans, sans que l'on sache si l'une ou l'autre évaluation est la bonne, précise un journaliste arabe-israélien. Depuis le début du Ramadan, le 6 novembre, l'armée israélienne a allégé le couvre-feu dans les villes palestiniennes sous son contrôle et, pour la première fois depuis longtemps, la police de Jérusalem n'a fixé aucune limite d'âge restreignant l'accès au site. La muraille a enflé de 50 à 70 cm sur une hauteur d'environ 5 mètres et une largeur d'une trentaine de mètres Mais de quelle sorte de dégradation du mur s'agit-il qui inquiète tant les Israéliens ? " Ce qui, il y a un an, était une protubérance de quatre mois ressemble maintenant à une protubérance de huit mois ", expliquait début octobre Eilat Mazar, archéologue et porte-parole du Comité contre la Destruction des Antiquités sur le Mont du Temple. L'image est exagérée, mais très parlante. La déformation du mur se voit à l'œil nu. La muraille a enflé de 50 à 70 cm sur une hauteur d'environ 5 mètres et une largeur d'une trentaine de mètres. Il n'est besoin ni d'instrument de mesure, ni d'être expert pour constater les dégâts. L'échafaudage installé le long de la paroi épousant la forme du mur dessine une courbe, qui souligne, s'il en était besoin, la boursouflure de l'édifice. Un examen plus détaillé avec des jumelles permet d'observer que des blocs de pierre se sont nettement disjoints. Ici ou là, des traînées blanchâtres témoignent de tentatives de colmatage. Mais en vain, l'espace n'a fait que se creuser, et rapidement. Un archéologue : " Je suis certain que ça s'effondrera si on ne fait rien. Il n'est pas certain que la mosquée Al-Aqsa s'écroulera, mais on ne peut pas l'exclure. En tout état de cause, cela la fragilisera considérablement. " Longtemps, les experts Israéliens ont été partagés sur les conséquences inhérentes à cette détérioration et sur la nécessité d'une intervention. Certains étaient alarmistes, d'autres non. Aujourd'hui, tous ou presque sont inquiets. " D'abord, j'ai pensé que c'était un prétexte qui cachait des considérations politiques. Mais ce n'est pas le cas, la situation est dramatique ", précise aujourd'hui un archéologue, qui préfère garder l'anonymat. Examinant le mur d'enceinte le 28 octobre dernier en notre compagnie, il constate : " Je suis certain que ça s'effondrera si on ne fait rien. Il n'est pas certain que la mosquée Al-Aqsa s'écroulera, mais on ne peut pas l'exclure. En tout état de cause, cela la fragilisera considérablement. " L'état des lieux est assez grave pour que le directeur de la Direction des Antiquités israéliennes , Shouka Dorfman, sorte de son habituelle réserve sur ce dossier sensible entre tous. " Je ne peux pas vous dire quand cela arrivera et je ne sais pas précisément quelle partie tombera, mais je peux vous assurer que le mur méridional menace de s'effondrer ", déclarait-il à la presse le 26 août dernier. Depuis, ce service public cultive de nouveau le silence. Contacté ces jours-ci, aucune des personnes en charge du dossier n'a accepté de nous parler, " pas même pour des explications purement techniques sur la construction du mur ". Certains mettent en cause les travaux faits par les Palestiniens pour créer une mosquée sous le niveau de l'esplanade Pourquoi et comment la situation s'est-elle tant dégradée ? Ici commence la polémique, quelles que soient les raisons techniques objectives. Les uns invoquent la dégradation naturelle liée au temps et aux mouvements de terrain, les autres mettent en cause les travaux faits à l'intérieur par les Palestiniens pour créer une mosquée sous le niveau de l'esplanade. En réalité, c'est sans doute les deux conjugués. " Pour des raisons topographiques, la muraille méridionale a toujours été la plus fragile, explique encore cet archéologue anonyme. Elle s'est d'ailleurs effondrée plusieurs fois au cours des siècles. La mosquée Al-Aqsa qui prend appui dessus s'est déjà écroulée, de telle sorte que l'édifice qui comptait quinze travées à l'origine n'en compte plus que sept. Cette fragilité est structurelle, elle est liée à la manière dont a été construite l'enceinte qui entoure le Temple, qui est la plus grande enceinte sacrée (téménos) de l'histoire romaine. Quand, en l'an 20 avant Jésus-Christ, Hérode entreprend la construction du Second Temple à l'emplacement même du Premier, il décide de rebâtir plus grand, sur une assise plus large. À l'angle sud-est – le " Pinacle du Temple " pour les Chrétiens -, le dénivelé entre le niveau de l'esplanade et la vallée s'avère tel qu'Hérode décide de combler l'écart avec une structure d'arcades plutôt que de remblayer. Ainsi, à cet endroit, le mur d'enceinte, au lieu de s'appuyer contre la colline, repose sur des arcades, d'où sa fragilité. " C'est sous la partie naturellement fragilisée du mur que le Wakf a construit la mosquée Marouani Or, c'est justement dans cet espace semi-creux connu sous le nom des " Ecuries de Salomon " - une appellation Croisée erronée -, que le Wakf, autorité musulmane responsable de la gestion du Mont du Temple/Esplanade des Mosquées, a construit ces dernières années la mosquée Marouani qui peut accueillir 5 000 à 15 000 personnes, selon les sources. Son sol se trouve à 12,5 m en-dessous du niveau de l'Esplanade. Et c'est là, à la hauteur de ce nouveau lieu de prière, que le mur d'enceinte a enflé. Le directeur du Wakf, Adnan Husseini, a d'abord nié l'existence d'un quelconque problème, tout en précisant que " le mur était boursouflé depuis trente ans " et qu'il n'y avait donc aucun lien entre cette boursouflure et les récents travaux. Il accusait par ailleurs Israël de creuser sous les fondations afin de provoquer l'effondrement de la mosquée Al Aqsa. Cependant, début octobre, Adnan Husseini a finalement reconnu que le mur pouvait s'effondrer, précisant que " les Israéliens entravent les travaux de réparation " entrepris par les Musulmans et que " les autorités israéliennes porteront la responsabilité des pertes humaines qui résulteraient de la chute du mur. " Or, depuis plusieurs années, les archéologues israéliens n'ont plus accès au site. Si tous les non-musulmans ont interdiction de visiter les lieux depuis le début de l'Intifada, le 29 Septembre 2000, les archéologues ou architectes, eux étaient indésirables bien avant. Les choses ont en fait basculé en 1996 alors que, depuis 1967 - année où l'armée israélienne conquiert la partie orientale de Jérusalem sous contrôle jordanien - il existait entre le Wakf qui gère l'endroit et les experts israéliens une certaine coopération. Or en septembre 1996, sous Netanyahou, l'ouverture d'un tunnel qui longe le mur occidental de l'Esplanade des Mosquées - prolongation du Mur des Lamentations - provoque des émeutes Palestiniennes. Les combats entre l'armée israélienne et les policiers palestiniens feront 76 morts, dont 62 Palestiniens. C'est juste après que le Wakf lance unilatéralement les travaux de la mosquée Marouani, voisine de la mosquée Al-Aqsa. Le gouvernement Netanyahou qui en a connaissance ne tentera rien pour l'en empêcher. " C'est un choix politique qui a été fait pour éviter toute nouvelle confrontation politico-religieuse, mais c'est aux dépens de la recherche et de la conservation historique ", souligne un archéologue étranger. Un diplomate européen qui a eu le privilège de visiter ce nouveau lieu de prière remarque : " Il est manifeste que ces travaux ont été faits sans aucun respect pour les vestiges, croisés ou plus anciens encore ". Israël fait appel aux Jordaniens Début octobre, devant l'aggravation de l'état du mur, les Israéliens se trouvaient dans une impasse, une situation de " Catch 22 ". S'ils décidaient d'une intervention de sauvegarde du mur sans accord du Wakf, cela provoquerait des émeutes palestiniennes. S'ils ne faisaient rien et que le mur s'effondrait, la situation serait bien pire ; le monde arabe accuserait Israël, voire les juifs, d'avoir détruit la mosquée Al-Aqsa. Toute tentative de négociation avec le Wakf s'étant avérée infructueuse, les autorités israéliennes ont décidé de recourir à un tiers, les Jordaniens. Compte tenu " de la date-butoir du Ramadan, il était de notre intérêt que les Jordaniens soient impliqués ", a déclaré Raanan Guissin, porte-parole du gouvernement. Les Jordaniens y avaient aussi intérêt : un moyen pour eux de reprendre pied sur l'Esplanade, troisième lieu saint de l'islam officiellement sous leur autorité, mais dont l'Autorité palestinienne les a écartés. Le directeur du Wakf et le mufi de Jérusalem, autrefois Jordaniens, jugés trop conciliants à l'égard d'Israël, ont été remplacés par des Palestiniens. Ikrema Sabri, le mufti de Jérusalem nommé par Yasser Arafat en 1995, a plusieurs fois déclaré que " l'Esplanade des Mosquées n'appartient qu'aux musulmans " et rejeté tout lien des juifs avec le Mont du Temple, premier lieu saint du judaïsme. L'intervention sur l'Esplanade de six ingénieurs jordaniens, membres de la Société royale scientifique, n'a guère plu au Président de l'Autorité palestinienne. Sa réponse fut immédiate. Quelques jours après, il créait un tribunal religieux palestinien à Jérusalem, alors que depuis 1967 les Palestiniens de l'est de Jérusalem utilisaient, sans aucun problème, les services de deux tribunaux, l'un jordanien, l'autre israélien. Finalement, le 28 octobre dernier, les experts jordaniens écartaient tout danger d'un effondrement immédiat Les Jordaniens ont rendu leurs conclusions le 28 octobre, consignées dans un rapport de 36 pages. Le professeur Raich Najim, un de ses rédacteurs, confirme la dégradation, l'attribue à l'infiltration des eaux de pluie et aux variations de température, et enfin reconnaît la nécessité de faire des travaux, notamment de remplacer les blocs de pierre à l'épicentre de la protubérance. En revanche, il écarte tout " danger " d'un effondrement immédiat. La Direction des Antiquités israéliennes, fidèle à sa tradition de discrétion sur le sujet, s'est refusé à tout commentaire. " Si on ne commente pas c'est qu'on a rien à dire ", nous a précisé un fonctionnaire israélien. " Mais, il était de notre intérêt qu'il y ait une expertise jordanienne. "