• LE MONDE | 24.07.02 | 12h24 • MIS A JOUR LE 24.07.02 | 17h59 Les justifications du gouvernement Sharon ne convainquent pas les Israéliens JÉRUSALEM correspondance En Israël, personne ou presque, y compris dans l'opposition, n'a mis en doute la nécessité d'éliminer un personnage réputé aussi dangereux que Salah Chéhadé, mais beaucoup s'interrogent sur les conditions dans lesquelles cette action a été effectuée. Les médias ont rappelé le bilan macabre du chef de la branche militaire du Hamas, cerveau des attentats les plus meurtriers commis depuis deux ans.     Néanmoins, les médias israéliens, télévision et presse confondues, ont surtout mis l'accent sur les critiques nombreuses que suscite cette "liquidation". La télévision a longuement montré les images des enfants blessés ou tués par cette bombe d'une tonne. Mardi soir, en ouverture du journal de 20 heures, le présentateur a souligné que "Chéhadé était une cible juste, mais manifestement l'endroit ne l'était pas". Ce matin, le quotidien Maariv pose, en première page, trois questions qui sont sur toutes les lèvres. Comment les renseignements pouvaient-ils ignorer la présence de civils dans la zone ? Pourquoi l'armée a-t-elle lancé une bombe d'une tonne qui forcément ferait beaucoup de dégâts ? Et enfin, pourquoi avoir agi au moment précis où il y existait quelques signes encourageants de reprise de contacts, de collaboration sécuritaire entre Israéliens et Palestiniens, voire même d'une possible trêve négociée des attentats avec le Hamas ? L'éditorial est intitulé : "Sharon s'est trompé". Pour Amos Harel, correspondant militaire du quotidien Ha'aretz, "cet assassinat a déjà un résultat : l'armée sera obligée de rester dans les villes de Cisjordanie pour un long moment (...) afin d'empêcher les attaques sur les cités israéliennes." Les autorités israéliennes ont passé leur journée de mardi à présenter leurs excuses et leurs regrets pour la mort de civils. Le message n'était pas seulement destiné à la communauté internationale mais aussi à la population israélienne, ébranlée par la mort de neuf enfants. Au-delà de la polémique entre l'armée et les politiques qui se rejettent la responsabilité de cette affaire, les explications données par les autorités israéliennes n'ont guère convaincu. "TERRORISME D'ÉTAT" "Si nous avions su qu'il y avait des civils, nous n'aurions pas déclenché l'opération", expliquent militaires et responsables politiques imputant ainsi la faute aux services de renseignement. Ce à quoi experts, journalistes et simples citoyens répondent : "Ne vous moquez pas de nous ! Comment pouviez-vous espérer qu'il n'y ait pas de civils dans un quartier aussi surpeuplé de Gaza ?" Une réalité que certains responsables admettent sous couvert d'anonymat. La décision d'agir aurait donc été prise délibérément, en dépit de la présence de civils. Pour nombre de commentateurs, cela traduit un changement de politique, voire de philosophie au sein de l'armée israélienne. C'est en effet la première fois qu'un assassinat ciblé cause la mort d'autant de civils. Pour Yossi Sarid, chef de l'opposition, cette action est une erreur. Il a accusé le gouvernement de pratiquer un terrorisme d'Etat. "Ce n'est pas assez de s'excuser. Quand des enfants et des femmes sont victimes, c'est une forme de terreur". Ce raid a suscité un tollé dans le monde entier. Javier Solana, représentant de l'Union européenne, a dénoncé "cette opération d'assassinat extrajudiciaire visant une zone densément peuplée". Romano Prodi, président de la Commission européenne, a dénoncé un "acte de guerre qui alimente le désespoir et rendra bien plus difficiles les efforts pour aboutir à la paix". A Londres, le Foreign Office a déclaré "inacceptable et contraire au but poursuivi" cette opération de même que le Quai d'Orsay, tandis que Yasser Arafat s'est "demandé comment le monde entier peut rester silencieux et ne pas faire cesser ces crimes". Catherine Dupeyron • ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 25.07.02