:                      Le  cauchemar de l’antisémitisme est ailleurs :

                                     Impressions d’une  juive altermondialiste

 

 

  

Lorsque les rumeurs concernant l’antisémitisme des altermondialistes français se sont amplifiées au sein de la communauté juive  jusqu’à déborder sur certains médias,  la  nécessité de comprendre  les fondements ,ou  non fondements de  cette  accusation s’est imposée à moi.  D’emblée, j’ai situé cette accusation dans le contexte général et  plus  particulièrement dans la campagne mondiale des autorités juives visant à  assimiler tout opposant à la politique d’Israël à un potentiel antisémite fut il  juif et même pratiquant. La stigmatisation de la  France  comme  pays hautement antisémite entre dans ce capharnaüm ; « là bas», en Israël, « on » va jusqu’à  inventer  des  positions  attribuées à la France ce qui pervertit le débat , amplifie les peurs , maintient le   problème sur la sellette et ,ce même si un démenti arrive après la rumeur. Peu, parmi les « esprits  éclairés »sont dupes. Ces pratiques du chantage et de la diffamation témoignent d’un échec politique, d’une  position d’acculé  mais elles laissent traces sur les personnes  destabilisées et dont la source d’information est souvent limitée  à la communauté  .

Cela étant posé, je me dois de dire que la peur de l’antisémitisme s’est vraiment aggravée en moi, ou du  moins ,il serait plus juste de dire que j’ai vécu avec cette peur dormante et qu’à  présent, elle est plus vivace. Cette peur ne me conduit pas, contrairement à la majorité des juifs , à rechercher des antisémites partout . C’est, selon moi, principalement dans la politique suicidaire d’Israël qu’il me semble plus juste de rechercher  les causes de cette résurgence qui ,certes, n’est pas du tout à minimiser.

 

. Il va de soi que si le mouvement altermondialiste s’avérait être entaché  d’antisémitisme, je le quitterais en faisant connaître ma position; il me serait  impossible de pactiser avec des antisémites et cela même si ma vie se mène hors de la communauté juive et hors de tout ghetto. Consciente du fait que souvent, dans l’histoire, des juifs n’ont pas voulu  voir  venir l’antisémitisme et ont minimisés les actes et propos antisémites, j’essaie d’être vigilante, sans complaisance sans pour autant dramatiser.. N’ayant déposé aucun enjeu dans ce mouvement et notamment dans le Forum social européen; ma parole y est libre,  n’engage que moi .

 

  Pour la compréhension de mon positionnement , j’éprouve, là, le besoin d’évoquer une part de mon cheminement non pas, pour légitimer par des considérations personnelles ma position  mais parce que je ne veux pas faire comme si j’étais une abstraction .Je n’entends pas biaiser dans un débat aussi complexe mais je  ne prétends pas faire une analyse. L’interculturalisme a imprégné ma vie amoureuse  et mes .filles se sont épanouies dans cette ouverture : juifs ,catholiques et musulmans cohabitent  dans la famille. Tout naturellement, j’ai soutenu d’abord le peuple algérien puis  le peuple  palestinien ainsi que les pacifistes israéliens. Je n’ai jamais été sioniste. A l’invitation de Gush Shalom (Bloc de la Paix), j’ai participé en hiver 03 à une mission en Israël et Palestine; mission d’intellectuels français d’origine  juive.

 Pour moi, au retour, les témoignages de ce que nous avions pu voir, comprendre  ne furent pas toujours aisés; c’est surtout  là, que j’ai pris conscience que des personnes ne « pensaient »qu’au travers de leur appartenance  communautaire, ce qui  me semble plutôt effrayant.

 Ce constat a renforcé mon désir d’implication dans le FSE,vécu comme un  lieu d’ouverture sur le monde ,de non  repli, non crispation.

  C’est alors, que j’entendis des rumeurs allant s’agrandissant: les altermondialistes seraient des antisémites en commençant par José  Bové  qui à son retour d’Israël avait tenu des propos qui lui ont valu de vives protestations de la part de la majorité de la communauté  juive.

Ces rumeurs ( altermondialiste=antisémite)  s’inscrivent, rappelons le dans un climat général au sein duquel, les peurs sont  agitées. Ainsi, la peur ancestrale de disparaître qu’ont les juifs (le  complexe de Massada : anéantissement du 2° temple ,70 ans après J.C) est,  au  travers  d’un glissement inconscient, traduite  immédiatement par peur de la disparition d’Israël. A la peur structurelle s’ajoute la part immense de l’imaginaire dans cette douloureuse question  ce qui  pèse sur les clarifications ; pourtant, gommer cette dimension, serait faire de la politique en dehors de l’être humain et de la  complexité de son histoire. Il  demeure  cependant, que, constamment, l’amalgame est cultivé entre Israël – plus précisément politique actuelle d’Israël- et les juifs en général. L’équation simple perdure: toute  personne  ou  groupement  qui ne  soutiendrait pas Israël est un antisémite potentiel. Parallèlement, une attitude pernicieuse s’installe: l’islamophobie est souvent occultée; les difficultés, voire l’échec de ce qu’on  nomme couramment intégration, n’est pas pointé, pas même évoqué parfois. Ainsi, des populations niées dans leurs difficultés deviennent plus perméables au discours communautaire et à celui d’intégristes.

 

  Dans le mouvement  altermondialiste, il est impensable que la  politique de type sharonnienne ,que toute politique qui nie les droits légitimes des palestiniens puisse être glorifiée. Les associations de soutien au peuple palestinien qui se positionnent dans le flux altermondialiste , qui réclament deux états y ont évidemment leur place. Ces associations n’ont ,d’ailleurs ,pas la vie facile actuellement et cela peut se refléter dans certains débats du F.S.E. La subtilité politique qu’exige un tel soutien ne peut pas être  l’apanage de ceux qui ont tendance à la schématisation . Le fait donc, que ces associations participent au F.S.E  semble vraiment titiller ceux qui agitent le spectre de l’antisémitisme en évoquant le courant altermondialiste.

 Mais, il y a peut  être  pire, le vers serait dans le fruit et  le vers serait tout ce qui se nomme « musulman ». Là, il faut crier fort et contribuer à arrêter les délires.

Les musulmans qui se situent dans ce courant ont leur place dans le FSE au même titre que d’autres associations qui  se  revendiquent d’une religion et qui acceptent la Charte de Porto Alegre, sa déclinaison européenne. Cet espace  FSE est , d’ailleurs une excellente agora pour ouvrir les ghettos; c’est un des objectifs  recherché. Dans ce processus, les  personnes peuvent  se  connaître , se confronter  et  échanger .

 Qu’il y  aient  des  tensions ,des pratiques de bluff et de forcing pour accaparer  cette opportunités de visibilité , qu’il y aient des scories parfois voire des grosses escarbilles, des retombées  des obscurantismes extérieurs ; c’est   inévitable  car  nous  ne  sommes ni étanches ni hors champ ; cela reste , cependant, minime en regard de tout ce qui se débat ,se brasse. Cela semble pouvoir s’évacuer  sans secousses destabilisantes.

 Le FSE se  pense, se projette dans une précieuse  pépinière de débats présents et potentiels qui ont principalement, d’autres enjeux que les enjeux politiciens et électoralistes.

 

C’est donc, après avoir fait remonter mes contradictions et tiraillements  que  je me  sens autorisée à dire qu’il n’y a pas un antisémitisme dominant dans le FSE. Dire, voire  laisser entendre, que le mouvement  altermondialiste  français serait  entaché  d’antisémitisme est une bassesse contribuant à accentuer les haines communautaires ; par ricochet, une telle position vise à marginaliser  une  recherche  qui ,si elle ne peut pas encore s’auto désigner novatrice, n’en demeure pas moins nouvelle.

Labourer des voies alternatives est un pari ardu . Au delà de ce problème de l’exacerbation des communautarismes  qui porte en lui, qui peut être  le creuset de dérives gravissimes, le fond du problème réside dans la  difficulté  de répondre à ce qui se trame dans les « zones »,dans ce qu’on nomme avec le terme générique de banlieue. S’imaginer  que  l’élargissement  (terme émanant du FSE ) aux banlieues passe d’abord par les musulmans me semble réducteur. Lorsque l’on ne connaît  de cette banlieue que les salles de réunions , l’appel des sirènes  de ceux qui  font le plus de bruit à un moment donné est sûrement commode pour pallier cette carence mais , hélas cette carence est l’apanage de tous et on ne peut que désirer sortir de cette impasse.

Mais aussi, ce n’est sûrement pas en se crispant sur une seule sorte de dérive possible – celle  que des  musulmans porteraient en eux  ainsi que semblent l’insinuer  certains sionistes- que l’ont fera tomber les murs. Faut il encore et encore rappeler que nombre de démocrates sont pratiquants, que nombre de religieux ont sauvés des  opprimés  et sont altruistes.

 Au delà de l’appartenance est la personne . Là est l’exigence;  une  exigence  qui  transparaît,  me semble dominante dans le climat , l’atmosphère  altermondialiste, porto alégrienne.

Alors, faudrait il laisser s’exprimer ces rabats joies, ces tristes sires, ces brasseurs, agitateurs  de cauchemars sans réagir ?

  

 

                                         Michèle  Zémor

                                         

                                                     23 Octobre 2003