Refusé par les chaines de télévision française, notamment Arte, le film de Pierre Carles a été cependant présenté au festival du cinéma du réel du centre Georges Pompidou, déclenchant une mini émeute : programmé dans une petite salle, le film a en effet attiré deux fois \"trop\" de spectateurs. Reprogrammé un dimanche dans la grande salle à 11H30, la séance a commencé avec 1h00 de retard, l\'ouverture des guichets à 11H00 ne laissant pas le temps matériel de remplir la salle. Selon un spectateur, sans doute disciple de Derrida, si on en croit la qualité de ses jeux de mots (\"God\'art nique Bourre-Dieu\", allusion à une scène du film où Pierre Bourdieu reçoit un pli fort énigmatique de Jean-Luc Godart), le film est encore plus mauvais que \"Pas vu, pas pris\". Angle d\'attaque : Pierre Crales s\'est contenté de suivre Pierre Bourdieu pendant trois ans et n\'a pas donné la parole à ses contradicteurs. On pourrait rebondir sur cette critique on constatant que paradoxalement ce film n\'est pas très \"bourdieusien\", dans la mesure où la trajectoire de Pierre Bourdieu n\'est pas resituée dans le champ, ou les différents champs dans lesquels il intervient. Ce qui est déjà très différent de la fausse objectivité qui consisterait à relayer des attaques qui ne pourront avoir échappé à personne, sans que les médias aient par contre jamais fait le moindre effort pour \"rendre compte\" des activités de Pierre Bourdieu qui restent largement inconnues du grand public. En cela le film de Pierre Carles comble un vide béant : pourquoi un chercheur français mondialement connu et reconnu, et d\'abord par ses pairs, est-il aussi peu connu dans son propre pays, lors même que des \"intellectuels\" médiatiques (qui font le jeu des médias), inconnus ou discrédités scientifiquement, au moins à l\'étranger, bénéficient de l\'omniprésence de leurs opinions faites pour et par les médias ? Poser la question, c\'est déjà y répondre, et le refus par Arte du premier portrait télévisuel de Pierre Bourdieu, qu\'on s\'arrachera sans doute à l\'étranger, renforce la conviction que le champ des médias exerce bien une censure structurale sur la diffusion des idées et impose sa propre hiérarchie intellectuelle, à l\'opposé des hiérarchies établies dans le champ intellectuel par la reconnaissance de la valeur des travaux soumis à la critique du monde scientifique ( outre que les réussites scientifiques ne semblent pas avoir la même valeur que les victoires sportives : recevant la médaille Huxley à Londres, équivalent du Nobel d\'anthropologie, Bourdieu n\'a pas été gratifié d\'une seule ligne dans le Monde qui titrait en une avec photo sur une victoire française au Super G de Val d\'Isère...). On peut bien sûr toujours trouver le principe du portrait complaisant, mais celui-ci, dans le contexte évoqué, permet au moins de faire connaître le Bourdieu que tout ceux qui l\'approchent dans ses activités professionnelles connaissent, et de rétablir au passage une image un peu plus juste d\'un homme qu\'un hebdomadaire avait affublé du titre \"d\'intellectuel le plus puissant de France\", photo menaçante et dominatrice à l\'appui. Mais surtout, c\'est l\'occasion d\'entendre Pierre Bourdieu s\'exprimer longuement, devant des publics très différents, Pierre Carles ayant fait le choix très efficace de ne pas l\'interroger directement : on l\'entend donc répondre à des journalistes, s\'exprimer dans des conférences comme il en a l\'habitude, à l\'issue desquelles il discute souvent avec des inconnus venus lui confier des souffrances liées à la difficulté de mener leurs recherches dans le monde académique ou dans le monde tout court, et encore dans des réunions de travail. Ce qui permet d\'entendre les longs développements nécessaires et totalement incompatibles avec les impératifs de la télévision tels qu\'analysés dans \"Sur la télévision\". Le point d\'orgue est sans doute la très longue confrontation avec les jeunes du Val Fourré, dont personne ne sort indemne : on n\'a jamais montré comme ça à la télévision ce que la télévision appelle \"la banlieue\". Grâce à la lucidité des programmateurs, il faudra donc, pour le moment, aller au cinéma pour le voir... dossier de presse et liste des salles : http://www.homme-moderne.org/images/films/pcarles/socio/index.html