Elle n’aurait jamais imaginé cela. A la rentrée de janvier, Marie-Paule Hervieux, prof d’histoire dans un lycée parisien, organise une projection de «Nuit et Brouillard» pour sa classe de terminale économique. Des élèves soupirent, se couvrent les yeux, sabotent le film. Et une jeune fille, 17ans, beurette sans complexe, lui lance: «Y en a marre du ressassement de la souffrance des juifs! Et nous? Et les Palestiniens?» Le monde de la prof s’est effondré. Passionnée par son métier, organisant des conférences d’anciens déportés, des voyages d’enfants à Auschwitz, elle ne croyait pas que l’on puisse s’abstraire de l’horreur, ni exprimer de l’antisémitisme dans un cours sur la Shoah. Depuis, elle réalise. Qu’une de ses collègues a renoncé à sa projection, parce qu’elle redoutait les réactions des adolescents. Qu’en salle des profs, certains trouvent effectivement qu’elle en fait trop, elle, la non-juive, et que la Shoah n’est plus de mise quand souffrent les Palestiniens. Marie-Paule Hervieux a rejoint le camp des pessimistes. Celui du collectif de professeurs, qui a publié, en septembre, un livre terrifiant: «les Territoires perdus de la République» (Editions Mille et Une Nuits). Ce livre est né du désarroi d’enseignants en histoire face aux réactions de leurs élèves musulmans, quand était abordée en classe la question du génocide des juifs. Il rassemble des témoignages, des expériences, des citations d’enfants. «On aime bien l’histoire, en ce moment, on fait la Seconde Guerre mondiale, et les juifs en prennent plein la gueule», raconte un élève. Un petit malin vante «l’ingéniosité» des nazis, qui ont trouvé une méthode «pour exterminer le maximum de juifs». Un autre encore: «Hitler, lui, il avait compris.» Ou bien: «Hitler, il aurait fait un bon musulman…» Plonger dans les collèges de la République est une expérience étrange. On y voit des jeunes gens adorables par ailleurs, des gosses durs mais attachants, que les professeurs voudraient tirer vers la citoyenneté, sortir de cette victimisation dans laquelle ils se complaisent. Transformer ces jeunes, arabes, musulmans, souvent pauvres, forcément humiliés, en individus agissant et parlant pour eux-mêmes. Mais les effets de groupe sont si forts, et si commodes les haines inventées par d’autres. Certains interrogent professeurs et pions pour débusquer les enseignants juifs – et savoir ensuite s’en méfier. D’autres écrivaient «mort aux juifs!», ou «vive Ben Laden! » sur leurs cahiers d’écoliers ou sur les murs après le 11septembre. «Sales juives, on va vous faire la peau, la journée ne se passera pas sans mort», ont lancé en juin dernier des jeunes filles en fleur de Brunoy à des gamines d’un collège juif venues passer le brevet dans leur établissement. A la fin de la journée, une petite juive, rossée, a fini avec une minerve. On regarde les jeunes, on se fait peur. Puis on se dit que les enfants ne sont pas seuls responsables. Ce sont des adultes qui leur ont transmis leur passion: l’idée que la mémoire de la Shoah serait l’instrument d’Israël pour légitimer l’oppression des Palestiniens a été popularisée par des intellectuels pro-Palestiniens. Et ce sont des adultes qui encouragent la haine par leur lâcheté. Quand Joëlle, prof en banlieue parisienne, s’est effondrée en larmes en pleine classe, après avoir été bombardée de gommes et de règles par des élèves déchaînés et ravis «d’avoir fait l’intifada contre la prof juive», son proviseur a refusé de sévir contre les fauteurs de troubles. C’était une «action collective», a-t-il expliqué, on ne pouvait pas désigner des responsables! Il y a deux ans, dans un collège des Hauts-de-Seine, un surveillant, salarié de l’Education nationale, musulman en dérive intégriste, sollicitait une jeune prof d’histoire, sur le mode amical, pour lui demander des livres sur le négationisme. Et expliquait aux beurs et beurettes qu’il fallait «éliminer les juifs». Certains d’entre eux, choqués, allèrent voir une médiatrice. Laquelle alerta la principale. «C’est embêtant», dit celle-ci. Elle se contenta d’un vague rapport sur la paresse du pion. On le changea de collège. L’année suivante, il pourrissait l’esprit d’autres enfants.