Des images peuvent-elles être assimilées à des incitations à la haine, à des actes inspirés par le racisme et la xénophobie ? Oui, estiment 164 personnes, juives et non juives qui, excédées par la couverture partisane du conflit du Proche-Orient par la télévision publique belge, ont déposé plainte devant le tribunal correctionnel de Dinant contre la RTBF - la radio-télévision belge de la Communauté française, et plus particulièrement contre l'un de ses rédacteurs en chef, Michel Konen, ainsi que contre les journalistes Pascale Bourgaux et Yves Thiran. La plainte s'appuie sur la loi de 1981 tendant à réprimer les actes inspirés par le racisme et la xénophobie. La première audience a été fixée au 13 mai prochain. Information biaisée, partisane, tronquée : depuis des années, la communauté juive de Belgique et les amis d'Israël sont mal à l'aise avec la manière dont les médias et la radio-télévision publique, francophone en particulier, traitent du Moyen-Orient. Depuis la seconde Intifada, le malaise est devenu colère, permanente, quotidienne. Les informations fausses, les dérapages se multiplient. Davantage un sentiment anti-israélien que de l'antisémitisme traditionnel Mais est-ce vraiment encore de simples et "malheureux dérapages" ? Pour certains observateurs, le choix et l'enchaînement des images, les commentaires et interviews tronqués où faussement illustrés, les amalgames faciles ne sont pas sans effet auprès du public sur la perception des faits. D'ailleurs, à propos de la multiplication depuis deux ans d'actes antisémites en Belgique, l'Anti Difamation League montre dans une étude que 62% des Européens interrogés estiment que les violences qui ont éclaté en Europe contre les populations juives découlent plus de sentiments anti-israéliens que de l'antisémitisme traditionnel. Dès lors, souligne l'ADL, il est évident que la déontologie professionnelle impose aux journalistes la plus grande prudence dans le reportage des faits et leurs commentaires. Or, certaines images et commentaires diffusés ces derniers mois vont bien au-delà de la simple critique : ils réveillent de vieux stéréotypes. La goutte qui a fait déborder le vase Le 24 avril 2002, l'édition du 13h du journal télévisé diffuse un reportage relatif au conflit israélo-palestinien, commenté par Pascale Bourgaux. La première partie est consacrée à la bataille de Jénine au cours de laquelle 47 Palestiniens armés et 23 soldats Israéliens ont trouvé la mort ainsi que 5 civils Palestiniens. Une bataille à propos de laquelle la propagande arabe tente d'accréditer la thèse d'un "massacre", alors que les Nations Unies, Human Rights Watch et Amnesty International, pourtant très critiques à l'égard d'Israël, confirmeront rapidement qu'il n'en est rien. La seconde partie du reportage est consacrée au siège de la Basilique de la Nativité, à Bethléhem, séquence introduite par Pascale Bourgaux qui indique qu'"à Jénine comme à Bethléem, les récits des témoins contredisent les versions officielles israéliennes". Puis, sans transition, apparaît à l'écran un prêtre arménien qui dénonce le pillage de la basilique de la Nativité. Doublant la voix du prêtre, le journaliste de la RTBF, Yves Thiran, commente :"Ils ont tout volé, tout absolument tout. Ils ont ouvert les portes une par une, et ils ont tout volé. Ils ont volé nos livres de prière, nos crosses. Un collègue, il a quatre crosses, ils les ont toutes volées". Suivent immédiatement des images montrant des soldats israéliens à l'extérieur de la basilique, dont l'un aide un prêtre à se diriger vers une ambulance. Le reportage se termine sur un gros plan de l'étoile de David symbole de la "croix-rouge" israélienne, peinte sur une ambulance militaire. Le journaliste laisse croire que les saccages et vols dans la Nativité sont le fait des Israéliens À aucun moment les journalistes belges ne préciseront que le prêtre parle des militants palestiniens qui ont investi la basilique, laissant croire au contraire que les saccages et vols sont le fait des Israéliens. Idée renforcée par l'image des soldats israéliens et de l'Etoile de David, symbole du judaïsme et du drapeau israélien. Pour mémoire, aucun soldat israélien n'a au cours des semaines de siège pénétré dans cette église, ce que rappelle d'ailleurs le commentaire de l'agence de presse Reuter qui accompagne les images produites elle. Et, ainsi que le prouvent les plaignants qui ont remis tous les documents pertinents à la justice, la dépêche écrite de Reuter ne laisse aucun doute sur le déroulement des faits et les auteurs des exactions : les Palestiniens retranchés dans la basilique. La RTBF et ses journalistes ne pouvaient donc ignorer que les auteurs du pillage des reliques chrétiennes dénoncé par le prêtre arménien sont ces Palestiniens. Il s'agit donc bien d'un enchaînement trompeur, d'une manipulation d'image et d'une falsification de la vérité. Actes "manqués" ou diffamation ? Simple erreur de traduction, "imprécision due à un montage tardif" ou "erreur d'interprétation d'images", comme l'affirme la RTBF ? Difficile à croire quand on connaît l'enchaînement des opérations et le nombre d'intervenants au sein de la rédaction pour le montage d'un journal télévisé et les documents Reuter accompagnant ces images. Volonté délibérée de nuire ? Bien que la RTBF s'en défende, le fait est là et le résultat évident : la RTBF accuse les forces israéliennes d'exactions qu'elles n'ont pas commises, elle passe sous silence les véritables auteurs des faits (les Palestiniens) et accuse implicitement l'État d'Israël de profaner des lieux saints les plus sacrés du christianisme. De quoi soulever l'indignation des chrétiens et raviver, quand ce n'est pas légitimer, les plus vieux réflexes antisémites... Plus grave : le même reportage a été diffusé par la chaîne francophone TV5 dans le monde entier, regardée en particulier en Europe, au Canada, dans le Maghreb, en Afrique et en Océanie. Si la RTBF, assaillie de plaintes a, deux jours plus tard, dû reconnaître sur antenne qu'elle "avait à tort laissé sous entendre" que les exactions avaient été commises par les Israéliens, TV5, en revanche, n'a jamais diffusé ce rectificatif. Les actes diffamatoires de la RTBF à l'égard d'Israël s'inscrivent, soulignent par ailleurs les plaignants, dans un contexte de dénigrement systématique, de manipulation permanente de l'information, de mensonges, voire d'apologie indirecte de crimes graves. Comment interpréter sinon, demandent-ils, le fait que la RTBF ait établi des liens directs entre son propre site, Internet http://www2.rtbf.be, et 13 sites représentant les "acteurs palestiniens" dont, en particulier, le site du Hamas et celui VHO.org - un site négationniste, néo-nazi belge. La loi de 1981 réprime les actes de racisme et de xénophobie Pour les plaignants - qui, à l'instar de Francis Moureau, ne sont pas tous juifs - il s'agit donc bien d'une intention délibérée de manipulation de l'information de la part de la RTBF, avec incitation à la haine et à au racisme. Après les interventions directes orales et écrites auprès des responsables de la RTBF, du ministre de l'Audiovisuel de la Communauté française, M. Miller, et de la Justice, M. Verwilghen, les plaignants - qui se sont constitués parties civiles à titre individuel - ont décidé d'intenter une action en justice en invoquant la loi de 1981 qui réprime les actes de racisme et de xénophobie. Pour la RTBF, le rédacteur en chef Michel Konen en tête, il s'agit ni plus ni moins "d'une opération politico-médiatique menée par des personnalités plutôt extrémistes". Une task force fonctionnant sur base d'un forum Internet Ceux que Michel Konen et ses journalistes visent ainsi sont des personnes - juives et non juives - qui se sont regroupées au sein d'une "Task force" dont l'objectif est de repérer les "dérives" des médias et d'intervenir lorsque nécessaire pour obtenir une rectification. La Task force n'est pas une "organisation". Elle n'a ni chef ni statut. Elle fonctionne sur base d'un forum Internet,"www.desinfo.be ", où se retrouvent en permanence quelque 500 personnes. Elle décide d'agir ou non à partir des réactions enregistrées à certains faits qui y sont dénoncés. Ni insultes, ni violences, pas d'incitations à la haine : le modérateur veille scrupuleusement au respect des règles et tous les documents écrits, audio et/ou vidéo critiqués sont mis sur le net pour que le public puisse juger par lui-même. Fini le temps des courriers des lecteurs ou coups de téléphone qui inondent les rédactions. Fini le temps des discours en ordre dispersé. Il est temps, dit-on à la Task Force, d'organiser une réponse plus "structurée", de définir une stratégie. Elle entend travailler sans agressivité et de manière professionnelle selon quatre axes : le juridique (les actions légales), la communication (les publications, les contacts avec la presse, la rédaction de communiqués), la high tech (gestion du site internet) et les relations publiques (les contacts dans et hors la communauté juive). Tous, y compris les avocats, travaillent bénévolement. Les frais de justice et de publication sont assurés par des contributions volontaires, il n'y a pas d'affiliation de "membres". Une stratégie dont les premières manifestations sont perceptibles. Les actions légales : outre le procès intenté à la RTBF, la Task force s'est intéressée, en collaboration avec le très officiel Centre pour l'Égalité des Chances, à trois autres procédures judiciaires : la première visait - et en a obtenu la fermeture - le forum Internet Wanadoo-Belgique devenu la "plaine de jeu" des intégristes de Belgique. La seconde, en cours, vise deux autres sites islamistes intégristes qui multiplient les propos racistes et antisémites. Enfin, la troisième porte contre le site néonazi VHO. Côté "publication", la Task Force vient de publier un petit opuscule intitulé "Légal, Illégal - racisme, désinformation, négationnisme, peut-on se défendre ?" qu'elle entend diffuser gratuitement aussi bien dans la communauté juive que dans la communauté musulmane. On y trouve les définitions précises de ce qu'il faut entendre par racisme, antisémitisme, xénophobie mais aussi ce que sont, aux termes de la loi, les délits racistes, négationnistes, de presse, de diffamation et de calomnie. Sont également énumérés des moyens légaux ou alternatifs disponibles pour y répondre.