Dan Bar Or est psychologue, membre du département des sciences du comportement à l'université de Beersheba, en Israël. Psychologue militaire de réserve durant la première la première Intifada, il a mené une enquête sur le traumatisme psychologique subi par les les soldats israéliens dans ce type de conflit. Les conclusions de son rapport, établi en collaboration avec l'un de ses collègues, Charlie Greenbaum, n'ont jamais été rendues publiques par l'armée. A la suite de leur travail, les deux hommes ont été rayés des cadres de l'armée. Après plus d'un an et demi de conflit avec les Palestiniens, et après les violences de ces dernières semaines, quelles peuvent être les équelles psychologiques pour les dizaines de milliers de soldats israéliens, conscrits et réservistes, qui ont participé aux opérations militaires dans les territoires palestiniens ? Tant que la situation politique restera tendue, les conséquences psychologiques de ces événements n'apparaîtront pas. La société israélienne -- et avec elle les soldats -- vit dans le consensus qui suit chaque attentat meurtrier en Israël et qui justifie les opérations militaires dans les territoires. Lorsque cette période va s'achever, que l'on va de nouveau parler de processus de paix, alors les effets vont commencer à se faire sentir, car les soldats qui ont vu ou commis des violences vont se sentir abandonnés. L'armée ne veut pas reconnaître qu'il existe des dommages psychologiques; or il est vital qu'elle prenne en charge les personnes impliquées dans tous les types de violence. Mais si les choses se passent comme après la première Intifada, personne ne voudra s'en occuper. C'est alors que la situation peut devenir dangereuse pour eux et pour la société israélienne. Que voulez-vous dire ? Nous nous sommes tous habitués à un niveau de violence extrêmement élevé. Nous apprenons même à vivre avec la menace des attentats-suicides. Aussi je crains que l'anormal ne devienne la règle. Et après le retoiur des soldats à la vie civile, il se peut que nous assistions à une augmentation de la violence dans les rues, dans les familles, à un accroissement du nombre de suicides ou même à des assassinats politiques. En outre, c'est lorsqu'ils ne seront plus dans la routine de l'armée, soumis à des ordres, lorsqu'ils partiront à l'étranger ou en vacances, que les militaires vont commencer à avoir des cauchemars, à devenir nerveux. Je connais des hommes qui, depuis la fin de la première Intifada, [en 1993] ne sont toujours pas parvenus à revenir à leur vie antérieure et qui errent dans la jungle, au Brésil ou ailleurs. Depuis douze ans, la société israélienne apparaît chaque année un peu plus violente; les violences scolaires et domestiques, y compris les meurtres, augmentent, le nombre des accidents de la route également. La violence verbale à l'égard des Arabes est devenue banale. Certains attribuent l'ensemble de ce phénomène à la vague d'immigration qu'a connue le pays durant cette période. Pour ma part, je reconnais qu'il est difficile de faire un lien direct entre cet état de fait et les conséquences de la première Intifada, mais j'estime qu'on ne peut l'exclure. En outre, si l'on en croit les études menées par les Américains après la guerre du Vietnam, les conséquences d'un conflit vécu par les pères se font sentir sur la deuxième génération. Vous vous dites convaincu que les effets de la situation actuelle seront encore pires que ceux de la première Intifada. En quoi les deux conflits se distinguent-ils ? Cette fois, on a assisté à une "barbarisation" des deux côtés: les attentats-suicides côté palestinien et la réponse militaire dans les territoires côté israélien. Les soldats ont dû entrer dans des maisons, violer l'intimité des personnes, faire du mal à des civils innocents, à des femmes et à des enfants. Il n'étaient pas préparés à se retrouver dans ce type de situation. La guerre n'est jamais saine, mais cet aspect-là -- faire la guerre à des civils -- est particulièrement malsain. Et il y a peu de chances pour que tous les soldats confrontés à ce type de situation suivent un traitement psychologique approprié. Car, encore une fois, l'armée nie les effets secondaires. Prenez l'exemple de Jénine: l'armée n'a pas souhaité que les soldats témoignent. Au-delà des raisons légales, le fait est que, à partir du moment où les gens se mettent à parler, tout peut sortir, et certains peuvent se rendre compte que ce qui s'est passé là n'entrait pas dans la norme. Par ailleurs, les actes de vandalisme et de vols que l'armée a reconnus s'expliquant à la fois par le fait qu'il n'y avait pas d'ordres très clairs en termes de comportement et par la rage provoquée par les attentats. Après de telles expériences, quel regard ces soldats peuvent-ils porter sur les Palestiniens ? C'est une génération perdue. Pour que quelque chose de nouveau se produise entre les Palestiniens et les Israéliens, il faudrait dix années d'arrêt total des violences. Il faudra une nouvelle génération pour réhumaniser les rapports entre les deux parties et pour que disparaisse cette xénophobie à l'égard de l'autre. Dan Bar-On a publié: "Legacy of Silence: Encounters with Children of the Third Reich" (1989), (on signale une traduction française), "Fear and Hope: Three Generations of Holocaust Survivors' Families" (1995), "The Indescribable and the Undiscussable" (1998).