Le terme] " corruption " n’a de sens que dans un monde ouvert et transparent " Quand on entend dire — fréquemment ces derniers temps — qu’un haut responsable arabe est en procès parce qu’accusé de corruption — on peut raisonnablement déduire que le pauvre homme n’était pas suffisamment corrompu. En effet, les accusations de corruption n’ont de sens que dans un régime ouvert et transparent, aux règles et règlements connus [de tous] et bien établis imposant de rendre des comptes au moyen de dispositifs indépendants et neutres. ?Dans le [monde] arabe, où les régimes sont absolument autocratiques, le concept de corruption perd tout son sens, la volonté du dirigeant faisant office de loi : c’est lui qui décide de ce qui est permis ou pas, ses bonis et cadeaux devenant un gagne-pain légitime. Si le dirigeant le souhaite, il accordera à ses fils le monopole de l’import ou de l’export, leur permettra d’acheter à l’étranger des biens pour un dixième de leur valeur et d’être ensuite remboursés de leur coût intégral par l’Etat ; [s’il le souhaite], il permettra à ses amis et proches d’utiliser les biens publics et les revenus de l’Etat et leur accordera des terres. Il s’agira alors d’‘acquisitions légitimes’. " Etre corrompu dans le monde arabe, c’est désobéir au dirigeant " La seule [forme de] corruption est la désobéissance au dirigeant… Le pacte entre le dirigeant et les hommes de sa cour, son entourage et ses protégés exige que tous renoncent à leur humanité, fassent abnégation de leurs opinions et de leurs consciences ; c’est à qui obéira le mieux au dirigeant. En échange, ce dernier récompense qui il souhaite. " La corruption est l’essence du régime " Ainsi, ce que l’on appelle corruption dans les régimes transparents est ce constitue la base de pratiquement tous les régimes arabes. Dans les régimes transparents, la limite entre fonds [publics] et privés est bien définie et les règles de manipulation du trésor sont clairement établies. Le dirigeant n’est rien de plus qu’un employé du peuple, et un salaire précis lui revient en échange de ses services. Le budget est connu, largement publié, et le peuple en définit les clauses au moyen de ses représentants au parlement élu. ?Le peuple demande au dirigeant, aux ministres et autres employés de rendre compte de leurs activités au moyen des tribunaux et d’un dispositif de surveillance indépendant. La Presse, les médias et les institutions civiles de la société contrôlent aussi les agissements [du gouvernement] et lèvent les doutes portant sur l’amalgame entre fonds publics et privés. Pendant tout le temps de son mandat, le dirigeant ne peut avoir d’activité privée à but lucratif… ?Par contre, les régimes arabes qui prétendent combattre la corruption ont pour habitude de détruire les dispositifs de contrôle. De nouvelles lois sont érigées, pour réprimer la Presse... D’autre part, les élections parlementaires sont falsifiées, les institutions civiles dissoutes, et toute voix libre est tue. Ainsi, les accusations de corruption, de trahison et les dessous de table ont pour but de faire taire les voix " déviantes ", ceux qui violent le pacte avec le dirigeant en réclamant des libertés et d’autres choses ‘affreuses et interdites’. " ? Le slogan qui prône la lutte contre la corruption a pour véritable but de la renforcer " Ainsi, on s’aperçoit facilement que la lutte contre la corruption (ou en réalité le slogan qui prône la lutte contre la corruption) a pour véritable but d’accroître cette dernière… En Syrie, par exemple, l’ancien Premier ministre [M. Zoubi], à la fin de l’époque d’Assad père, est devenu la cible d’accusations de corruption et à été, selon les dires douteux [officiels de la Syrie], conduit au suicide. Le but était d’éloigner ceux qui s’opposaient au transfert du pouvoir de père en fils. S’il s’était véritablement agi de lutte contre la corruption, l’enquête aurait porté en priorité sur l’Etat et ses dispositifs de sécurité. ?La corruption en Syrie ronge jusqu’à l’os des institutions étatiques. Celui qui visite la Syrie s’en rend compte au moment où il franchit le seuil de l’aéroport de Damas, où les pots de vin faits à la police et au personnel de sécurité sont manifestes. Ceux qui connaissent l’abécédaire de ces pratiques s’aperçoivent qu’une telle corruption au bas [de la pyramide] d’un Etat comme la Syrie n’existerait pas si elle n’était permise et encouragée par une plus grande corruption en haut. ?Parallèlement, il est probable que le procureur général égyptien, Raga Al-Arabi, subira une enquête pour corruption... C’est un signe clair du fait que cet homme, devenu l’un des pivots du pouvoir en raison de la durée de son mandat à un poste créé pour défendre la corruption du régime, commençait à représenter un danger pour les autres pivots centraux du régime. Cela ne signifie pas qu’il est innocent — ce qui serait impossible dans un régime dont la corruption est un principe de base. Cela signifie, comme j’ai dit, qu’il n’est pas suffisamment corrompu. Une tactique des gangs médiatiques et des groupes de pression sionistes en Amérique et ailleurs dans le monde est de garder les dossiers contenant des preuves contre les alliés et amis pour les faire chanter au moment opportun. Un homme avisé captera le message à temps et retournera sur le ‘droit chemin’. " Les exigences occidentales de combat contre la corruption — un phénomène comique " Les slogans de lutte contre la corruption ont un autre rôle : ces derniers temps, ils sont devenus la condition imposée par les pays donateurs à la poursuite de leur aide. Ils [les dirigeants arabes] ne scandent pas [ces slogans] par amour de la vertu, mais parce que des hommes d’affaires actifs dans ces pays se sont plaints de la [corruption], laquelle les menace dans leur travail : les contrats ne sont pas accordés aux compagnies qui font les plus belles propositions mais, la plupart du temps, à celles qui offrent les plus gros dessous de table. Le règlement des dettes comporte une extorsion supplémentaire… [Ces manières] ont mécontenté les pays qui fournissent prêts et subventions ; ils ont découvert que les contrats qu’ils financent vont à des compagnies de pays rivaux parce que ces derniers sont beaucoup plus coulants [en matière de corruption]. ?Tel est le cadre du phénomène comique en Palestine et de cette étrange exigence collective qui veut que l’Autorité Palestinienne lutte contre la corruption. Son aspect humoristique ne se limite pas à l’appel fait au président Yasser Arafat de se battre contre la corruption, d’instaurer la sécurité et d’aller jusqu’à soutenir une économie libérale alors qu’il est lui-même assiégé et incapable d’aller acheter des tomates au marché — sans parler [du projet de] transformer la Palestine en colonne vertébrale de l’économie de marché du ‘monde libre’. Ce qui est plus drôle encore est que la corruption de l’Autorité Palestinienne et d’autres régimes arabes est en fait une condition nécessaire de la fonction qui leur incombe : servir les intérêts étrangers et soumettre les peuples. ?Si l’Autorité Palestinienne accordait un pouvoir absolu au parlement palestinien et aux dispositifs légaux et si elle obéissait à la volonté populaire en utilisant ses fonds et ses revenus pour l’Education, la Santé, les services et à faire revivre l’économie, que resterait-il pour corrompre les activistes et les intellectuels nommés aux ministères et à la Sécurité…, pour acheter leur silence et les empêcher ainsi de dénoncer les violations nécessaires à la sauvegarde de la sécurité d’Israël ? Cela est vrai aussi des autres pays arabes… " Si les régimes arabes luttaient contre la corruption, toute l’élite politique se retrouverait en procès et en prison " En somme, dans la situation actuelle, la lutte contre la corruption est impossible dans les pays arabes parce que la corruption en est la base et le moteur… Si ces régimes décidaient de la contrer pour de bon, comme au cours de la compagne ‘mains propres’ de 1996 en Italie, ce qui s’est produit en Italie se produirait ici aussi : là-bas, l’élite politique dans son ensemble a fini au tribunal et en prison. " Lutter contre la corruption dans le monde arabe, c’est comme lutter contre le capitalisme en Amérique ou le catholicisme au Vatican " Puisqu’il est inconcevable que les tribunaux des pays arabes condamnent les fils du président et les ministres, le ‘nettoyage des mains’ devra attendre un changement de régime… Sous les régimes arabes actuels, lutter contre la corruption équivaut à lutter contre le capitalisme en Amérique ou le catholicisme au Vatican, c’est-à-dire à détruire les bases de l’ordre existant. Si seulement cela pouvait arriver! " 1 Al-Qods al-Arabi (Londres), le 6 août 2002