En 1962, se souvient-il, le représentant des Etats-Unis brandissait au Conseil de Sécurité des Nations-Unies des photos aériennes démontrant, prétendait-il, la présence de missiles russes à Cuba. Il fut immédiatement cru par les Etats européens. Comment se fait-il qu’aujourd’hui, Colin Powell peut brandir toutes les photos qu’il veut avec pour seul résultat que les alliés traditionnels européens accusent l’Etat américain de produire des faux? En 1962, au moment de persuader la communauté internationale de sanctionner Cuba, l’envoyé spécial des Etats-Unis, Dean Acheson, offrit au général de Gaulle de lui montrer ces photos. Celui-ci répondit que, de la part d’une grande nation comme les Etats Unis, il n’avait pas besoin de preuves. Le problème qui se pose aujourd’hui n’est donc pas que les Etats-Unis n’ont pas de preuves contre l’Irak, mais que les Européens n’ont plus confiance en leur ancien allié. Zakaria oublie qu’en 2003, les photos produites par Powell sont contredites par les inspecteurs des Nations-Unies en Irak, qui n’ont rien trouvé au pays de semblable à ce qu’elles montrent. En 1962, Cuba ne s’était pas soumis à des inspections de la part des Nations-Unies. En bonne diplomatie, n’a-t-on pas a le droit de croire les Nations-Unies plutôt qu’une nation particulière? En se promenant en Europe, comme les agents des Etats-Unis ne l’ont paraît-il que trop peu fait ces dernières années, Zacarias est horrifié par « l’athmosphère antiaméricaine toxique » qui y règne. Il a dû affronter quantité de questions qui lui étaient posées sur le ton de la colère, et d’insinuations suspicieuses. Ce qui revenait le plus souvent était que « l’obsession irakienne de Washington » n’avait qu’un mobile pétrolier. Comme si Saddam Hussein ne voulait pas de lui-même vendre le plus de pétrole le meilleur marché possible! L’absurdité de l’hypothèse pétrolière ne sautait pourtant pas aux yeux des Européens. Un cadre très intelligent lui demanda aussi pourquoi les Etats-Unis voulaient aller empêcher un autre Etat de développer les armes de destructions massive alors qu’il en existe des arsenaux aux Etats-Unis même. Il paraissait convaincu que la plus ancienne démocratie constitutionnelle du monde possède vraiment des labos où des armées de scientifiques fabriquent des gaz empoisonnés. Il est vrai que les armées de scientifiques américains, dans leurs laboratoires, planchent plus précisément sur les armes massives non léthales à employer contre la population civile en cas de troubles sociaux. C’est toute la différence qui existe entre la plus ancienne démocratie constitutionnelle et l’axe du mal. Précisément, dans ce que Zakaria a pu entendre de la part des Européens, n’a-t-il pas dû entendre que les Européens reprochent surtout au gouvernement des Etats-Unis de préférer de telles armes à l’Etat paritaire ? Mais un Zakaria ne retient pas ces propos, et il continue ses menaces. « Si la France, par son véto, paralyse le Conseil de sécurité des nations-Unies, ce ne sera pas une victoire pour elle! » tonne-t-il. « Cela mettra simplement les Nations-Unies et la France à l’écart de toute action militaire d’envergure durant le XXIème siècle. Il est de l’intérêt de la France que les Nations-Unies continuent à bénéficier de la puissance américaine. » « La crise irakienne », ajoute un Zakaria de plus en plus déchaîné au fil de ses colonnes, « décidera de l’avenir des relations entre les Etats-Unis et l’Europe. La France et l’Allemagne, qui ont été jusqu’ici les poids lourds de l’Europe, sont à la croisée des chemins: comment ces nations veulent-elles se positionner dans un monde dominé par les Etats-Unis? Comme des partenaires des Etats-Unis ou comme des adversaires? L’alliance atlantique n’est pas une survivance obsolète de la guerre froide, mais le noyau dur d’un nouvel ordre international. Si les Etats-Unis et l’Europe sont d’accord, ils peuvent créer un standard international que les autres pays ne pourront que suivre. Mais si ces deux grands continents commencent à ne plus s’entendre, si l’Europe fait bande à part, il n’y aura plus de noyau autour duquel une communauté intrenationale peut se former. Alors, d’autres pays, dont les plus importants sont la Russie et la Chine, suivront leur propre modèle de développement, et concluront librement leurs propres alliances, au lieu d’être intégrés au sein d’un nouvel ordre mondial euro-américain assez puissant pour être incontesté, et porteur de paix pour cette raison. Ce sera un retour à la Réalpolitik du XIXème siècle. » Hein? Qu’entend Zacaria par là?? Non seulement, continue-t-il, les gouvernements des Etats européens sont à la croisée des chemins, mais les peuples des pays européens le sont aussi. La vague anti-américaine peut non seulement détruire l’Alliance atlantique, mais aussi les appauvrir très concrètement. « Un ami suisse me racontait que dans l’école de son fils, âgé de 14 ans, tout le monde croyait que la CIA avait détruit le WTC afin que les Etats-Unis aient une raison d’aller envahir l’Afghanistan. Et ceci, notez-le bien, se passe non pas dans les mosquées d’Arabie Saoudite mais dans les écoles de Suisse! C’est le genre d’humeur paranoïde qui révèle une société est cassée et dysfonctionnante qui n’a plus rien à voir avec la civilisation qui a créé le monde moderne ! Alors que le Moyen-Orient commence à remettre en question les délires démoniaques qui produisent ce genre de théories conspirationnistes, l’Europe veut-elle vraiment devenir le prochain Moyen-Orient? » Oh là là, c’est mal barré. Pour un peu on entendrait: Attendez seulement qu’on en ait fini avec Saddam, et on va s’occuper de votre cas! Pourtant, m’sieu, j’peux dire quelque chose? Est-ce que le plan Marshall ne faisait pas partie de l’Alliance atlantique, en quelque sorte? Est-ce qu’en 1980, en déclarant le démantèlement des protections sociales, Reagan et les suivants n’ont pas déjà dénoncé l’Alliance atlantique ? A propos du XIXème siècle, est-ce que le modèle économique que les Etats-Unis exportent et veulent imposer au monde n’a pas de grandes ressemblances avec les horreurs de ce siècle-là, que plus aucun peuple ne veut jamais revivre? De sorte que le prochain « appel de Londres », d’où qu’il parte, pourrait bien être contre les Etats-Unis.