La bataillle nucléaire est en route
Par Le |
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La loi impose à la Cogema
de retourner l'ensemble de ces produits aux pays d'origine. Mais ces
derniers, confrontés à des opinions publiques très réactives, se font tirer
l'oreille. D'autant que chaque retour de déchets ou de matières fissiles
(uranium, plutonium) prend vite une tournure dramatique. La réexpédition de
1,5 tonne de plutonium au Japon, en 1992, avait suscité un tollé sans
précédent. Depuis, la Cogema renvoie ce plutonium à l'Archipel sous forme de
Mox (mixed oxide: combustible mixte uranium/ plutonium) plutôt que «sec». Ce
qui, au vu des événements de ces derniers jours, ne change rien à
l'affaire... L'usine de La Hague devait
démontrer la faisabilité du «cycle nucléaire»: on brûle du combustible (oxyde
d'uranium), on le retraite et on fabrique avec les produits du retraitement
un nouveau combustible (le Mox) qui, à son tour, est brûlé etc. Le problème
est que le retraitement du Mox n'a aucun intérêt économique et que, du coup,
le «cycle» reste ouvert. Le retraitement n'aura fait que reculer de quelques
années le problème de la gestion des déchets. Et le rendre plus ardu: les
combustibles Mox usés sont extrêmement radioactifs. E.La. |
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es camps de huttes sont dressés, les ordinateurs branchés pour coordonner
les offensives, les tracteurs prêts à bloquer les routes, et les policiers en
faction à chaque carrefour: tout est en place autour de Gorleben, bucolique
région du nord de l'Allemagne, entre Berlin et Hambourg, pour la première
bataille du Castor sous le gouvernement rouge-vert de Gerhard Schröder. Un
convoi de six Castor (acronyme pour Cask for Storage and Transport of
Radioactive Material), contenant chacun 12 tonnes de résidus nucléaires
vitrifiés, doit partir ce lundi à 6 h 30 du terminal de Valognes, près de La
Hague. Transportés par train, sur 1 500 km jusqu'à Dannenberg, les déchets
devraient y arriver mardi, pour être transférés sur camions et parcourir
mercredi les 20 derniers km jusqu'au centre de stockage de Gorleben. Sur le
parcours français ce lundi, le collectif Sortir du nucléaire et les Verts ont
annoncé quelques rassemblements de protestation, mais qui devraient rester
limités, comme d'habitude. Ce week-end, les manifestations contre les
transports nucléaires n'ont rassemblé qu'une trentaine de personnes devant la
gare de Rouen, une centaine à Caen et un millier à Kehl, la ville allemande
frontalière de Strasbourg. Dans la région de Gorleben, les prémanifestations
de ce week-end ont déjà réuni plus de 10 000 militants qui se sont juré,
comme pour les deux précédents convois de ce type, en 1996 et 1997, de tout
faire pour bloquer la cargaison. Près de 30 000 policiers allemands sont
mobilisés pour assurer la sécurité du convoi: par comparaison, le contingent
international déployé au Kosovo, la Kfor, compte 35 000 hommes. Que le
gouvernement rouge-vert de Gerhard Schröder ait négocié avec les électriciens
allemands l'abandon du nucléaire, d'ici à 2022 environ, et l'arrêt des envois
de déchets en retraitement en 2005 n'a pas apaisé les militants locaux, bien
au contraire. «Que les Verts nous fassent ce coup-là, cela rend les
militants particulièrement furieux», explique Gecko, 28 ans, un des
organisateurs d'un camp de militants, près de Dannenberg. La coprésidente du
parti vert allemand, Claudia Roth, et la co-leader du groupe parlementaire,
Kerstin Müller, venues manifester hier à Gorleben, non pas contre ce
transport, «car l'Allemagne doit bien reprendre ses déchets», mais
pour une sortie accélérée du nucléaire, ont été accueillies aux cris de «traîtres!».
Les militants
allemands sont d'autant plus remontés que ce convoi doit relancer tout le
cycle des transports nucléaires entre la France et l'Allemagne, que le
gouvernement Jospin avait bloqué pour obliger l'Allemagne à reprendre ses
déchets. Ces six Castor attendaient à La Hague depuis plus de deux ans que le
chancelier Schröder et ses ministres verts, jadis du côté des manifestants à
Gorleben, osent imposer un transport. Le gouvernement allemand n'avait cessé
d'implorer des délais à la France, demandant d'attendre la négociation du
compromis sur la sortie du nucléaire, la réparation d'un pont près de
Gorleben, puis les élections régionales de ce dimanche dans le sud de
l'Allemagne (lire aussi page 14). Piscines. Sitôt ce premier convoi arrivé à bon port, les
transports de déchets d'outre-Rhin vers La Hague pourront reprendre: quinze
convois de combustibles nucléaires usés provenant de centrales allemandes
sont programmés pour l'année 2001. A condition bien sûr que les transports
retour, de La Hague vers Gorleben, se poursuivent régulièrement. La Cogema
prévoit une quinzaine d'autres transports retour, au rythme de deux par an. «Pour
les militants, la motivation n'a jamais été aussi grande, explique Gecko.
Si nous arrivons à stopper ces Castor, nous empêchons la reprise des
transports vers La Hague et au moins trois centrales allemandes, dont les
piscines à déchets sont pleines, devront être débranchées. Pour la première
fois, notre action aurait pour conséquence directe l'arrêt de trois
centrales!» Canons à
eau. Forts de l'expérience des
trois convois précédents, les militants comptent protester plus en amont,
tant que les Castor sont sur rails. «L'avantage, c'est aussi que les
policiers ne peuvent guère employer leurs canons à eau sur les rails»,
explique Maren, une autre militante. Pour déloger les protestataires, les
policiers devront soit les porter un à un, comme ils l'avaient fait en 1997,
soit les tabasser sous les yeux des télés, ce que le gouvernement Schröder
pourra difficilement se permettre trop longtemps. «Cette fois, les chances
que le convoi passe sont à 50-50», assure un militant, encore plein d'espoir.
A voir les bataillons de policiers déployés dans la région, le gouvernement
Schröder prend aussi l'épreuve de force très au sérieux. Par |
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La polémique
qui agite le Japon à propos du MOX (lire ci-contre) ouvre aujourd'hui un
nouveau front dans les luttes antinucléaires. Elle est suivie de très près
par les écologistes français. «Les attendus du jugement du tribunal de
Fukushima vont renforcer la position des gouverneurs japonais qui ont décidé
de ne pas accepter le chargement de MOX dans leurs réacteurs nucléaires»,
se réjouit Jean-Luc Thierry, chargé de mission nucléaire pour Greenpeace
France. Selon Mycle Schneider, directeur de Wise-Paris, expert nucléaire
indépendant, le virage antinucléaire de l'opinion japonaise «peut avoir
des effets dévastateurs pour l'industrie du plutonium en France. Elle
clarifie l'impasse de cette filière». Débouchés.
Pour la Cogema, la fronde
nippone est indiscutablement une mauvaise nouvelle. Car la production de MOX,
combustible nucléaire composé d'un mélange d'oxydes de plutonium et d'uranium
issu du retraitement des combustibles usés en provenance des centrales nucléaires,
représente une bonne part de son activité. Le MOX objet de l'ire japonaise a
été fabriqué par la Belgonucléaire - dans le capital de laquelle se trouve la
Cogema -, et à partir de plutonium fourni par cette même Cogema. A ce jour, le
Japon demeure l'un des derniers pays susceptibles d'acheter du MOX à la
France. Lorsque la Cogema s'est lancée dans la production de MOX, dans les
années 90, elle comptait le vendre aux six pays équipés de réacteurs pouvant
utiliser ce combustible: France (par le truchement d'EDF), Belgique,
Pays-Bas, Suisse, Allemagne et Japon. Depuis, ces débouchés se sont
successivement fermés. Dans un proche avenir, ne devrait rester que le Japon,
baptisé «l'autre pays du nucléaire» par les promoteurs de l'électronucléaire
français. Mais si l'opinion publique s'en mêle, le Japon ne risque-t-il pas
de réviser ses choix? D'autant que
le MOX souffre d'un grave défaut: il coûte plus cher que les autres
combustibles. Client historique de la Cogema, EDF a fait ses comptes, et
conclu dans une note interne publiée par Wise-Paris (1) que «l'option
retraitement/recyclage se révèle comme extrêmement coûteuse». Une analyse
confirmée par les trois spécialistes auxquels Lionel Jospin a confié une
mission sur le sujet (2): «L'utilisation par EDF de MOX dans ses réacteurs
représente, du point de vue d'un électricien, une augmentation de son coût du
kWh, ceci apparaissant comme un obstacle à sa compétitivité, élément de moins
en moins supportable dans un marché qui s'ouvre à la concurrence.» EDF
est d'ailleurs en train de renégocier les contrats qui la lient à la Cogema. Bombes. Pour les écologistes, le MOX souffre d'un autre
défaut: son usage est problématique en termes de sûreté et de prolifération.
Si Greenpeace s'est opposé, le 19 janvier, au départ du Pacific Pintail
de Cherbourg pour le Japon, c'est notamment au motif que sa «cargaison à
hauts risques renfermait environ 220 kg de plutonium, de quoi fabriquer une
vingtaine de bombes atomiques». Que l'avenir de ce combustible soit
peut-être compromis réjouit donc les antinucléaires. Il se trouve,
hasard du calendrier, que cette polémique autour du Mox coïncide avec le
départ vers l'Allemagne de déchets vitrifiés hautement radioactifs retraités
à l'usine de La Hague. Didier Anger, cofondateur du Crilan, et conseiller
régional vert de Basse Normandie, estime que ce retour des déchets nucléaires
chez leur producteur est plutôt une «bonne nouvelle». Mais il regrette
qu'il n'y ait «qu'un ou deux retours prévus en 2001, alors que, pendant la
même période, l'Allemagne s'est réservé la possibilité d'envoyer en France
une quinzaine de convois de combustibles à retraiter». (1)www.puinvestigation.org/intronosbulletins.html
(2) «Etude
économique prospective de la filière électrique nucléaire», J.-M.Charpin, B.
Dessus, R. Pellat, La Documentation française. |