L’appel d’Abou Mazen n’y a rien fait. Loin d’embrasser ses conclusions, pourtant essentielles à la survie de notre peuple, Yasser Arafat a écarté Abou Mazen de la direction des négociations du Caire. Quand je dis "essentielles", je parle en termes pratiques. J’entends ainsi que la décision de continuer l’Intifada met en péril toutes les formes de réflexions cartésiennes en Palestine. Dans un même temps, la poursuite de cette guerre, basée presque exclusivement sur le terrorisme et un peu sur la guérilla, favorise les organisations qui les préconisent au détriment des forces qui proposent des solutions applicables. Aujourd’hui, être raisonnable [baser sa réflexion sur le raisonnement] en Palestine, c’est être défaitiste voire traître à la cause de son peuple. Ces derniers jours, des hobereaux du Fath ont tenté d’expliquer au président de l’Autorité Palestinienne que ses décisions à l’encontre de Rajoub, et respectivement, le limogeage du professeur Nusseibeh et l’écartement d’Abou Mazen de la direction des négociations en Egypte, contribuent à construire l’hégémonisme des organisations terroristes dans la rue palestinienne. Arafat favorise les poseurs de bombes contre les représentants des institutions qu’il a lui-même créées ! Si cet illogisme se poursuit, la Palestine sera très bientôt toute entière laissée dans les mains des partis islamistes et des Tanzim (et de leurs acolytes respectifs), d’une part et aux représailles de l’armée des Israéliens, de l’autre. Sur le terrain, les tirs de missiles Kassam se multiplient dans la bande de Gaza et il n’y a que quelques gentils journalistes (de Libération par exemple Ndlr.), acquis à notre cause, pour affirmer qu’ils sont dirigés vers des colonies juives. En vérité, ces missiles sont lancés – à part des erreurs de tir et des cas anecdotiques – sur la ville de Sdéroth, qui se trouve au-delà de la ligne verte. Aussi, à part la tentative de baser une appréciation sur une ineptie – mais à qui cela sert-il donc ? En quoi cela aide-t-il la cause palestinienne ? – il n’y a pas un Palestinien doué d’intelligence, qui ne comprenne que les soldats israéliens, maîtres absolu de l’initiative militaire, vont mettre la bande de Gaza à feu et à sang afin de faire cesser ces tirs ! C’est ainsi que toute armée réagirait, si des gens déversaient, depuis leur territoire, des missiles sans but tactique mais dans le seul espoir de tuer le plus possible de citoyens que cette armée est censée protéger ! Sans être un grand stratège militaire, mais connaissant les intentions du général Mofaz (ministre de la défense du gouvernement israélien Ndlr.), je vous prédis même, que si les tirs de Kassam depuis la bande de Gaza ne cessent pas, l’armée juive va prochainement réoccuper toute cette région, la dernière encore largement soumise à l’autorité du gouvernement palestinien. La question que les Palestiniennes sensés se posent, c’est : est-il dans notre intérêt de pousser les Israéliens à réoccuper Gaza ? Les résultats tactiques et politiques du tir de ces missiles justifient-ils la réaction prévisible de notre ennemi ? Et les mêmes responsables palestiniens, de soupçonner Yasser Arafat d’œuvrer délibérément dans ce sens (la réoccupation de Gaza par les Israéliens Ndlr.), en continuant à parier avec nos débris de liberté sur une extrêmement aléatoire intervention des occidentaux. A moi de préciser, qu’à Gaza, et très temporairement me semble-t-il, les structures restantes de l’AP sont largement suffisantes afin de faire cesser les tirs contre Sdéroth et que c’est absolument la décision stratégique du raïs, qui fait que ces provocations continuent. Ayant discuté avec certains des responsables qui ont récemment rencontré Arafat, je suis en mesure de vous confier l’essence de ses convictions. Selon notre leader, les chances du peuple palestinien persistent aussi longtemps que durera l’Intifada. Si l’Intifada devait cesser, cela signifierait une immense défaite pour notre cause et une victoire éclatante pour notre ennemi. Arafat a fait connaître de sa position aux Egyptiens, qui le pressaient de déclarer la fin de l’Intifada dès l’annonce de la tenue d’élections en Israël, afin de laisser une chance à Mitzna et au camp de la paix. Abou Ammar a présenté une fin de non recevoir au président Moubarak, lors d’échanges téléphoniques d’une violence verbale inouïe. Je suis également en mesure d’affirmer que le président égyptien a fait valoir, à propos de Gaza et des Kassam, des éléments identiques à ceux que je développe dans cet article. Les divergences entre les deux raïs étaient si vives, que le Cairote a promis de rétablir un dialogue direct et personnel avec Ariel Sharon, au cas où le locataire de la Moukata de Ramallah ne s’exécuterait pas et que Sharon serait appelé (comme c’est le cas) à former un nouveau gouvernement. Ceci pour nous permettre de comprendre pourquoi – alors que Moubarak boycottait Sharon à cause de l’exclusion d’Arafat par ce dernier du processus de paix – le président égyptien fut l’un des premiers à appeler le général israélien au téléphone, dès mardi soir, pour le féliciter de sa victoire et pour convenir d’un réchauffement de leur collaboration et même d’une prochaine rencontre. A propos des élections israéliennes, de Mitzna et de ce que nous appelons le camp de la paix en Israël, Arafat, au lieu de répondre à l’appel égyptien, a préféré l’interpréter et faire dans "la demie mesure à sa manière". C’est ainsi que, faute d’appeler à un cessez le feu à l’occasion de ces élection, geste qui aurait pu montrer aux électeurs israéliens que nous sommes intéressés à faire la paix, Abou Ammar a demandé "une modération des actions au-delà de la ligne verte pendant la durée des élections". Il a aussi affiché publiquement sa préférence pour le candidat socialiste Abraham (Amram Ndlr.) Mitzna. A mon avis, mais aussi de celui des partisans palestiniens de la solution des "deux Etats pour deux peuples", cette attitude a fait perdre à la gauche israélienne entre 5 et 10 sièges au parlement. Si j’étais à la place des Israéliens, en effet, j’aurais considéré que notre président entend poursuivre sa collaboration avec le terrorisme et qu’il appelle de ses vœux la constitution d’un gouvernement plus faible en Israël, afin de lui faciliter la tâche. Et lorsque votre pire ennemi vous incite à choisir un candidat, que faites-vous ? Il faut également être très nigaud pour imaginer que ces dernières maladresses ne tiennent pas d’un dessein politique consommé, même s’il est suicidaire. Non seulement c’est Arafat qui a fait élire Sharon la première fois, en refusant de signer la paix avec Ehud Barak, mais je prétends qu’il préfère toujours voir Sharon au poste de premier ministre et qu’il a agi en conséquence. Sharon au pouvoir, c’est l’assurance d’avoir des alibis pour continuer à construire son porte-avions allégorique et c’est aussi l’assurance de ne pas être, à nouveau, mis au pied du mur devant le choix d’un règlement consensuel qu’Arafat ne veut pour rien au monde. La Moukata de Ramallah prend des allures de bunker de Berlin. Elle contient un homme ayant perdu le contact des réalités et qui est bien décidé à sacrifier tout son peuple à ses rêves de grandeur. Il faut aussi préciser que l’Egypte avait tenu compte des desideratas d’Arafat quant à la nécessité de ne pas mettre un terme à l’Intifada. C’est pourquoi, les tractations du Caire pivotent depuis autour de l’idée de déclarer une pause d’un an à l’Intifada et pas sa cessation. Ce point paraît acquis mais c’est désormais la substance de la "pause" qui est en jeu. Pour toutes les organisations palestiniennes – y compris pour les délégués d’Arafat – il s’agit de ne mettre fin qu’aux attaques contre des civils israéliens à l’intérieur de la ligne verte. Les attaques contre les colons et contre les militaires, où qu’ils se trouvent, se poursuivraient. Pour le surplus, non contents de vouloir imposer cette condition inacceptable par les Egyptiens – parce qu’inaptes à obliger Sharon à reprendre le processus de paix – les organisations palestiniennes exigent qu’Israël soit – directement ou indirectement – partie prenante de l’accord et qu’elle s’engage à respecter un cessez-le-feu unilatéral ainsi qu’à s’abstenir d’arrêter ou d’exécuter les responsables des bras armés de l’Intifada. En d’autres termes, Arafat, le Hamas et le Djihad entendent obliger l’Egypte à obtenir d’Israël qu’elle s’abstienne de répliquer lorsqu’ils feront abattre des colons et des militaires juifs. Voilà plus qu’il n’en faut pour mettre la diplomatie des bords du Nil hors d’elle, alors que le plan de Moubarak consistait à placer plutôt Sharon devant ses inconsistances, l’obligeant, après que sa condition de cessation des violences était remplie, à dévoiler à la face du monde que son plan de partage n’était pas sérieux et que l’Etat qu’il prévoit pour nous n’est pas viable. Selon les Egyptiens, nous avons tout à gagner d’une telle situation : soit Sharon devient rationnel et propose un plan envisageable – ce dont Moubarak doute, mais qu’il appelle de ses vœux et l’Arabie Saoudite derrière lui – soit la communauté européenne et l’Amérique le reconnaîtront comme étant le véritable fauteur de guerre dans la région et augmenteront considérablement les pressions sur Israël. Le programme égyptien est tentant, surtout en cela qu’il laisse apparaître un espoir tangible pour les Palestiniens, vu qu’il est construit sur un raisonnement logique et calculé. Oui mais ce raisonnement implique que l’Autorité Palestinienne serait prête à reconnaître l’existence d’Israël et à vivre en bon voisinage avec lui. Et si c’était le cas, Arafat n’aurait pas transformé Sari Nusseibeh en traître, avant de le jeter à la vindicte populaire. A deux reprises, durant les dernières semaines, j’étais (censuré pour protéger la sécurité personnelle d’El Soudi) lorsque Nusseibeh a échappé de justesse au lynchage. C’était à (censuré) et lors de la visite du (censuré par la rédaction). Dans les deux cas, des centaines de manifestants surchauffés (censuré)aux cris de "traître" et "de collaborateur", voire "d’agent sioniste". Parallèlement au licenciement du sage professeur, Arafat multiplie les messages à usage interne indiquant que l’Intifada fait partie du long processus guerrier qui doit mener à sa fin à l’éradication d’Israël. Ainsi, le brouillon de constitution sorti de ses bureaux fait-il allusion à un Etat palestinien ayant Jérusalem pour capitale et à un Etat d’Israël aux frontières indéfinies. Aux responsables palestiniens qui lui demandaient ce que ce terme renfermait exactement, Yasser Arafat répondit en souriant : qu’il s’agissait de frontières à l’intérieur de la mer, de frontières aquatiques, et que la Palestine s’instaurera de la rivière à la mer, que ce n’est qu’une question de temps et de détermination. Lorsque les intervenants demandent comment le raïs compte atteindre ce but, Arafat perd ses nerfs et les accuse de "manquer de foi", insistant sur le fait que nous sommes tous des martyrs et que notre sacrifice est payant du moment qu’il sert à libérer Jérusalem. Avec un plan d’action de ce genre, incluant l’évaporation de 5 millions de juifs, sans modèle opératif sensé et compréhensible, le nombre de nos martyrs va certes augmenter mais il ne servira pas à libérer Jérusalem. On va encore mourir pour rien, si ce n’est à cause des prémonitions d’un vieux fou égocentrique, malade et inspiré par des visions célestes. Pauvres de nous, pauvre de cette région damnée !