L’Europe, vire-t-elle à droite? Nous avons vu une grande contradiction apparente ces derniers mois. Tandis que des milliers de travailleurs et de jeunes descendaient dans la rue pour protester contre la politique de droite, néo-libérale du G8, des USA et d’autres institutions internationales, les partis de droite et d’extrême droite remportaient partout des victoires électorales. Certains estiment devoir en conclure que la population vire à droite. Les populistes de droite ou les néo-fascistes surferaient sur cette vague. Nous pen-sons pourtant qu’on ne peut pas parler de façon aussi catégorique d’un “virage à droite”. Ce que les derniers mois ont surtout démontré, c’est l’énorme mécontentement qui existe envers les partis traditionnels. S’il est vrai que ce sont surtout les partis de droite, perçus comme “différents”, qui ont tiré les marrons du feu, on ne peut tout de même pas passer sous silence la croissance de la gauche radicale en France (LO, LCR) et ailleurs (le SP aux Pays-Bas, par exemple). Des moisissures sur la politique pourrie La croissance des partis d’extrême droite comme les néo-fascistes du Vlaams Blok ou du Front National, ou des populistes de droite comme Pim Fortuyn est en fin de comp-te surtout le reflet du recul des partis traditionnels. Nous voyons partout en Europe des taux de participation électorale historiquement bas et nous voyons comment les sociaux-démocrates, qui ont pourtant été longtemps perçus comme des partis ouvriers, perdent toujours plus de soutien au fur et à mesure qu’ils s’inscrivent dans la logique néo-libérale et se profilent comme les exécutants d’une politique d’austérité qui frappe surtout les plus pauvres et les travailleurs. Contrairement à ce qu’on a prétendu après le premier tour des élections présidentielles françaises, ce n’est pas la division de la gauche qui a mené à la victoire de Le Pen. Jospin ne doit s’en prendre qu’à lui-même et à sa politique pour sa défaite au premier tour. Nombreux sont ceux qui ont voté pour Le Pen par manque d’au-tre chose, parce qu’il se profilait comme celui qui ose s’en prendre à l’establishment. Dans de nombreux cas, il ne s’agit pas de suffrages “de droite” conscients, mais de l’expression d’un mécontentement sur lequel lagauche peut aussi tabler. Nous devons être clairs là-dessus dans le mouvement antifasciste. Un Jospin ne pourra pas stopper le FN. Bien au contraire, nous devrons le faire nous-mêmes en intervenant dans les quartiers et les entreprises avec un programme anti-capitaliste radical afin d’y construire une résistance active contre l’establishment. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons empêcher que l’extrême droite ne s’enrichisse en dormant. La croissance de l’extrême droite est certes une menace pour le mouvement ouvrier. Les idées racistes sèment la division parmi les travailleurs, à moins qu’on ne les contre efficacement. Dans ces pays où des gouvernements de droite arrivent au pouvoir, comme en Italie ou en Autriche, on assiste à une attaque en règle contre les ac-quis du mouvement ouvrier. Mais ce que nous voyons aussi dans ces pays, c’est que leurs gouvernements ne sont pas capables d’endiguer le mouvement des jeunes et des travail-leurs. Berlusconi ou Aznar ont eu beau essayer de les minimiser, les grèves générales en Italie et Espagne ont constitué une démonstration puissante de la force de la classe ouv-rière. Le fascisme est-il à nos portes? Les partis d’extrême droite se sont principalement développés sur le plan électoral, et non comme des forces para-militaires qui imposent dans la rue leurs conceptions fascistes par la violence et la terreur contre la gauche et le mouvement ou-vrier, comme Hitler et Mussolini l’ont fait jadis. Les fascistes classiques des années ’20 et ’30 avaient réussi à obtenir un soutien aussi massif qu’actif parmi les classes moyennes qui étaient fortement touchées par la crise économique, les chômeurs et les plus pauvres de la société. Nous voyons bien qu’au-jourd’hui l’extrême droite n’arrive pas à devenir une formation de masse en terme d’adhésion active. Le Vlaams Blok n’a jamais réussi à amener plus de 5000 militants et sympathisants à une convention nationale. Le FN en France a pu mobiliser de 10.000 à 20.000 participants lors de son plus frand défilé du 1 mai, tandis que des centaines de milliers de Français manifestaient contre le FN. Cela démontre le rapport de force qui existe dans la rue et reflète la faiblesse de l’extrême droite. Faute d’une base de masse active, les néo-fascistes comme le Blok ou le FN doivent se limiter à faire du populisme pour ne pas perdre leur soutien électoral. La toile de fond de Dewinter et de Le Pen Les leaders d’extrême droite comme Dewinter ou Le Pen tentent de se présenter comme des politiciens “respectables”. Il saute pourtant aux yeux que l’un comme l’autre ont eu une formation clairement fasciste. Le Pen était déjà actif à la fin des années ’40 et est notamment parti en Algérie pour combattre la lutte d’indépendance. Il a déclaré à ce propos que sa participa-tion à des actes de torture était nécessaire dans la lutte contre les “barbares”. Dans les années ’60 il a été condamné à deux reprises pour avoir publié des livres et des discours nazis. Au milieu des années ’50 Le Pen côtoyait des gens comme Maurice Bardèche, un négationniste connu qui a écrit dans son livre “Nu-remberg ou la Terre promise” que les camps de concentration avaient été con-struits après la guerre avec des décors de films du Hollywood “juif”… Ce livre a été traduit en Néerlandais par Karel Dillen, le “président à vie” du Vlaams Blok depuis des années! Des figures comme Dewinter ont un passé qui sent aussi le souffre. De-winter a été des années durant actif à Bruges avec l’Union nationaliste des jeu-nes et étudiants (NJSV) et il s’est notamment retrouvé en justice pour avoir présenté des travaux négation-nistes lors d’une “bourse aux livres anti-communistes”… Le même NJSV a fait l’objet à l’époque (début des années ’80) de plusieurs procès pour coups et blessures contre des adversaires. Ce ne sont pas les exemples qui manquent pour démontrer que des gens comme Le Pen ou Dewinter s’inscrivent dans une tradition clairement fasciste. Cela vaut aussi pour la plus grande partie de la direction du Vlaams Blok ou du Front National. Ils se sont attelés pendant des années, ramant contre le courant, à construire un appareil de parti issu de la même tradition. Dans ce sens il y a une différence importante avec, par exemple, la “Liste Pim Fortuyn” où cet élément n’est pas du tout présent. Comment combattre l’extrême-droite? Faire une analyse de ce que veut l’extrême droite n’a pour nous rien d’une discussion abstraite. Cela a évidemment des conséquences pour nos campagnes. Nous nous insurgeons contre la “réponse” moralisatrice des partis traditionnels qui n’offre aucune solution au terreau des partis fascistes ou populistes. Nous ne voulons pas mettre les électeurs de l’extrême droite dans un coin. Bien au contraire, nous voulons les regagner et développer un programme capable de frapper l’extrême droite sur son point faible: le fait que son soutien électoral se base sur un mécontentement passif envers l’establishment. Comme l’écrit Le Monde Diplomatique dans son numéro de mai, l’extrême droite se nourrit du mécontentement autour de soi-disant “petits” problèmes comme le prix du ra-massage des déchets, la dégradation du logement, les transports publics onéreux,… Ce n’est que partiellement correct, dans ce sens que l’extrême droite ne doit surtout sa croissance qu’à l’absence d’une résistance organisée contre ce type de mesures. Le Monde Diplomatique a mentionné nos campagnes à Gand, les manifestations con-tre le Vlaams Blok ou la lutte contre la présence du dirigeant Vlaams Blok Roeland Raes au conseil d’administration de l’université de Gand et en a conclu qu’il y avait encore des ac-tions antifascistes. Nous ne limitons certes pas notre travail antifasciste à l’organisation de ceux qui sont déjà convaincus, bien qu’il faille le faire aussi, mais nous regar-dons plus loin. Une part importante de notre travail contre l’extrême droite consiste à intervenir dans des mouvements de lutte au quotidien. En intervenant contre le prix des sacs-poubelles, la destruction de logements,… nous devons gagner la confiance de couches plus larges de la population pour pouvoir construire une véritable opposition active contre le système actuel, une opposition de gauche à la politique de droite. La seule manière de battre en brèche les préjugés racistes, c’est de démontrer dans la pratique que nous sommes plus forts en faisant l’unité avec nos collègues ou voisins immigrés et de mettre un terme à la politique de diviser pour régner de l’extrême droite. Geert Cool