Henri Houben[1]
2
décembre 2000
« Souvent, dans l’histoire de l’intégration européenne, le président de la Commission s’est présenté devant cette assemblée pour dire que nous nous trouvions à la croisée des chemins. Si je le répète encore une fois aujourd’hui c’est parce que je pense vraiment que cela n’a jamais été aussi vrai ».[2] C’est de cette façon que Romano Prodi, président de la Commission européenne, présente le prochain traité qui devrait être conclu à Nice au parlement européen de Strasbourg.
Parle-t-il de l’extension de la participation démocratique des Européens à l’élargissement de l’Union ? A-t-il le passage à l’euro, la monnaie unique, en tête ? Accorde-t-il ainsi de l’importance à la future charte des droits fondamentaux ?
Pas le moins du monde. Il traite de l’avenir de l’Europe et de son mode de fonctionnement. En d’autres termes, il aborde le thème des réformes institutionnelles. Il en résume les trois grandes orientations : « soit le maintien du statu quo qui, en fait, signifie le recul de l’Europe ; soit un renforcement partiel et illusoire de la coopération intergouvernementale ; soit, au contraire, la poursuite du projet institutionnel de l\'union dans le respect des principes de la démocratie, de l\'équilibre des pouvoirs et de la subsidiarité ».[3] Et ce qu’il prône, c’est cette troisième solution. Mais de quoi s’agit-il réellement ?
Les institutions européennes sont particulièrement opaques pour le commun des mortels. C’est un fait reconnu même dans certains cercles européens.
Il y a quatre organes importants qui participent à l’élaboration de cette politique. D’abord, il y a le Parlement, qui a très peu de pouvoir. Il peut bloquer certaines mesures et voter la confiance de la Commission (ou l’inverse). Mais guère davantage. Ensuite, il y a la Commission. Elle fonctionne en quelque sorte comme un exécutif. Mais, en réalité, elle a un pouvoir également d’orientation. « Théoriquement indépendante des partis politiques et nationaux, la Commission représente « l’intérêt européen » et agit comme le gardien des traités de l’Union ».[4] Puis, il y a le Conseil des ministres. Celui-ci est divisé en plusieurs matières : agriculture, finances, etc. En principe, c’est lui qui prend les décisions importantes et donne le feu vert à la publication de directives. Dans les faits, ce sont des comités de représentants permanents qui se chargent de l’étude des dossiers. Ils sont composés d’experts et de fonctionnaires qui travaillent au nom des différents ministres. Le Conseil des ministres est considéré comme l’organe de la coopération intergouvernementale. Enfin, il y a le Conseil européen qui se charge des grandes orientations. Il est dirigé par le chef d’Etat d’un pays membre durant six mois, à tour de rôle[5]. Au cours de deux sommets réunissants les principaux responsables politiques des autres Etats membres sont signés différents documents permettant la construction européenne. Ainsi, les 13 et 14 octobre, s’est déroulée la conférence intergouvernementale de Biarritz. Celle-ci a préparé le sommet de Nice, prévu du 7 au 9 décembre et où devrait être conclu un nouveau traité, selon les désirs de la présidence française du Conseil européen et des dirigeants européens.
Mais sur quoi portent les changements qui feraient de cette réunion de la côte d’Azur un événement tellement important ? Il y a quatre domaines.
Primo, c’est la généralisation du vote à la majorité qualifiée pour un nombre de matières plus grand. A l’heure actuelle, il faut l’unanimité des pays membres[6] pour adopter une réforme, que ce soit pour la fiscalité, la politique d’immigration ou la sécurité sociale. Autrement dit, le veto d’une nation peut empêcher la conclusion d’un accord. Avec le principe de la majorité qualifiée, ceci devient impossible. Chaque pays dispose d’un nombre de voix, en fonction de son importance économique et politique (de 10 pour les plus grands à 2 pour le Luxembourg). Avec la majorité qualifiée, il suffit d’environ les deux tiers de ces voix pour faire passer une directive ou une mesure.
Secundo, l’Union veut introduire ce qu’elle appelle la coopération renforcée. Il s’agit de la possibilité pour une série de pays d’aller de l’avant dans la construction européen. C’est le cas pour l’euro. Il ne faut pas l’adhésion des quinze pays membres. Onze d’entre eux sont d’accord et la porte est laissée ouverte pour les autres d’y entrer, quand ils le veulent. Il semble qu’il suffise qu’il y ait accord entre huit gouvernements minimum pour qu’une mesure soit acceptée comme faisant partie de la politique européenne, selon le principe de la coopération renforcée[7].
Tertio, il y a la volonté de réduire le nombre de commissaires (pour l’instant 20) pour rendre cet organe plus efficace. Ce sera le cas s’il y a élargissement et si chaque pays devait avoir un commissaire (et les grands pays en ont actuellement deux). Probablement, le plafond sera fixé à 20 commissaires.
Quarto, il y aura une nouvelle pondération des voix pour les décisions intergouvernementales. Pour compenser la perte du second commissaire, les grands pays recevront un nombre de voix supplémentaires, leur permettant d’influer davantage sur les mesures.
Mais tout cela apparaît comme des dispositions techniques, dont il est difficile de comprendre l’intérêt. Cela semble être un débat d’experts, sans relation aucune avec les préoccupations des simples citoyens. Qu’on se détrompe.
Derrière ces modifications de caractère anodin ou technique se cachent, en réalité, les premières avancées dans la création d’un véritable Etat européen. Certains pas avaient été réalisés lors des sommets précédents. A Tampere, en octobre 1999, a été développée l’idée de la nécessité d’un projet commun de sécurité et de justice. A Cologne (juin 1999) et à Helsinki (décembre 1999) a été discuté le but d’une politique de défense commune. Dans les traités de Maastricht et d’Amsterdam, il y avait aussi des propositions pour accélérer l’intégration politique des pays membres. Et c’était également l’intention des fondateurs de la Communauté européenne. Par le passé, en 1975, le Premier ministre belge, Leo Tindemans (CVP), avait établi un rapport prônant l’union européenne sur base de la culture et de la citoyenneté, avec la création d’une politique de défense commune. En 1984, le parlementaire italien indépendant Altiero Spinelli fit adopter un autre document du même genre. Il étendait les compétences de la Commission comme exécutif. Il permettait que celle-ci se charge de nouveaux dossiers, sans devoir attendre l’agrément des parlements nationaux. Il proposait également que les traités soient signer lorsque les pays représentant les deux tiers de la population européenne sont d’accord, de sorte à éviter le veto de certains Etats. Une disposition préfigurant l’extension de la majorité qualifiée proposée aujourd’hui. Mais ces rapports restèrent sans suite. De ce point de vue, le sommet de Nice doit constituer une rupture.
D’abord, comme c’est souligné ci-dessus, le principe de la majorité qualifiée doit permettre à l’instance politique de l’Union de prendre des décisions dans un nombre élargi de matières, sans être bloqué par l’opposition de l’un ou l’autre pays. Ceci donne un pouvoir plus grand aux organes européens. Ils peuvent ainsi promouvoir une véritable politique européenne, sans être arrêté sans cesse par l’un ou l’autre gouvernement. En gros, il suffit d’avoir l’assentiment des deux Etats les plus influents de l’Union, la France et surtout l’Allemagne. Par exemple, Pascal Lamy, commissaire au Commerce, négocie déjà dans les instances internationales, notamment à l’Organisation mondiale du Commerce, au nom des quinze pays membres. Mais, pour les services, les investissements et les brevets, il doit demander continuellement l’avis des gouvernements nationaux, car l’un d’entre eux peut bloquer à tout moment les négociations. La nouvelle disposition donnerait au commissaire un blanc-seing pour conclure des traités sans devoir se référer aux Etats nationaux.
Ensuite, la coopération renforcée offre la possibilité pour certains Etats d’aller plus loin, sans être embarrassés de la résistance de certains pays. De cette façon, des projets d’intégration plus poussée sont réalisés pour le « coeur » de l’Union. Par exemple, la communauté monétaire est mise en place pour onze Etats membres. Il n’est nul besoin d’attendre les « retardataires ». De même, si de nouveaux pays entrent dans l’Union, ils ne sont pas obligés d’adhérer immédiatement à ce programme et, en même temps, ils n’empêchent pas le plein accomplissement de celui-ci pour ceux qui y participent. Il pourrait en aller de même pour la constitution d’une armée européenne autonome ou pour d’autres sujets. Ainsi, les matières politiques peuvent avancer, sans être arrêtées par les pays qui veulent se limiter à l’aspect économique.
De cette façon, un noyau européen se forme, avec les Etats les plus forts. Et ceux-ci déterminent la création du super-Etat européen. Il y a alors une Europe à deux vitesses. D’un côté, il y a ce centre réuni autour de l’Allemagne et de la France (et qui comprendra très certainement le Bénélux). C’est pour lui que l’Etat européen est fondé. De l’autre, il y a les pays « périphériques », qui participent à certains domaines, mais pas à l’ensemble. Ils sont intégrés économiquement, donc soumis aux grandes entreprises présents dans le coeur européen. Et cela suffit.
Enfin, le renforcement de la Commission permet progressivement l’établissement d’un véritable exécutif européen, prélude à un gouvernement authentique. C’est également la choix de fonder la création d’une institution supranationale, défendant des intérêts « proprement européens. L’Union n’est donc pas seulement le résultat d’une coopération intergouvernementale. Elle la dépasse. Par exemple, Pascal Lamy deviendrait ainsi le ministre au Commerce de l’Union.
Joschka Fischer, actuel ministre allemand des Affaires étrangères et responsable des Verts, exprime parfaitement ces intentions, lors d’un discours prononcé à l’université Humboldt à Berlin, le 12 mai 2000[8]. Cet exposé est considéré par les experts européens comme l’un des plus fondamentaux, car il relance l’idée d’une Europe politique et propose des voies concrètes pour résoudre le problème de son fonctionnement.
Ainsi, Fischer prône l’élargissement de l’Union à une trentaine de pays, en particulier à l’Est. Non seulement pour étendre le marché unique, mais aussi pour les intégrer politiquement dans un seul « monde » libéral, capitaliste. Mais ceci pose la difficulté de la gestion d’une telle Europe élargie. C’est là qu’il développe ses projets de création d’un super-Etat européen fédéral : « Question des questions, mais il y a une réponse toute simple : la transition d’une union d’Etats à la pleine parlementarisation d’une Fédération européenne, comme le demandait Robert Schumann[9], il y a 50 ans. Et cela signifie rien de moins qu’un parlement et un gouvernement européens qui détiennent réellement le pouvoir législatif et exécutif dans la Fédération. Cette Fédération doit se baser sur un traité constitutif ».[10]
Fischer soutient donc la fondation d’un véritable Etat européen. Il y a un transfert de souveraineté vers le super-Etat, même si les pays membres gardent une fonction importante : « L’accomplissement de l’intégration européenne ne peut être un succès que si elle se réalise sur base d’une division de la souveraineté entre l’Europe et les Etats-nations. Précisément c’est l’idée qui sous-tend le concept de « subsidiarité », une matière qui est actuellement discutée par tout le monde, mais que presque personne ne comprend ».[11] Il est impossible de ne pas songer à l’Etat fédéral allemand, même si Fischer précise que les Etats membres disposeront de plus de pouvoir que les Länders allemands.[12]
Mais une telle fédération n’est pas possible pour tout de suite. Il faut donc permettre à certains Etats, principalement la France et l’Allemagne[13], d’avancer sur cette voie. C’est pourquoi Fischer propose un développement par palier successif : « Une étape intérimaire possible sur le chemin de l’intégration politique complète pourrait être plus tard la formation d’un centre de gravité. Un tel groupe d’Etats pourrait conclure un traité européen de fondation, le noyau d’une constitution pour la Fédération. Sur la base de ce traité, la Fédération pourrait développer ces propres institutions, établir un gouvernement qui, au sein de l’Union, pourrait parler d’une seule voix au nom des membres de ce groupe sur le plus grand nombre de matières possible, avoir un parlement fort et un président directement élu. Un tel centre de gravité devrait être l’avant-garde, la force dirigeante dans l’accomplissement de l’intégration politique et devrait comprendre dès le départ tous les éléments de la future fédération ».[14]
Les décisions sur la majorité qualifiée, la coopération renforcée et le renforcement de la Commission participent clairement à ce projet par palier, tel que le souhaite Joschka Fischer.
La création d’un Etat européen semble être le résultat d’une logique naturelle implacable. En réalité, elle est surtout l’expression de la volonté patronale. Depuis 1985 (au moins), tous les actes essentiels, toutes les orientations fondamentales de la construction européenne sont quasiment dictés par les grands groupes d’influence composés par les dirigeants des grandes firmes. A commencer par la Table ronde des industriels européens. Celle-ci, créée en 1983, rassemble 48 responsables des grandes multinationales européennes (Renault, TotalFina, Suez-Lyonnaise[15], Saint-Gobain, Bayer, Siemens, Thyssen-Krupp, Bertelsmann[16], Unilever, Shell, BP Amoco, ICI, Pirelli, Fiat, Nestlé, Philips, Solvay, Gevaert, Société Générale de Belgique, etc.). Elle est à la base de la création du marché unique, des grands marchés d’infrastructure européens, de la monnaie unique, des traités de Maastricht et d’Amsterdam[17].
En février 1997, le secrétaire général de la Table ronde de l’époque, Keith Richardson[18], expliquait : « Nous sentons très fortement que l’Europe ne peut pas avancer à l’allure du plus lent, (...) les Etats-Unis ne pourraient rien faire si chaque décision devait être ratifiée par les 52 Etats ».[19] Mais ce sont d’autres instances qui s’occupent de détailler les préoccupations politiques des patrons européens.
Il en est ainsi du groupe de réflexion, European Policy Centre (EPC). Il a été fondé en janvier 1997 par Stanley Crossick, un des lobbyistes les plus influents et les plus anciens à Bruxelles[20], Max Kohnstamm, ancien président du comité d’action Jean Monnet[21], et John Palmer, ancien rédacteur en chef de l’édition européenne du Guardian[22]. Le président du conseil d’administration de l’EPC n’est autre que Peter Sutherland. Ancien secrétaire général de l’Organisation mondiale du commerce, ce dernier est actuellement, entre autres, président de BP Amoco, président de Goldman Sachs International et membre de la Table ronde des industriels européens. On retrouve également dans cet organe : Karel Van Miert, ancien commissaire à la Concurrence et administrateur aujourd’hui chez Philips, Swissair et Agfa-Gevaert, Pascal Lamy, ancien numéro deux au Crédit Lyonnais et actuel commissaire au Commerce, Wim Philippa, le secrétaire de la Table ronde, Dirk Hudig, celui de l’UNICE, la confédération patronale européenne, Elisabeth Guigou, la nouvelle ministre de l’Emploi (PS) en France, Leo Tindemans, ancien Premier ministre belge[23]. L’EPC est donc un groupe diffusant les idées patronales, avec l’assentiment de certains responsables politiques importants comme Pascal Lamy.
Il n’est donc pas inintéressant de s’intéresser aux recommandations de cet organe et, en particulier, à celles de Peter Sutherland, le président de son conseil d’administration et membre de la Table ronde. Celui-ci a effectivement écrit en juillet 2000 une série de réflexions, devant servir de base de discussion pour la conclusion du traité de Nice.
D’abord, il tient à
transférer le plus de pouvoirs possible au futur Etat européen. Il souligne, en
effet : « l’essence de l’Union européenne réside dans l’entité
supranationale où le cours de la loi européenne est supérieur aux dispositions
nationales »[24].
Il ajoute : « Je crois que c’est crucial de protéger le caractère
supranational de l’Union européenne à travers un processus continu de transfert
de pouvoir vers les institutions communautaires. C’est ce qui donne à l’Union
européenne sa force et son efficacité ».[25]
Ensuite, il propose de
renforcer les compétences de la Commission : « La clé de la structure
de l’Union européenne est et doit demeurer la Commission. C’est le coeur du
système supranational de l’Union européenne et a été l’unique responsable des
succès les plus importants de celle-ci. La Commission a été centrale dans le
développement de l’Union européenne, jouant un rôle pivot dans la conception et
l’exécution des principaux buts politiques de l’Union, comme le marché unique,
la monnaie unique et maintenant l’élargissement ».[26]
Peter Sutherland défend la réduction du nombre des commissaires, parce que
ceux-ci ne représentent pas les intérêts des pays membres, mais l’intérêt
supranational.
Enfin, si le principe de
coopération renforcée, permettant à certains Etats d’aller plus loin, est
inévitable, il faut qu’il y ait un noyau de collaboration qui soit le plus
large possible : « Le danger de flexibilité est que l’Union
européenne pourrait devenir entièrement flottante, avec des pays pouvant
prendre et choisir ce qu’ils veulent. (...) Il doit y avoir un coeur, une
partie du système qui ne peut pas être rejetée. Par exemple, il est impossible
de rejoindre le marché commun et de rejeter la politique agricole commune. Un
autre exemple est la politique de concurrence : si des pays rejoignent
l’Union européenne sans être capables véritablement d’appliquer cette politique,
ils vont détruire le système. L’approche « à la carte » de
l’intégration doit être rejetée. (...) Toutefois, je pense que la
différenciation, avec un groupe de pays engagés à aller de l’avant à travers
une coopération plus étroite dans un série précises de domaines, créera une
avant-garde qui fournira une impulsion nouvelle au processus d’intégration.
C’est crucial, toutefois, que la porte reste ouverte aux autres pays, pour
qu’ils rejoignent le projet plus tard s’ils le veulent. (...) La coopération
renforcée parmi un nombre plus petit de pays permet aux plus ambitieux
d’expérimenter dans certains domaines des formes d’intégration plus profonde
pouvant être adoptées plus tard avec succès par d’autres Etats membres ».[27]
On remarque la similarité de vue avec les propos de Joschka Fischer.
Dans un texte prévu pour
influencer le sommet de Biarritz, tenu les 13 et 14 octobre 2000, l’EPC publie
de nouvelles recommandations plus précises. D’abord, le caractère supranational
de l’Union doit l’emporter sur les marchandages intergouvernementaux. Il faut
créer un « intérêt proprement européen ». Cela signifie :
priorité à la Commission sur le Conseil des ministres. Ensuite, « le vote
à la majorité qualifiée doit devenir la règle, sauf pour les prescriptions qui
sont d’une nature constitutionnelle. C’est une illusion d’imaginer que, dans
une Union de 25 à 30 Etats membres, les décisions nécessaires seront prises, si
l’unanimité est toujours requise. Par nature, l’exigence de l’unanimité
conduira à des décisions au Conseil sur le plus petit dénominateur commun et à
la défense rigide des points de vue nationaux. (...) C’est pourquoi l’adoption
du vote à la majorité qualifiée est centrale dans la méthode de fonctionner
pour la Communauté ».[28]
Enfin, l’EPC exprime ses réticences vis-à-vis de la coopération renforcée et
l’accepte comme un pis à aller pour avancer plus vite.
On peut constater une très
grande communauté de vue entre les responsables économiques et politiques sur
l’intérêt d’avoir une entité supranationale qui prenne les décisions
importantes au nom de l’Europe et qui surplombe de cette façon les
préoccupations nationales. Les réformes institutionnelles, qui devront être
décidées à Nice, sont une étape fondamentale dans la création de cet Etat
européen.
Les patrons veulent un Etat
européen pour les défendre
Dans le contexte
néolibéral, on peut avoir l’impression que les organisations patronales ne
désirent qu’une chose : développer le marché, le libérer de toute
contrainte et donc réduire l’intervention de l’Etat à sa portion congrue,
principalement à sa fonction répressive. C’est une vision pour le moins
simpliste.
L’Etat est et reste
une instance de « régulation ». Pour libéraliser, pour ouvrir les
frontières, il faut - quel paradoxe ! - les décisions des Etats. Mais tout
ne peut pas être réglé par le marché. Il faut un cadre dans lequel les
entreprises peuvent évoluer. Même selon les libéraux, il faut empêcher que
les contraintes ne viennent perturber la concurrence. Lorsqu’il y a des
« dysfonctionnements », il faut une instance qui prenne en charge la
proposition et la réalisation de solutions. Les principaux gouvernements de la
planète sont conscients que la fuite des capitaux peut amener des situations
difficilement gérables. Ainsi, depuis 1995, il a fallu avancer des lignes de
crédit de 240 milliards de dollars[29]
pour sauver les pays pris dans cette tourmente (Mexique en décembre 1994,
l’Asie de l’Est à partir de juillet 1997, la Russie en août 1998, le Brésil en
septembre 1998, entraînant à son tour l’Amérique latine). L’ampleur de ce
montant est d’ailleurs à l’origine de la réforme des institutions
internationales, en particulier du Fonds monétaire international (FMI), qui
doit limiter ses interventions et avoir une politique davantage préventive,
plutôt que réactive[30].
Mais, pour cela, il faut une politique active des Etats.
C’est surtout dans les
grandes entités que la nécessité d’un Etat agissant est la plus présente. Car,
en fonction de la politique suivie, celui-ci va avantager « ses »
multinationales. Aujourd’hui, la compétition entre les grandes firmes est
intense. Le mouvement des fusions en est un aspect. En 1995, celui-ci s’élevait
à 975 milliards de dollars dans le monde. Quatre ans plus tard, il était estimé
à 3.305 milliards de dollars[31].
Il a plus que triplé sur la période. Pourquoi ? Pour constituer des firmes
toujours plus grandes, toujours plus puissantes, ayant des parts de marché en
augmentation sur le plan mondial. Avec pour résultat, la formation d’une
concentration sans précédent : deux firmes produisent tous les avions civils
de la planète (Boeing et Airbus) ; quatre sociétés fournissent les moteurs
d’avions ; cinq compagnies fabriquent des pneus (Michelin, Bridgestone,
Goodyear, Pirelli, Continental[32]) ;
sept grands groupes automobiles dominent la production de voitures particulières (General
Motors, Ford, Toyota, DaimlerChrysler, Renault-Nissan, Honda et Peugeot[33]) ;
trois géants pétroliers dirigent le globe (Exxon-Mobil, Royal Dutch/Shell et BP
Amoco ; TotalFina et Chevron-Texaco tentent de rejoindre ce groupe).
Mais, pour faire partie de
cette élite, les grandes firmes se livrent à une concurrence sans merci. Tous
les coups sont permis, y compris l’aide de « son » Etat. Dans cette
bataille, l’atout principal des entreprises européennes est le marché unique.
Avoir à portée de main un potentiel de 350 millions de consommateurs, voire
même 500 millions en cas d’élargissement, est d’une importance capitale pour
les multinationales du vieux continent. C’est la base à partir de laquelle
elles peuvent écouler leurs marchandises, faire du « chiffre
d’affaires » à un bon taux de profit et d’attaquer les autres marchés
grâce à cela. D’où le caractère essentiel de la création du grand marché
intérieur et de l’élargissement, deux orientations pour lesquelles la Table
ronde a joué un rôle de lobbying efficace.
Mais cela ne suffit pas. Il
faut un véritable Etat qui gère ce territoire agrandi, qui réponde aux besoins
de régulation, lorsque cela est nécessaire, qui parle d’une voix au niveau
international. Isolés, les pays européens ne font plus le poids face aux
Etats-Unis.
Economiquement, le produit
intérieur brut[34] (PIB) du
plus grand d’entre eux, l’Allemagne, ne représente que 7,3% du PIB mondial[35],
contre 13% pour le Japon et 29% pour les Etats-Unis. Ensemble, les quinze pays
de l’Union forment 28,6% de ce PIB mondial[36].
Si le commerce européen est le premier de la planète, il s’agit surtout
d’échanges au sein de l’Europe même. En matière d’investissements à l’étranger,
le stock allemand est le tiers de celui des Etats-Unis, et celui de la Grande-Bretagne
en est à la moitié. Ensemble, par contre, les pays européens ont le double
d’investissements à l’étranger que les Etats-Unis[37].
Quant aux différents secteurs, il n’y a guère qu’en chimie et dans des domaines
plus limités (comme certains aspects des télécommunications) que l’Europe a
l’avantage. Dans les autres, elle est plutôt à la traîne.
Politiquement, les pays
européens, pris séparément, sont faibles. La Grande-Bretagne et la France sont
deux anciennes puissances coloniales, qui ont perdu de leur superbe avec la
perte de leur empire. L’Allemagne a perdu la Deuxième Guerre mondiale.
Théoriquement, elle ne peut développer d’armée à l’étranger. Il y a de toute
façon une méfiance à son égard. Seule l’Union européenne peut affirmer son
poids dans les instances internationales. Elle peut également parler d’une
seule voix, au lieu d’avoir quinze avis, qui peuvent être différents.
Militairement, l’avance
américaine est sans égale. En 1997, l’armée du Pentagone était composée de plus
d’un million et demi d’hommes. Les effectifs militaires français, la plus
grande en nombre en Europe, atteignent à peine le tiers de ce montant. En
revanche, pris ensemble, les soldats européens se chiffrent à un peu plus de
deux millions. En ce qui concerne les dépenses militaires, Washington dispose
d’un avantage encore plus important. Il emploie 273 milliards de dollars, alors
que l’Union européenne n’en utilise globalement que 161 milliards de dollars
(41 milliards seulement pour la France isolée)[38].
Il faut dire qu’environ un tiers des dépenses en armement dans le monde le sont
par les Etats-Unis.
S’il faut imposer un ordre
en faveur des firmes américaines, Washington dispose incontestablement de plus
de moyens que Bruxelles. A tel point que pour résoudre le conflit yougoslave,
c’est l’OTAN sous l’égide du Pentagone qui s’est acquitté de cette mission.
Mais on peut citer d’autres enjeux stratégiques où l’importance militaire est
de mise : le contrôle sur les approvisionnements pétroliers, que ce soit
au Moyen-Orient ou en Asie centrale et caucasienne. Une telle domination, qui
est pour l’instant le chef des Américains, peut à terme entraver le
développement des firmes européennes[39].
L’Etat européen, un
développement positif ?
Invité à l’European
Policy Centre, le Premier ministre belge, Guy Verhofstadt, a prononcé un
discours remarqué. L’ancien partisan d’une libéralisation sans retenue du
marché, à l’instar de ce que prônait Margaret Thatcher en Grande-Bretagne, a
voulu répondre à la question de la finalité de l’Union européenne. C’est ainsi qu’il
a été amené à parler de l’Etat européen. « Il faut également une Europe
politiquement forte assumant un rôle de premier plan au niveau international.
Une Europe ayant son mot à dire et pouvant le faire valoir ».[40]
Quand il doit
détailler ce que cela signifie concrètement, Verhofstadt est encore plus
intéressant : « Ce que nous voulons, c’est une Europe intervenant
elle-même dans les Balkans. Une Europe mettant elle-même un terme à la crise
ethnique en ex-Yougoslavie. Pas une Europe qui attend que son allié américain
prenne une initiative, simplement parce qu’elle ne dispose pas de la
combativité politique ni de la capacité militaire pour s’en charger ».
Autrement dit, il veut clairement que ce soit l’Union européenne qui ait la
possibilité de mettre au pas la Yougoslavie, et non les Etats-Unis (ou l’OTAN).
C’est pour cela qu’il faut une politique étrangère commune et une armée
européenne. Donc il faut un Etat.
Il poursuit :
« Nous voulons une Europe qui assume également ses responsabilités en dehors
de ses propres frontières, entre autres en Afrique, le continent exposé
actuellement aux pires souffrances de la pauvreté, de la maladie et de la
guerre. Seule une Europe forte et unanime peut développer un partenariat
durable avec l’Afrique, un pacte de stabilité capable de sortir les Africains
du marasme économique pour les mettre définitivement sur la voie du
développement. C’est une responsabilité qui nous incombe et non une
responsabilité du reste du monde. L’Afrique n’est pas seulement le continent le
plus proche, le plus ancré sur l’autre rive de la Méditerranée. C’est également
le continent à l’égard duquel nous portons une responsabilité historique. Car
ce sont les quinze Etats membres de l’Union européenne qui, pendant plus de
cinquante ans, ont colonisé et asservi ce continent ».[41]
L’Afrique aux Européens, voilà en substance le message du Premier ministre
belge. C’est une affirmation aux relents colonialistes. Et les phrases pour
souligner l’importance de sortir le continent de la pauvreté et de la guerre ou
pour condamner le colonialisme d’antan ne doivent pas faire illusion : le
but est de réserver le marché africain aux multinationales européennes et pas à
leurs consœurs américaines ou japonaises. C’est cela l’importance du lien
historique entre les anciennes métropoles et les colonies.
Ensuite, il définit
quatre grandes instruments dont doit disposer l’Union européenne. « Il
s’agit à mes yeux : 1. D’une véritable politique étrangère commune. En
d’autre termes, une politique parlant d’une voix au sein de tous les forums
internationaux, aux Nations Unies et au sein du Conseil de Sécurité. 2. D’une
défense européenne autonome. Helsinki fut un premier pas posé dans cette
direction. Mais nous devons aller bien plus loin que la force de réaction rapide
créée dans le cadre de cette réunion. 3. D’une approche intégrée de la justice
et de l’immigration, sans doute un des domaines pour lesquels le citoyen
réclame au plus vite une action de l’Europe. 4. D’une plate-forme de politique
socio-économique commune en complément de l’Union économique et monétaire que
nous avons mise en place il y a quelques années ».[42]
Verhofstadt en finit
par appeler de ces voeux un Etat européen. Certes, il écrit : « Loin
de moi l’idée de plaider en faveur d’un quelconque super-Etat européen ».
Mais c’est bien ce à quoi il doit aboutir : « Ce qui est unique dans
le cadre du processus d’unification européen, c’est précisément le fait que
l’Union ne soumette ni ne supprime les Etats existants - voire les Régions et
les entités fédérées - mais les intègre pacifiquement dans un ensemble plus
large ».[43] Il
ajoute : « Dans un monde globalisé, il est par conséquent préférable
de confier les compétences aux niveaux qui pourront les exercer le plus
efficacement ».[44]
Ainsi est précisé le
plus clairement le projet actuel d’Etat européen, impulsé et appuyé par les
grands groupes patronaux telle la Table ronde.
C’est un programme mis en place contre les salariés. L’Union européenne est à l’avant-garde pour la généralisation de la flexibilité sur le continent. Elle pousse au travail de nuit et de week-end. Elle incite au travail à temps partiel et au travail temporaire. Son grand concept est celui d’employabilité. William Bridges, gourou américain de la flexibilité, la définit de la sorte : « votre sécurité proviendra d’abord et avant tout de votre capacité à vous rendre alléchant pour l’employeur »[45]. Autrement dit, c’est la domination sans partage des patrons et du marché. C’est la soumission complète des travailleurs, pour lesquels, bien évidemment, les syndicats deviennent inutiles[46]. L’Union européenne est à la pointe pour démanteler les systèmes publics de sécurité sociale et pour promouvoir à leur place des régimes privés, par exemple dans le domaine des retraites. C’est elle qui incite également aux privatisations et à la suppression des statuts dans la fonction publique.
La Charte des droits fondamentaux, adoptée à Biarritz et sans doute proclamée à Nice, en est un autre exemple. Cet accord, qui ne prévoit nullement le droit au travail, celui d’avoir un revenu de remplacement si on ne peut travailler, le droit au logement, etc., fera peut-être partie du texte choisi pour servir de constitution au futur Etat européen. C’est en tous les cas la volonté de bon nombre de dirigeants politiques et économiques, l’EPC ou Guy Verhofstadt par exemple[47].
Et comme les travailleurs et leurs délégués ne pourront pas rester sans réaction face à ces mesures, les responsables européens prévoient déjà la création d’un espace judiciaire européen. Au nom de la lutte contre la criminalité, ils pourront poursuivre à travers l’Europe tous ceux qui oseront lever la tête. Déjà la gendarmerie belge considère les « activistes » contre la « mondialisation » comme des terroristes. Et les différentes polices n’hésitent pas à des interventions musclées contre des manifestants lors des sommets des institutions internationales.
En second lieu, ce nouvel Etat européen est dirigé contre les peuples de l’Est du continent. Le retour du capitalisme a déjà dévasté ces pays. Dans la plupart des cas, le PIB a reculé et les protections sociales de fait ont été éliminées. Les multinationales européennes et américaines ont investi la place. Elles ont pris possession des principaux marchés. Bon nombre des firmes locales subsistant fonctionnent comme sous-traitants des grandes entreprises européennes. L’intégration économique doit rendre impossible tout retour « en arrière ». Tous les responsables européens se prononcent pour un élargissement rapide à l’Est. Ils veulent arrimer ces nations au capitalisme et on sait le prix que devront payer les salariés : liquidation des derniers reliquats d’industrie locale, concurrence acharnée entre les régions pour accueillir les investissements des multinationales avec des contrées qui « gagnent » et d’autres qui « perdent », compétition généralisée à travers l’Europe entre les travailleurs pour offrir les meilleures conditions sociales aux firmes, etc. Et ceux qui résistent, les responsables européens leur réservent le même sort qu’à Milosevic. La constitution pour 2003 d’une force spéciale de police, forte de 5.000 hommes mobilisables en trente jours, a été décidée au sommet de Feira en juin 2000. Le but : traiter « des opérations de maintien de l’ordre et des missions de conseil, de formation et d’assistance »[48]. Et le lieu de prédilection de déploiement d’un tel corps est explicitement l’Est européen : l’Albanie, la Bosnie, le Kosovo, etc.
Troisièmement, comme le souligne Guy Verhofstadt, l’Etat européen est dirigé contre les peuples et nations du tiers-monde. Les multinationales veulent avoir une instance politique et militaire qui leur assure une partie des profits qu’il est possible de réaliser dans le tiers-monde. Si l’Union européenne intervient activement en Afrique, les gouvernements soutenus par cette puissance se tourneront plus facilement vers les entreprises du vieux continent pour leur approvisionnement. Ils défendront l’ouverture des frontières qui détruira le tissu industriel local, souvent artisanal, car celui-ci ne peut être compétitif face aux puissantes multinationales. Et s’il y a contestation, envie d’une plus grande indépendance, l’Europe pourra disposer de son armée autonome pour intervenir si c’est nécessaire. Exactement comme les différents Etats européen n’ont jamais hésité à le faire par le passé. Mais, aujourd’hui, ils sont dépassés dans ce domaine par les Etats-Unis. D’où un Etat européen uni pour reprendre ce flambeau.
Au sommet européen d’Helsinki, les responsables de l’Union ont décidé qu’en 2003, ils pourront disposer d’une armée de 50 à 60.000 hommes. Lionel Jospin a précisé qu’un tel instrument ne devait pas à s’arrêter à défendre l’espace européen : « La sécurité internationale gagnerait ainsi à ce que l’Union européenne puisse s’impliquer hors d’Europe, en soutien d’actions engagées sous l’autorité de l’ONU ».[49] Nous savons ce que des interventions sous les auspices des Nations Unies veulent dire : les bombardements de l’Irak et la guerre contre Saddam Hussein sont menées dans ce cadre. D’ailleurs, Jospin, tout comme Verhofstadt, se réfère au bon vieux passé colonial de la France : « L’Union pourrait s’engager, par exemple en Afrique, sous l’égide de l’ONU et en relation étroite avec l’OUA[50], pour favoriser la mise en oeuvre de nouvelles coopérations, notamment au service du rétablissement de l’Etat de droit ».[51] Cela ressemble furieusement à un appel pour un droit d’ingérence en Afrique.
Ceci nous amène finalement à la quatrième raison de la création d’un Etat communautaire : la lutte contre les Etats-Unis et, dans une moindre mesure, le Japon, en vue de l’hégémonie mondiale. Certes, tous les patrons sont favorables à l’extension du marché, à la libéralisation des marchés, à la dégradation des conditions de travail pour les salariés, etc. Ils ont les institutions internationales qui développent cette politique au niveau mondial. Et les dirigeants d’entreprises se retrouvent dans des groupes de lobbying, comme la Chambre de Commerce Internationale (CCI)[52], pour impulser cette stratégie.
En revanche, pour accaparer la plus grande partie des profits tirés de cette situation, il y a une compétition intense entre les différentes multinationales. Au niveau des pays, elle se traduit par une guerre entre les grands Etats pour que les firmes « nationales », c’est-à-dire les compagnies qui viennent d’un pays particulier, en bénéficient davantage que les concurrentes. Par exemple, les mesures prises lors du sommet européen de Lisbonne en mars 2000, permettant le développement de la société de l’information (Internet, informatique, télécommunications, etc.), ont été justifiées pour rattraper les Etats-Unis et pour faire du vieux continent un leader dans les technologies de pointe.
Déjà certains conflit, surtout au niveau économique, apparaissent. Lors des négociations à propos de l’accord multilatéral sur l’investissement (AMI), qui devait libéraliser grandement les investissements à l’étranger, l’Union européenne avait plusieurs griefs contre Washington. Elle l’accusait de vouloir inonder le domaine de la culture, d’avoir des législations non conformes au niveau international pour prendre des sanctions contre des firmes qui auraient des relations avec certains pays comme Cuba, la Libye ou l’Iran. Elle critiquait le double langage américain, qui prônait la libéralisation à travers l’AMI, mais qui présentait un dossier de 500 pages d’exceptions à l’accord, surtout parce que les Etats régionaux avaient des législations contraires à l’AMI. Ces raisons ont contribué fortement à l’échec de l’AMI.
De même, à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), on voit de nombreuses escarmouches entre les représentants américains et européens. Il y a bien sûr les cas médiatisés de la banane et du bœuf aux hormones. Mais l’Union européenne a aussi porté plainte au tribunal des différends contre la législation américaine sur le dumping. En effet, les articles 301 à 310 permettent aux Etats-Unis de prendre des sanctions unilatérales contre des firmes venant de pays accusés de pratiquer du commerce non équitable (« non fair trade »). En réserve, Washington a encore le Super 301, encore plus restrictif. Normalement, selon les règles de l’OMC, ces mesures sont illégales, puisqu’elles sont contraires à l’ouverture des frontières et qu’elles résultent de la seule décision américaine[53]. Néanmoins, l’Etat américain a prétendu que ces dispositions étaient en fait l’application des règles de l’OMC aux Etats-Unis et il s’en est sorti. Mais cela montre la concurrence existante entre les Etats des deux côtés de l’Atlantique. De même, l’échec du sommet de Seattle vient, en partie, du fait des divergences euro-américaines. L’Europe voulait le lancement d’un vaste round de discussions, alors que Washington voulait le limiter à des négociations sur les services et l’agriculture. Résultat : il n’y avait pas de texte préparatoire pour la réunion. Difficile dans ces conditions de conclure un accord. Le mouvement de contestation à l’OMC l’a rendu impossible.
Les responsables européens veulent aussi avoir leur « chasse gardée ». L’Europe leur est réservée. Les pays de l’Est également, puisqu’ils désirent intervenir en Yougoslavie et ne pas laisser l’initiative aux Américains. Ils aspirent aussi à la mainmise sur l’Afrique. Il s’agit dans tous ces cas d’un remplacement de la domination américaine par une autre du même type, mais venant d’Europe. Cela ne peut se réaliser dans la douceur.
A terme, ce genre de conflit risque de dégénérer. Pour pouvoir asseoir sa volonté d’hégémonie, le patronat européen a besoin d’un Etat aussi fort que celui dont les multinationales américaines disposent. C’est à cette condition qu’il pourra leur contester la suprématie.
Mais il est évident qu’un tel projet, présenté aussi crûment, aurait du mal à s’imposer chez les travailleurs et les simples citoyens européens. Aussi l’Europe s’est-elle construit plusieurs mythes. L’Union européenne - et tout ce qui s’ensuit - est nécessaire pour assurer sur le vieux continent la paix et la prospérité. « Tirons les enseignements du passé », disent les partisans de l’Europe. « Ne recommençons pas les erreurs de deux guerres mondiales et du repli sur soi. Allons de l’avant et montrons notre unité ». A cela s’ajoute l’insistance sur le modèle social européen. Verhofstadt prône « une Europe fondée sur les valeurs européennes de démocratie, de respect des droits de l’homme, d’Etat de droit et de la diversité culturelle et politique qui constitue notre richesse. Bref une Europe qui demeure attachée aux valeurs héritées de la Révolution française. »[54]
Evidemment, les salariés, les simples gens veulent l’unité avec leurs voisins. Ils ne tiennent pas à entrer en guerre avec eux. Mais ce n’est pas cela le projet européen tel qu’il se construit. Comme nous l’avons montré, c’est un plan patronal pour dominer le continent, pour « reconquérir » l’Afrique et la développer à son profit. C’est un programme pour contester l’hégémonie américaine. Et tout cela conduit inévitablement aux conflits, même si ce n’est pas nécessairement avec les Etats proches. Il y a donc confusion sur ce qu’est l’Europe. C’est pourquoi il est important de comprendre la politique patronale et d’y insérer les raisons pour lesquelles les dirigeants économiques et politiques de l’Union veulent créer un Etat européen.
Ensuite, les valeurs sociales ne sont nullement une caractéristique européenne. Ces soi-disant modèles de respect des droits de l’homme n’ont pas empêché l’Europe d’exploiter sans vergogne les ouvriers au XIXème siècle et de continuer aujourd’hui, en leur imposant la flexibilité généralisée ou des charges de travail toujours plus grandes. Ils n’ont pas arrêté les projets de colonisation des autres parties du monde. Au contraire, ils les ont encouragés. Léopold II, le roi des Belges, a mené la conquête du Congo pour protéger les Noirs de l’esclavage arabe. Mais, ce faisant, il a plongé les populations locales dans un asservissement encore plus cruel et sauvage. Il a obligé de nombreux paysans à venir travailleur sur ces plantations de caoutchouc dans des conditions d’hygiène déplorables. Beaucoup en sont morts. Voilà les valeurs sociales européennes. Et parlons du fascisme, création purement européenne, fondée sur la haine de la race, sur la volonté de domination des autres, qui a entraîné le plus grand nombre de morts jamais perpétrés dans l’histoire. Sans compter les guerres mondiales qui ont eu lieu toujours sur le vieux continent, malgré le soi-disant modèle social européen. L’Europe a suffisamment de morts sur la conscience pour qu’elle s’abstienne à imposer son exemple au monde.
D’ailleurs, Verhofstadt, dans son exposé, doit bien sentir qu’il défend des idées que ses prédécesseurs colonialistes avaient eux-mêmes avancées, car, après avoir fait l’éloge des valeurs européens et énoncé leur caractère universel, il ajoute : « Il ne s’agit pas là d’un état d’esprit impérialiste ».[55] Pourtant, le mot est lâché : impérialisme. Le projet d’un Etat européen entre bien dans ce cadre. C’est bien là le danger principal. Un Etat européen impérialiste est inacceptable.
Cette constatation donne un nouveau caractère à la contestation face à l’Europe. Elle pose immédiatement la question de société : dans quel environnement voulons-nous vivre ? Est-il normal d’avoir la création de cet Etat, émanation patronale pour pouvoir contester l’hégémonie mondiale américaine ? Est-il justifiable qu’il engendre la misère chez les salariés et les simples gens, alors qu’une poignée de riches profitent de cette situation ?[56] Est-il « naturel » qu’il s’accompagne d’un démantèlement accru des systèmes de protection social ? Est-il acceptable qu’il se fonde sur une compétition intense entre grandes multinationales, une concurrence qui a toutes les chances de se transformer à terme en véritable bataille militaire pour que le centre du monde soit Bruxelles plutôt que Washington (ou l’inverse) ? Est-cela le monde que nous désirons ?
Il est clair que, dans ces conditions, il ne s’agit nullement de coller un cachet social, démocratique ou environnemental à la construction européenne actuelle. L’Etat européen doit être combattu complètement. Il doit devenir une cible des manifestations. Et cette lutte doit créer les conditions pour fonder une autre société, une société de paix, où les droits des salariés et des simples citoyens sont garantis, où les travailleurs reçoivent intégralement le produit de leur labeur, que ce soit individuellement ou collectivement. A mon sens, il n’y a pas d’autre alternative.
Il y a quatre arguments qui plaident pour que les luttes visant à supprimer l’Etat réactionnaire européen se mènent de plus en plus au niveau européen.
Primo, ces batailles sont de plus en plus similaires de pays en pays. L’augmentation des prix du pétrole était, à peu de choses près, identiques dans tous les Etats membres. Elle avait le même effet. Et, lors des mouvements de protestation, les ministres des différents pays ont souvent souligné qu’ils ne pouvaient pas céder devant telle ou telle revendication, car c’était au niveau européen que cela se décidait. Avec un peu de patience et d’organisation, il aurait été possible de conduire une contestation à l’échelle européenne et d’exiger de la Commission une prise de position et des mesures. Ce qui est vrai pour les tarifs pétroliers l’est pour de plus en plus de domaines. Les grandes décisions économiques sont prises par l’Union européenne. Et de nouvelles matières vont passer dans le giron européen par le sommet de Nice.
Secundo, le patronat est organisé au niveau du continent. La Table ronde des industriels européens, l’UNICE et d’autres organes sont les instances patronales les plus influentes. En face, c’est souvent la division, qui profite aux dirigeants d’entreprise. Les syndicats sont faibles, peu unis et souvent soumis à une logique social-démocrate proeuropéenne. Cette situation avantage les responsables économiques, qui peuvent jouer alors les travailleurs d’un pays contre ceux d’un autre, pour arriver à tous les exploiter au mieux. Une unité européenne est sur ce point absolument indispensable et urgente.
Tertio, le sommet de Nice révèle un autre aspect : c’est le renforcement des mesures au niveau européen. Il est un pas décisif - même s’il n’est pas le seul et qu’il peut toujours se transformer en son contraire - vers la création d’un véritable Etat européen. Celui-ci devient progressivement un fait qu’il sera difficile d’ignorer. Il faut le combattre, le prendre pour cible. Cette formation d’un Etat européen n’est pas un progrès de l’humanité. C’est la fuite en avant, vers la domination capitaliste, le démantèlement social, l’inégalité de richesses, les conflits commerciaux, l’hégémonie sur le tiers-monde et, finalement, vers la guerre. On doit lutter contre cette dérive.
Quarto, le combat par pays risque de renforcer le repli sur soi des opposants, travailleurs et autres. Le nationalisme divise les salariés et les simples gens. Or, dans certains pays, il est fort ancré. Dans d’autres, il sévit au niveau des régions. Il ne peut y avoir de victoire des travailleurs sans l’appui des salariés des autres pays ou régions. C’est cette perspective de solidarité qui rend le mouvement ouvrier fort, malgré tous les instruments financiers, politiques, idéologiques et militaires des patrons et de leurs alliés. Mais, pour cela, il faut surmonter tous les nationalismes, en particulier dans les pays capitalistes développés.
Le sommet de Nice prépare des changements notoires en Europe. Il pose les jalons pour la création d’un Etat européen. Cette perspective n’a rien de réjouissant. Car cet Etat est fondé, à la demande du patronat européen, pour asseoir sa domination sur le continent et sur d’autres régions, en particulier en Afrique. A terme, c’est un instrument pour contester l’hégémonie mondiale américaine.
Certes, on ne veut pas défendre la suprématie de Washington. Celle-ci secrète une planète où cinq milliards d’êtres humains vivent dans l’extrême pauvreté et où, même dans les pays riches, la majorité de la population a du mal à nouer les deux bouts, alors qu’une minorité croule sous le luxe. Mais ce problème est une question de société qui ne pourra être résolue que par la création d’une autre forme de société. Ce n’est pas en adjoignant un pouvoir de même nature, un Etat européen face à l’Etat américain, que les choses pourront s’améliorer pour les travailleurs et les simples citoyens. Au contraire, cela risque d’empirer. Car la compétition entre deux forces ne peut que s’aiguiser. L’un voudra rattraper l’autre. L’autre voudra conserver son avance. Cela ne peut qu’engendrer des conflits.
[1] Docteur en économie et membre d’ATTAC Bruxelles (même si les propos ci-dessous n’engagent que l’auteur).
[2] Romano Prodi, discours à la session plénière du parlement européen, Strasbourg, le 3 octobre 2000.
[3] Romano Prodi, discours à la session plénière du parlement européen, Strasbourg, le 3 octobre 2000. Sur le concept de subsidiarité, voir ci-dessous.
[4] Ben Hall, « European governance and the future of the Commission », Centre for European Reform, Working Paper, mai 2000, p.2.
[5] Début 2000, c’était le Portugal. Actuellement, c’est la France. Par la suite, il y aura la Suède et, dans un an, la Belgique.
[6] Le terme de « pays » peut ici prêter à confusion. Il s’agit bien évidemment des dirigeants et responsables de ces pays. Les « citoyens » ne sont même pas consultés sur ces décisions.
[7] « Intervention de M. Hubert Védrine devant le parlement européen sur la préparation du Conseil européen de Nice, Bruxelles, le 29 novembre 2000.
[8] Rappelons que c’est Joschka Fischer qui a mis son poids dans la balance pour que les Verts allemands acceptent le bombardement de l’OTAN sur la Yougoslavie.
[9] Robert Schumann était le ministre français des Affaires étrangères au début des années 50. Il est un des promoteurs de la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier (CECA), mis en place en 1952 et précurseur de la Communauté européenne proprement dite.
[10] Joschka Fischer, « A new landmark in the debate over the finalité of European integration », speech by Joschka Fischer at the Humboldt University in Berlin, 12 may 2000, translated text, 17 mai 2000.
[11] Joschka Fischer, op. cit.
[12] Joschka Fischer, op. cit.
[13] Fischer écrit : « Une chose au moins est certaine : aucun projet européen ne peut réussir à l’avenir sans la coopération étroite de la France et de l’Allemagne » (Joschka Fischer, op. cit.).
[14] Joschka Fischer, op. cit.
[15] Suez-Lyonnaise est l’actionnaire majoritaire de la Société Générale de Belgique.
[16] Il s’agit du géant allemand des médias. Il est en partenariat avec RTL, qui elle-même est sous la coupe d’Albert Frère. Celui-ci, sans être présent à la Table ronde, est très influent, étant un actionnaire de référence de Suez-Lyonnaise et de TotalFina.
[17] Pour une vue détaillée sur ces influences, voir Observatoire de l’Europe industrielle (2000), Europe Inc. Liaisons dangereuses entre institutions et milieux d’affaires européens, Agone éditeur, Marseille.
[18] L’actuel secrétaire général est Wim Philippa.
[19] Corporate Europe Observatory (Observatoire de l’Europe industrielle en français), « Intergovernmental conference 2000. Business and the Amsterdam Leftovers », CEO Observer Issue 6, avril 2000. Site : www.xs4all.nl/~ceo/observer6/ceobs06-01.html
[20] Il est présent depuis 1977.
[21] Autre « fondateur » de l’Union européenne dans les années 50.
[22] Observatoire de l’Europe industrielle (2000), op. cit., p.34.
[23] On retrouve aussi Emilio Gabaglio, secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats.
[24] Peter Sutherland, « Beyond Inter-Gouvernmentalism - The Challenge to Reform the European Union », Challenge Europe, 19 juillet 2000.
[25] Peter Sutherland, op. cit.
[26] Peter Sutherland, op. cit. En réalité, la source d’inspiration de la Commission dans ces matières a été la Table ronde des industriels européens à laquelle Peter Sutherland appartient.
[27] Peter Sutherland, op. cit.
[28] « From Biarritz to Nice and beyond : Reform of the European Union : The EPC Position », 8 octobre 2000. Le texte est signé par Peter Sutherland, Karel Van Miert, Stanley Crossick, Hywel Ceri Jones, Max Kohnstamm et John Palmer.
[29] En comparaison, le produit intérieur brut de la Belgique, c’est-à-dire la production de biens et de services dans le pays, se monte à environ 250 milliards de dollars. Un dollar vaut environ 0,86 euros et un euro 40,3399 francs belges. Ce qui met le dollar à près de 47 francs belges. Mais, en vertu des fluctuations des cours de devises, ceci est l’état à la fin 2000 et peut évoluer très rapidement.
[30] Il doit avoir un suivi macroéconomique permanent, de façon à juger les politiques menées par les pays du tiers-monde et, le cas échéant, ne pas soutenir ceux-ci s’ils sont aux prises à des difficultés, mais qu’ils n’ont pas respecté les directives du FMI par le passé. Autant dire que cette réforme s’apparente à une mainmise économique du FMI (et de la Banque mondiale) sur les pays du tiers-monde membres de ces institutions.
[31] Les Echos, 27 novembre 2000, p.70.
[32] Il existe encore quelques firmes japonaises, mais de moindre importance.
[33] GM a 20% de Fiat, 50% d’Isuzu, 21% de Subaru, 10% de Suzuki ; Ford détient Volvo, Jaguar, il a 33% de Mazda ; Toyota possède plus de 50% de Daihatsu ; DaimlerChrysler (Mercedes, Smart, jeep, etc.) possède 34% de Mitsubishi Motors et 10% de Hyundai. Les autres indépendants sont beaucoup plus petits, même BMW. Daewoo Motor est en faillite. Elle doit être démantelée.
[34] Celui-ci calcule la production de marchandises et de services en un an dans un pays.
[35] Le PIB mondial s’élève à environ 30.000 milliards de dollars.
[36] Chiffres tirés du FMI.
[37] Le stock d’investissements, qui reprend les investissements cumulés, s’élève en 1998 à 390 milliards de dollars pour l’Allemagne, 499 milliards pour la Grande-Bretagne, 994 milliards pour les Etats-Unis et 1.956 milliards pour l’Union européenne (Source : UNCTAD, World Investment Report 1999. Foreign Direct Investment and the Challenge of Development, United Nations, New York, 1999, p.495).
[38] Chiffres tirés du GRIP, Synthèse des données internationales, 1998, et Indicateurs économiques de la défense, 1999.
[39] Elle le freine déjà maintenant. Lorsqu’il a fallu choisir les sociétés pour reconstruire les pays ou les régions ravagées ou touchées par la guerre du Golfe en 1991, les pays arabes ont opté d’une manière majoritaire pour les compagnies américaines. Symbole de retombées économiques dues à la puissance militaire de Washington.
[40] Guy Verhofstadt, « Une vision de l’Europe », discours prononcé devant le European Policy Centre, Bruxelles, le 21 septembre 2000. Ce texte est considéré comme un article de référence pour la construction européenne pour l’European Policy Centre. Voir : www.TheEPC.be
[41] Guy Verhofstadt, op. cit.
[42] Guy Verhofstadt, op. cit. J’ai ajouté, pour la clarté, des numéros à la citation.
[43] Guy Verhofstadt, op. cit.
[44] Guy Verhofstadt, op. cit.
[45] William Bridges (1995), La conquête du travail, éditions Village mondial, Paris, p.84. Et la sécurité ne vient plus de droits acquis, conquête des luttes ouvrières du passé.
[46] « Les syndicats prendront de plus en plus le caractère d’une institution de formation vers laquelle les individus se tourneront lorsque leur travail les place devant des défis nouveaux » (William Bridges, op. cit., p.190).
[47] Il semble que ce statut ne soit pas décidé à Nice, plusieurs Etats membres étant opposés à une telle référence (cfr « Intervention de M. Hubert Védrine devant le parlement européen sur la préparation du Conseil européen de Nice, Bruxelles, le 29 novembre 2000).
[48] Lionel Jospin, « Allocution du Premier ministre, lors de l’ouverture de la session annuelle de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale », Paris, le 22 septembre 2000.
[49] Lionel Jospin, op. cit.
[50] L’Organisation de l’Unité africaine, qui regroupe la majorité des Etats africains.
[51] Lionel Jospin, op. cit. Les propos du Premier ministre français ne sont pas anodins. L’allocution est placée comme document de référence de la présidence française au Conseil européen.
[52] La CCI, créée en 1919, se déclare la véritable organisation mondiale des entreprises. Elle rassemble aussi bien des fédérations patronales que des multinationales « individuelles ».
[53] Ce sont les Etats-Unis qui jugent qui contrevient aux règles.
[54] Guy Verhofstadt, op. cit.
[55] Guy Verhofstadt, op. cit.
[56] Entre 1995 et 1999, les 200 personnes les plus riches sur terre, la grande majorité actionnaires ou dirigeants de firmes, ont doublé leur niveau de fortune : d’environ 500 milliards de dollars à plus de 1.000 milliards. En 2000, ce montant s’est un peu tassé, car leur patrimoine dépend en grande partie des activités boursières et celles-ci ont été moins bonnes cette année.