La guerre en Irak n'a pas arrangé l'affaire : en Egypte, où la détestation des juifs est le nouveau ciment social, les manifestations se succèdent contre le complot conjoint des juifs et des sionistes chrétiens. Seule limite, fixée par le raïs Moubarak : ne pas s'attaquer aux propriétés privées –sous-entendu les ambassades et autres centres culturels étrangers. Pendant ce temps, le business des prédicateurs intégristes prospère… « Il faut que chaque Egyptien sache que son pays a tout fait pour éviter la guerre. On peut exprimer ses sentiments dans la rue, mais d'une manière civilisée, sans s'attaquer aux propriétés privées. Il faut se mettre en tête que l'intérêt de l'Egypte prime tout ». C'est ainsi que le raïs Hosni Moubarak s'est adressé à son peuple, après les violentes manifestations qui ont secoué le centre du Caire, notamment près de l'Université américaine (AUC) et des ambassades des Etats-unis et de Grande-Bretagne. Les Egyptiens ont plié aux ordres du raïs, sans en être pour autant convaincus. Chrétiens ou musulmans, intégristes ou intellectuels « éclairés », ils ont tous aujourd'hui pour point commun d'être profondément anti-américains –et, dans la foulée, anti-juifs. L'insulte la plus courante ? « T'es un juif ». Quant à la guerre en Irak, ils n'en démordent pas : elle est menée conjointement par les juifs et les sionistes chrétiens, en croisade contre les musulmans. D'habitude prompts à plaisanter, les Egyptiens sont fort maussades depuis le déclenchement des hostilités en Irak. Ils n'ont rien à dire, sinon une phrase constamment martelée : « Nous avons peur pour nous, pour notre économie branlante, pour notre monnaie qui ne vaut plus rien avec cette bande de voleurs au pouvoir ». Malgré l'omniprésence des forces de l'ordre dans les rues de la capitale, le Premier ministre, Atef Ebeid, est ouvertement conspué. Dans la rue, et dans la presse d'opposition. On l'accuse de tous les maux : la chute de la Livre égyptienne, la récession, le chômage, le retour massif des travailleurs égyptiens en poste dans les pays arabes. Reste l'ultime planche de secours, à laquelle chacun ici se raccroche : la religion. Y compris dans son versant politique. Les muftis, dont les mosquées font le plein, édictent des fatwas appelant au jihad. Le pape copte, Chenouda III, leur répond à travers la presse : « C'est une erreur historique, déclarait-il récemment, de dire que les juifs n'ont pas crucifié le Christ. On ne peut pas leur pardonner. Je ne suivrai pas en cela le pape de Rome, et je n'entrerai à Jérusalem que main dans la main avec le grand mufti d'al-Azhar ». Tant pis si les juifs en font les frais : l'essentiel n'est-il pas, à ses yeux, d'empêcher les musulmans de s'en prendre aux coptes de Haute Egypte ? Ses ouailles suivent, et les dirigeants sont à ses petits soins. Ses prises de position servent l'intérêt supérieur de l'Etat et exaltent l'unité nationale. Tant pis si les juifs en font les frais : l'essentiel n'est-il pas, à ses yeux, d'empêcher les musulmans de s'en prendre aux coptes de Haute Egypte ? Ce fut pourtant encore le cas, le 7 mars, dans le village d'Abou Korkass, près d'Assouan… L'Egypte a peur de la très grave crise économique qui la guette. Elle a surtout très peur de la pieuvre intégriste que l'Etat (et les intellectuels) tentent de combattre par tous les moyens. Dernier épisode en date : l'élection, à la tête de l'Ordre des Avocats, de Seif Al Islam (littéralement : l'épée de l'islam) Hassan Al Banna, le fils du fondateur des Frères Musulmans, lesquels remportent ainsi une manche dans leur grande bataille politique dont l'objectif est de s'emparer de tous les rouages du pouvoir. La réponse du raïs Moubarak a été on ne peut plus maladroite : il a installé son fils (et dauphin officieux), Gamal Moubarak, à la tête du mouvement réformateur destiné à redorer l'image du pays aux yeux de l'Occident –et surtout de l'Amérique. aujourd'hui, 85 % des jeunes filles de la bourgeoisie musulmane cairote portent le hijab et leurs frères se laissent pousser de longues barbes, au grand dam des parents Mais il y a plus fort que le raïs : les prédicateurs, comme Amr Khaled, Safwat Higazi, Ragheb El Sirguani (par ailleurs professeur à la Faculté de médecine du Caire), Hazem Abou Ismaïl ou Zaghloul el Naggar. Ceux-là sont à la tête d'un véritable business. Ils noient le marché de centaines de milliers de cassettes, CD, CD-ROM et autres vidéos que s'arrachent surtout les jeunes, et à travers lesquelles ils propagent leur vision d'un islam pur et dur. Les chaînes de télévision privées les accueillent à bras ouvert –audimat oblige. Et leur message porte : aujourd'hui, 85 % des jeunes filles de la bourgeoisie musulmane cairote portent le hijab et leurs frères se laissent pousser de longues barbes, au grand dam des parents. Vingt-trois ans après la paix avec Israël qui leur a été, disent-ils « imposée par Sadate », les Egyptiens sont prêts à en découdre. Avec Israël, avec les juifs, avec les Américains surtout, éventuellement avec le pouvoir. Mais iront-ils jusqu'au bout ? Rien n'est moins sûr. Au fond, le système actuel satisfait tout le monde –en tout cas tous les décideurs, aussi bien loyalistes qu'opposants. Et ceux-là n'ont vraiment pas envie d'un grand bouleversement…