Les années 1990, et on en a vu l’amorce dans les années 1980, ont été celles de la mise au jour d\'un certain nombre de situations de non-droit pour différentes catégories de la population. Tout un chacun se souvient des mouvements qui ont animé des chômeurs (1), des minimexés, des « SDF », des « sans-ticket », … Il s’agissait bel et bien d’une réapparition de la question sociale, cette fois-ci sous la forme d’une crise de la légitimité du système social aux yeux de celles et ceux qui sont exclus de son sein, et dont les grands appareils institutionnels (rouages de ce système), politiques ou syndicaux, ne portent pas ou peu les préoccupations. On a parlé de « génération des sans », de « génération de collectifs ». Parmi tous ces « sans » se trouvent les sans-papiers qui eux non plus n’ont pas la possibilité d’accéder à un statut positif. UN RACISME INSTITUTIONNEL LATENT On le sait, les étrangers résidant sur le territoire sans titre de séjour ont mauvaise presse. Suspectés d’être des « profiteurs économiques », on ne voit en eux que des personnes à la moralité douteuse et uniquement motivées par la recherche d’un intérêt personnel et financier. A cela s’ajoute parfois, dans le registre des stéréotypes, l’idée que « ce ne sont pas des gens comme nous » sur le plan culturel, qu’il « ne s’intègrent pas ». Un troisième lieu commun est de dire « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde », alors que la plupart des sans-papiers qui s\'installent ici, le font pour pouvoir travailler. Il ne faut pas se faire d’illusions, les mesures répressives qui sont prises à leur encontre, qui les stigmatisent et leur interdisent l’accès ou l’exercice de certains droits, masquent un sentiment raciste latent. Ce racisme se cristallise sur les sans-papiers, alors que l’on ne voit pas bien en quoi le fait de ne pas avoir de papiers (c’est-à-dire, essentiellement, le fait de ne pas avoir de domicile légal, de carte d’identité) poserait à ce point un problème à la société ou à la sécurité publique ! Ce racisme s’explique par le contexte politique actuel : depuis l’émergence et la cristallisation de la crise économique, un vieux réflexe est réapparu avec plus ou moins d’insistance selon les années : la culpabilisation des personnes sans ressources et des étrangers. C’est un vieux réflexe, hélas … Il n’est pas nécessaire de rappeler les mesures qui ont été prises pour exclure les chômeurs, via la réduction du montant de leurs allocations ou via la réduction de la durée de ces allocations pour les cohabitants. Des mesures de restriction des droits à l’aide sociale (CPAS) ont été adoptées également. C’est donc un climat général de restriction des droits des gens qu’il faut analyser la question des sans-papiers. QUEL ANGLE D’ANALYSE ? Au sein de la section de Bruxelles de la Ligue des Droits de l’Homme, plusieurs d’entre nous se sont mobilisés sur la question des sans-papiers ces dernières années. Différentes formes d’action ont été privilégiées, allant de la participation à des manifestations au soutien de type lobbying auprès de certaines institutions publiques pour leur faire adopter une position particulière sur des dossiers très précis. Si nous avons participé, chacun selon nos moyens et disponibilités, au mouvement de défense des sans-papiers, nous avons dû faire un état des lieux il y a quelques mois et réfléchir à la situation actuelle. En raison de la procédure de régularisation (qui est tout de même en grande partie de la poudre aux yeux, lorsque l’on compare les résultats obtenus aux objectifs initiaux), il faut bien reconnaître que le mouvement s’est assoupi, faute de combattants, sans doute, par lassitude certainement, par divergence sur les attitudes et objectifs à adopter. D’un autre côté, les droit sociaux des sans-papiers sont réduits à peau de chagrin. Rappelons-nous par exemple « l’affaire Mohamed Dardor ». Celui-ci avait introduit dans les délais une demande de régularisation sur base de la loi du 22 décembre 1999 (critère n°3) relative à la régularisation de séjour de certaines catégories d’étrangers séjournant sur le territoire belge. Expulsé de son logement par son propriétaire, et recueilli par Madame Samira Lahlou, âgé de 60 ans et atteint de diabète, aveugle des suites de cette maladie, il apparaît à l’époque que le CPAS de Saint-Gilles refuse de le soutenir et que par ailleurs son dossier de régularisation se ballade ou se « perd » entre les différentes instances compétentes. Le CPAS de Bruxelles-Ville acceptera d’hospitaliser Monsieur M. DARDOR à l’Hôpital Saint-Pierre, même si celui-ci relève du ressort de la commune de Saint-Gilles (qui n’a jamais fait preuve de sympathie pour les sans-papiers, loin de là !). Le Collectif contre les expulsions soutiendra lui aussi Monsieur M. Dardor. Finalement, il sera régularisé. Il semble évident que la médiatisation de cette affaire et l’émotion qui en a découlé ont entraîné la notification positive du Ministre de l’Intérieur. Nous avons beaucoup réfléchi entre membres de la section et deux choses nous sont venues à l’esprit (ce texte ne résume bien sûr pas les échanges). Primo, il y a un arrêt dans la défense des sans-papiers, en raison de la procédure de régularisation (qui ne fait que traîner en longueur). Les régularisations ne se font qu’au compte-gouttes. Deuxio, il faut réfléchir plus loin qu’à la simple question du droit à l’aide sociale et aux papiers et s’éloigner du discours de la pseudo-humanisation des centres fermés. Dès le départ ces centres fermés ont été quelque chose d’inacceptable, d’immonde. Ils sont l’aboutissement d’une politique volontairement attentatoire à la dignité humaine. Ceux que l’on détient dans ces centres fermés, on veut en faire des exemples auprès des pays dont ils sont ressortissants. Leur personne ne compte pas, n’a de sens que l’impact que pourra avoir à l’étranger ce traitement indigne. Et au fonds il s’agit là de ce qui se trouve au cœur de la politique actuelle à l’égard des sans-papiers : ils ne sont pas considérés comme des sujets. De la même façon dont on parle des chômeurs comme de statistiques, comme s’il s’agissait de choses. On oublie que il s’agit de personnes, de familles, d’adultes, d’ hommes ou de femmes, d’enfants aussi. Leurs souffrances, leurs passions, leurs savoirs, tout cela ne compte plus. Ce ne sont plus que des « choses » dont on veut se défaire, et tous les moyens sont bons. Et toutes les méthodes deviennent permises. AU CŒUR DE NOTRE RÉFLEXION : LES CENTRES FERMÉS Ces centres fermés sont vraiment quelque chose d’inacceptable (2). On y est détenu sans avoir commis de crime ou délit, soumis à une administration, littéralement, pénitentiaire, dans des conditions psychologiquement et moralement éprouvantes. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire que l’on opte pour l’enfermement des personnes présentées comme dangereuses ! Mais, en plus de la détention arbitraire, en Belgique comme dans plusieurs autres pays européens d’ailleurs, l’usage de la force physique par la force publique aboutit à des situations ignobles, à des mesures de traitement inhumain et dégradant, voire même au meurtre légal, pour ce qui concerne Semira Adamu. Cette jeune fille de 18 ans qui rêvait de s’installer en Belgique, franchement, en quoi représentait-elle à ce point un danger qu’il a fallu l’étouffer entre deux gendarmes et un coussin ? Quel était son crime, qui rendait nécessaire l’usage de la violence physique ? Il faut parler aussi des femmes qui ont fait des fausses couches du fait des mauvaises conditions de vie (ou des mauvais traitements) dans les centres fermés, des familles séparées. Le corollaire de l’expulsion, c’est le centre fermé, c’est évident. Nous souhaitons débattre avec un maximum de personnes de tout ceci. C’est pourquoi nous vous fixons rendez-vous ce vendredi 18 mai 2001, à 20 heures au Centre Culturel des Riches-Claires, pour la conférence-débat organisée en collaboration avec la Ligue des Familles, la FIDH, le CRACPE, le MRAX et le CCLE. Pour la SECTION DE BRUXELLES DE LA LIGUE DES DROITS DE L’HOMME, Prédrag Grcic, Françoise de Viron, Chantal Massaer, Geneviève Parfait, Marjolaine Lonfils, Roger Lonfils Rue de Londres, 15 à 1050 Bruxelles – 02 511 45 41 (1) A ce sujet, se reporter aux travaux actuels de la Plate-Forme Cohabitation, à laquelle participent la Ligue des Familles, les Femmes Prévoyantes Socialistes, Vie Féminine, le Front Commun SDF, Droits Devant!, la Section de Bruxelles de la Ligue des Droits de l\'Homme, etc. : www.liguedh.org/cohabitant.html (2) Se reporter à l’étude de la FIDH, « Centres fermés, l’arrière-cour de la démocratie ». Disponible sur le site http://www.fidh.org/rapports/r277.htm