L'Alliance du Nord, qui vient de prendre Kaboul est-elle une alternative aux talibans? Michel Collon. Beaucoup d'ONG, de journalistes et d'observateurs de longue date de la situation afghane répètent que l'alliance du Nord ne vaut pas mieux que ce qu'on le reproche aux talibans. C'est le commandant Massoud, chef de l'Alliance jusqu'au 9 septembre qui avait instauré la charia en 1994 à Kaboul. Il était membre du mouvement islamiste Jamiat Islami, le parti de Rabani, fondamentaliste notoire. Mais les dirigeants occidentaux semblent dire eux aussi qu'ils n'ont pas confiance dans l'alliance du Nord. Pourquoi ? Quels sont leurs buts ? Michel Collon. Il faut rappeler que les Etats-Unis ont soutenu et financé les talibans en espérant contrôler le pays, pour construire les gazoduc et oléoducs de la multinationale américaine Unocal. Les Etats-Unis les ont soutenus contre l'Alliance du Nord. Car celle-ci est une alliance hétéroclite soutenue historiquement (et encore largement aujourd'hui) par l'Iran, la Russie et dans une moindre mesure l'Inde. Les deux premiers pays sont justement des pays que les Etats-Unis cherchent à faire reculer dans la région. Voilà les raisons fondamentales de leur méfiance. Ce n'est pas le respect des droits de l'homme que ne respecterait pas l'Alliance qui les préoccupe, mais bien la question de qui les contrôle. Mais là encore, cela peut évoluer : les dirigeants de l'Alliance sont très instables. Ainsi un de ces dirigeants Dostam, chef d'une milice ouzbek, est connu pour ces volte-faces multiples depuis 20 ans, qui ressemble davantage à un mercenaire qu'à autre chose. L'important est de voir que dans les différentes composantes de l'Alliance du Nord, ce sont des seigneurs de guerre, des classes sociales qui vivent de la guerre, des pillages, et qui ne survivent que comme relais des diverses puissances. Ce qui explique les retournements d'alliances. Les Etats-Unis veulent en fait installer un protectorat international comme ils l'ont fait au Kosovo. Michel Collon. Quand on entend les dirigeants US affirmer que l'Alliance du Nord ne peut pas prendre le pouvoir, c'est probablement qu'ils veulent en fait installer un protectorat international comme ils l'ont fait au Kosovo avec installation de bases militaires sur place. N'oublions pas qu'ils ont négocié jusqu'à la dernière minute (de février à août 2001) avec les talibans comme le révèle le livre " Ben Laden, la vérité interdite " qui vient de paraître chez Denoël). Ils ont décidé d'intervenir militairement probablement déjà avant le 11 septembre car ces négociations avaient échoué. Les Etats-Unis préparent des solutions de rechange depuis des années. Quand ils parlent aujourd'hui d'un gouvernement large et représentatif, ce sera surtout un gouvernement faible, composé de marionnettes à leurs ordres, comme le Roi Zaher Shah, qui a 86 ans, en exil à Rome depuis plus de 20 ans et a perdu toute base politique sérieuse dans le pays. Ramener le roi à la tête d'un front qui leur serait soumis, c'est la même opération que les Américains ont faite à Belgrade en plaçant des dirigeants exécutants des ordres du FMI et des multinationales. Aujourd'hui, à Belgrade, les prix d l'électricité ont quadruplé; 180.000 foyers ont été privés de tout accès à l'énergie, les prix des produits de première nécessité ont fortement augmenté… Je ne crois pas que qu'en Afghanistan , les Etats-Unis n'apporteront le bien-être pour les populations. Le peu d'aide distribué servira davantage de chantage pour faire pression au moindre velléité d'indépendance. Louis Michel a déclaré hier que l'Union européenne aiderait pour la reconstruction et l'aide humanitaire pour l'Afghanistan ; que certains pays européens pourraient participer à une force de casques bleus de l'ONU. Alors l'Europe plus humanitaire que les States ? Michel Collon. L'intervention de l'Union Européenne n'aurait rien d'humanitaire. En marchant avec Bush dans la guerre, les gouvernements européens sont co-responsables de l'aggravation de la famine et des souffrances qui touchent des millions d'Afghans. Ils promettent la reconstruction à l'Afghanistan, mais ils l'ont aussi promise en Yougoslavie et les Yougoslaves attendent toujours aujourd'hui. La réalité, c'est que les Européens savent que les Américains sont là pour contrôler les routes du pétrole et plus encore pour installer des bases américaines au cœur d'une région où se trouve des ennemis potentiels stratégiques : la Chine, la Russie et l'Iran. L'Europe veut une part du gâteau, elle veut participer à la guerre pour développer son euro-armée et son industrie de l'armement. et se placer aussi sur le grand échiquier du pétrole. Il y a des intenses manoeuvres en coulisses : on le voit avec l'insistance avec Schröder qui veut absolument envoyer des troupes en Afghanistan pour ne pas laisser les Etats-Unis contrôler seuls la région. Mais que proposez-vous comme alternative ? Michel Collon. Il faut une alternative progressiste en Afghanistan qui mette fin à la féodalité, qui permet de dépasser les régimes de seigneurs de guerre comme les Talibans ou l'Alliance du Nord. Le premier problème pour résoudre ce problème, ce sont les Etats-Unis qui ont permis la mise en place de tels seigneurs de guerre en les finançant et en les armant. Et qui s'apprêtent à en mettre d'autres seigneurs de guerre en avant en ralliant par exemple ce qu'ils appellent des talibans " modérés ". Ce sont les Etats-Unis qui ont aidé les talibans et autres milices intégristes à massacrer toute opposition progressiste. On sait que même la guérilla maoïste qui se battait contre les Soviétiques a été décimée par les islamistes. Comme le disait Lucas Catherine : les Etats-Unis ont toujours soutenu les forces les plus à droite pour casser les communistes, les socialistes, les nationalistes. Il n'y aura pas de paix, de stabilité ni de progrès en Afghanistan, tant que dureront les ingérences des grandes puissances, les Etats-Unis en tête. Les Etats-Unis ne sont pas la solution mais le problème. Ils ont provoqué et excité la guerre en Yougoslavie et au Kosovo. Aujourd'hui, l'occupation du Kosovo par l'OTAN a pour résultat: purification ethnique, drogue, maffia, attentats, y compris contre des Albanais. Le bâtiment de la chaîne Al Jazeera a été bombardé ce mardi 13 novembre, quelle est votre réaction ? Michel Collon. Le bombardement d'Al Jazeera à Kaboul, qui offrait une info alternative à CNN, est un acte terroriste délibéré. Les Etats-Unis avaient déjà bombardé la TV de Belgrade tuant 16 journalistes et techniciens. Détruire toute info alternative devient une habitude. Toutes proportions gardées, il faut aussi rappeler l'agression de Berlusconi contre Indymedia à Gênes. Ces gens qui n'ont que la défense de la liberté de la presse à la bouche, s'empressent de la massacrer dès qu'il existe un début d'info alternative. Cela souligne l'importance pour le mouvement anti-guerre d'une info alternative.