International
Article 1
Dans les coulisses de la Jihad islamique
Formés aux techniques de guérilla par de mystérieux «conseillers militaires» pakistanais, les jeunes moudjahidins de la madrassah Saïd Ahmad Shahid sont prêts à sacrifier leur vie pour la gloire de l’Islam. A l’instar des dizaines d’autres camps d’entraînement égrainés le long de la frontière afghane, cette école coranique offre ainsi un inépuisable vivier de combattants aux mouvements islamistes ayant déclaré la Jihad (Guerre sainte) aux forces d’occupation indiennes au Cachemire...
Je suis déjà béni par Dieu en prenant part à la lutte contre les Infidèles. Aussi, pourquoi devrais-je avoir peur de sacrifier ma vie en combattant les ennemis de l’Islam ? Wajid, un moudjahidin de 17 ans, a le regard qui brille de mille éclats lorsqu’il déclame sa profession de foi. Cela fait quatre mois maintenant que ce jeune «combattant de Dieu» pakistanais a quitté la maison familiale pour lancer sa croisade contre l’Inde. Une décision mûrement réfléchie, assure ce dernier, après avoir appris que l’armée indienne désacralise les mosquées au Cachemire. Depuis lors, Wajid poursuit en compagnie de 200 autres jeunes gens un entraînement poussé derrière les murs de cette école coranique... un terme bien inadéquat pour qualifier ce camp retranché perdu au milieu des montagnes à une demi-journée de route de la ville de Peshawar.
Le chef spirituel de la madrassah Saïd Ahmad Shahid est bien connu du Research & Analysis Wing (RAW), les services de renseignement indiens. Interpellé à Srinagar en février 1994, Maulana Azhar Massoud avait à nouveau défié la chronique lorsqu’il fut relâché des geôles indiennes, le 31 décembre 1999. Une semaine plus tôt, un commando de moudjahidins dirigé par Ibrahim Azhar, le propre frère de Massoud, s’était emparé des commandes d’un appareil de la compagnie Indian Airlines. Reliant Katmandou à New Delhi, le vol IC814 avait été détourné vers l’aéroport de Kandahar, deuxième ville d’Afghanistan, au grand désarroi des Talibans. Ayant suivi une formation spéciale dans le camp Saïd Ahmad Shahid, les cinq pirates de l’air pakistanais avaient menacé de faire sauter le Boeing et ses 151 passagers si trois militants du Harakatul Moudjahidin – également connu sous le nom de Harakatul Ansar par le Département d’Etat américain qui a inscrit le groupe sur la liste des organisations terroristes internationales dès 1997 – n’étaient pas remis en liberté.
Depuis lors, l’idéologue de ce groupe ayant déclaré la Jihad contre les forces soviétiques en Afghanistan puis au Cachemire et dernièrement en Tchétchénie, circule librement entre les agences tribales semi-autonomes et les provinces frontalières du Nord-Ouest, confie à Peshawar un éminent membre de la tribu pachtoune des Afridi. Très expansifs lorsqu’il s’agit de légitimer la guerre Sainte contre l’armée d’occupation indienne au Cachemire, les moudjahidins de l’école coranique appliquent à la lettre la loi non écrite du silence quant au parcours des mystérieux instructeurs du camp. Nous avons ordre de ne pas répondre à cette question, coupe court un des combattants pakistanais.
Mais un jeune moudjahidin de la madrassah interrogé en privé dans son village natal sur les résultats mitigés des opérations de guérilla au Cachemire est plus loquace : Nous sommes bien entraînés parce que nos instructeurs sont expérimentés et ont fait leurs armes au sein de l’ISI, se défend, en guise d’argument suprême, ce jeune Pakistanais. L’implication indirecte des services secrets pakistanais dans un conflit cachemiri ayant coûté la vie à 24.000 personnes depuis 1989 a longuement été avancé par New Delhi qui peine toutefois à avancer des preuves tangibles à cette imputation.
Etat dans l’Etat, l’Inter Service Intelligence (ISI) est un électron libre du pouvoir pakistanais, affirme pourtant un diplomate en poste à Islamabad. Ne devant répondre de ses actes ni devant l’Etat-major général des forces armées, ni devant la présidence, ni encore devant le Premier ministre, ce service fort de plus de 10.000 agents jouit ainsi non seulement d’une large autonomie mais encore d’une totale impunité. Résultat : l’ISI, qui n’a jamais pardonné à l’Inde d’avoir soutenu le Bangladesh (alors Pakistan oriental) dans sa course à l’indépendance, a lancé une série d’opérations de déstabilisation en Inde afin de laver l’affront de 1971. Dans les sept provinces enclavées du Nord-Ouest tout d’abord, en fournissant des armes et des fonds aux principaux mouvements séparatistes tels que le Front uni de libération de l’Assam, ou aux irrédentistes tribus du Nagaland. Dans le Punjab Oriental également, en subventionnant les séparatistes sikhs. Au Jammu & Cachemire enfin, où la responsabilité des opérations a été confiée au JIN (pour Joint Intelligence North).
C’est à la requête de cette section spéciale de l’ISI que des commandos du Hezbul Moudjahidin pro-pakistanais lancèrent, les 7 et 8 avril 1990, une offensive dans la vallée de la rivière Jhelum et détruisirent les infrastructures hydroélectriques indiennes s’y trouvant, raconte, à Muzaffarabad, le Sheikh Aqeel-ur-Rehman. Construit en violation du traité indo-pakistanais de 1960, le barrage de Wullar menaçait directement l’approvisionnement en eau du Pakistan et un secteur agricole dont il est fortement tributaire.
Pour mener à bien leurs opérations en «territoire occupé», les mouvements cachemiris ne rechignent pas à employer les services de «mercenaires étrangers», pour reprendre la terminologie en vigueur à New Delhi. Les militants cachemiris ne reçoivent aucune aide, martèle pour sa part un porte-parole du Jamaat-i-Islami, le plus important parti islamiste du Pakistan. Aussi, il faut savoir déployer des trésors de patience dans un pays où le temps n’a pas d’importance pour débusquer ceux-ci le long de la frontière afghane. Après trois semaines de rencontres informelles, un recruteur de Peshawar dont le bureau se trouve perché sur le toit d’un atelier de mécanique, consentira finalement à organiser une entrevue avec un Jihadi.
D’origine pachtoune, Azzim (un nom d’emprunt) est arrivé d’Afghanistan il y a près de deux mois, en même temps qu’une bande de réfugiés fuyant la sécheresse et la guerre inter-tribale qui sévit dans le Nord du pays. Vétéran de la guerre contre les Russes, ce Taliban dans l’âme n’a cessé, depuis le retrait soviétique en 1989, de prêter main-forte à ses frères musulmans en lutte contre les Infidèles de tout bord. A commencer par la Tchétchénie où il a très brièvement combattu les Russes aux côtés cette fois des forces de Shamil Basaev. Mais aussi contre l’armée indienne au Jammu & Cachemire. Aux antipodes de toute considération mercantile, les coups de poing de ce Jihadi sont dictés par les impératifs de la Guerre sainte. Aussi, Azzim et ses frères d’armes n’ont rien des mercenaires décrits par New Delhi. Insh’ Allah, je quitterai bientôt Peshawar pour l’Azad-Cachemire, conclut Azzim sans jamais dévoiler comment il compte pénétrer dans cette zone sous étroite surveillance... de l’ISI.
Le rôle des services secrets pakistanais ne se limite pas à la formation de moudjahidins voire au sauf-conduit de Jihadis étrangers vers la vallée du Cachemire. Le soutien de l’agence aux mouvements islamistes pro-pakistanais se traduit également par un approvisionnement continu en armes et en munitions... une activité dans laquelle l’ISI est passée maître depuis le conflit russo-afghan. C’est en effet cette dernière qui, dans le cadre de l’assistance militaire indirecte de l’administration Reagan à la résistance afghane, fut chargée par Washington d’acheminer aux moudjahidins les centaines de milliers de tonnes d’armes achetées à la Chine.
Importée par millions, l’AK-56 (version chinoise de la Kalachnikov soviétique) est également l’arme de prédilection des militants cachemiris... Or, soutient un attaché militaire, il a été démontré qu’en 1993, l’Inter Service-Intelligence possédait dans ses arsenaux trois millions d’armes neuves de ce type. Un tel stock permet ainsi à l’ISI d’approvisionner les mouvements anti-indiens à peu de frais pour l’Etat pakistanais. Dans les bureaux du Jamaat-i-Islami à Muzaffarabad cependant, on nie en bloc ces allégations présentées comme de la propagande indienne. Tout ceci n’a aucun rapport, s’emporte Umar Javaid. Selon ce dernier, les armes sont tantôt récupérées sur les cadavres des militaires indiens dans la vallée, tantôt achetées dans les fabriques de Darra Adam Khel.Sise à 42 kilomètres au sud de Peshawar, la célèbre ville des armuriers qui faisaient le bonheur des voyageurs dans les années 80 est aujourd’hui interdite d’accès. Trop de fusils et de gens qui savent s’en servir, synthétise un officiel... A Darra Adam Khel comme partout ailleurs dans la province frontalière du Nord-Ouest, les effluves de la rue sont une savante mixture de viandes grillées, d’huile de vidange et de hashish. Sur un mur décrépi, un slogan rédigé dans un alphabet cursif donne le ton de l’orientation politique locale : Ossama, nous sommes avec toi !
C’est à deux pas de là que Suleiman, un marchand d’armes coiffé du couvre-chef rouge des Afridi – témoignage, dit-on, du passage des troupes d’Alexandre de Macédoine dans la région en 356 AC – montre fièrement le travail de ses ouvriers-artisans. Du Uzi israélien au Dragunov russe, les armes des quatre coins du monde sont reproduites dans son petit atelier. Très prisés, les AK-56 se comptent par centaines. Il existe toutefois une petite différence entre nos AK-56 et les originaux, finit par concéder Suleiman. Les copies fabriquées à Darra Adam Khel ne portent en effet pas de Made in China... ces mêmes idéogrammes trouvés sur tous les AK-56 de la résistance islamiste au Cachemire.
Solomon KANE
depuis la Province frontalière du Nord-Ouest (Pakistan) et à Muzaffarabad (Azad-Cachemire)
50 ans d’un processus de paix improbableChronologie de l’évolution du processus de paix onusien au Cachemire
Accueillies favorablement par le Pakistan, ces propositions ont été vouées aux gémonies par l’Inde qui refuse toute intervention externe dans le contentieux sur le Cachemire.
15 août 1947 : La partition du sous-continent indien au lendemain de la décolonisation britannique se solde par la naissance de l’Inde, Etat multireligieux à dominance hindoue, et du Pakistan de confession musulmane.
26 octobre 1947 : Adhésion conditionnelle du Jammu & Cachemire à majorité musulmane (85%) à l’Union indienne.
1948 : Intervention des troupes pakistanaises dans la vallée du Cachemire : première guerre indo-pakistanaise.
1er janvier 1949 : Signature d’un accord de cessez-le-feu au Cachemire.
Août 1949 : Après des mois de négociations, la commission des Nations Unies constate que le retrait des troupes indiennes n’est pas envisagé par New Delhi.
Décembre 1949 : Le président du Conseil de Sécurité propose en vain une démilitarisation de la zone de conflit.
20 octobre-22 novembre 1962 : Guerre sino-indienne dans l’Himalaya. Après avoir envahi une large partie de l’Inde, la Chine opère un retrait unilatéral mais conserve la région de l’Aksaï Chin frontalière du Cachemire.
1962-1964 : Offres répétées de la mise en place d’une table ronde arbitrée par le président du Conseil de Sécurité et le secrétaire général des Nations Unies. Le Pakistan accepte mais l’Inde rejette cette option. New Delhi réclame la reconnaissance de la partition territoriale et de la Ligne de contrôle en tant que frontière permanente. L’Inde refuse que la question du Cachemire soit incluse dans l’agenda de l’ONU. Un plébiscite sous tutelle onusienne est également écarté par New Delhi.
5 août-22 septembre 1965 : Deuxième guerre indo-pakistanaise au Cachemire.
21 novembre-16 décembre 1971 : Troisième guerre indo-pakistanaise. L’Inde soutient les indépendantistes bengalis du Pakistan Oriental qui devient l’Etat du Bangladesh.
3 juillet 1972 : Signature à Tachkent sous les auspices de l’Union soviétique, de l’accord de Simla entre l’Inde et le Pakistan. Création de la Ligne de contrôle.
18 mai 1974 : Premier essai nucléaire indien.
Janvier 1990 : Le Jammu & Cachemire est placé sous administration présidentielle directe.
23 février 1994 : Les deux chambres du Parlement indien adoptent une résolution refusant l’autonomie du Jammu & Cachemire.
Août 1997 : Affrontements frontaliers indo-pakistanais sur la Ligne de contrôle.
18 mars 1998 : Le BJP (parti nationaliste hindou) d’Atal Behari Vajpayee présente son programme. L’autonomie du Cachemire défendue par le gouvernement précédent n’est plus à l’ordre du jour.
11 et 13 mai 1998 : Essais nucléaires indiens.
28 et 30 mai 1998 : Essais nucléaires pakistanais.
Octobre 1998 : Infiltration de forces armées pakistanaises et de 700 militants cachemiris dans le Jammu & Cachemire.
8 mai-août 1999 : Quatrième guerre indo-pakistanaise dans les montagnes des Kargils (Cachemire).
24 juillet 2000 : Le Hizbul Moudjahidin lance un appel unilatéral au cessez-le-feu et propose des pourparlers avec New Delhi.
8 août 2000 : Reprise des combats après l’échec des négociations de paix. Le gouvernement Vajpayee refuse que le Pakistan soit inclus dans les pourparlers. SK
Article2
Une guerre de libération
Le conflit cachemiri est une guerre de libération déclenchée à la suite d’une agression, déclare Umar Javaid, porte-parole du Hezbul Moudjahidin à Muzaffarabad. Entretien.
Quel est votre sentiment après l’intervention des casques bleus onusiens au Timor-Oriental en 1998 ?
Il est évident que la communauté internationale fait preuve d’un double standard si l’on compare la rapidité avec laquelle l’Organisation des Nations Unies est intervenue pour mettre fin aux violations des Droits de l’Homme au Timor-Oriental avec un dossier cachemiri qui ne cesse, depuis cinquante ans, de prendre la poussière. Le problème, à mon sens, vient du fait que l’ONU est un instrument des puissances occidentales et qu’en tant que tel, agit selon un agenda qui répond avant tout aux intérêts de l’Occident. Nous restons toutefois confiants en cette dernière car seuls l’ONU, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne (jusqu’ici très silencieuse en dépit de son rôle clé dans la naissance du conflit cachemiri) peuvent en définitive débloquer la situation et amener l’Inde à la table des négociations.
Quinze factions combattantes cachemiris luttent en ce moment même pour la libération du Cachemire. Politiquement, ces factions sont réunies en deux groupes. Ce schisme entre «pro-pakistanais» et «indépendantistes» joue-t-il contre le processus de paix avec New Delhi ?
Nous sommes unis sous la bannière de l’Hezbul Moudjahidin, organisation acceptée par la majorité des Cachemiris depuis le début de la lutte armée en 1991. Militairement, nous coopérons sur le terrain et lançons des opérations conjointes contre les troupes d’occupation indiennes au Jammu & Cachemire. Ce clivage n’est donc que politique. Il faut souligner également qu’à ce jour, la résolution des Nations Unies de 1947 ne compte que deux options : la voie pakistanaise ou la voie indienne. Les indépendantistes n’ont, jusqu’ici, pas réellement eu droit à la parole. Aussi, je ne pense pas que ce «factionnalisme» pose aujourd’hui problème.
Ne craignez-vous pas, dans l’hypothèse où la victoire serait un jour acquise, que les différentes factions entament une lutte interne pour le pouvoir, à l’image de ce qui se déroule en Afghanistan ?
Nous avons, dans notre malheur, une certaine chance. Nous parlons la même langue et sommes de la même ethnie, ce qui n’est pas le cas de l’Afghanistan, traditionnellement en proie à des guerres inter-tribales qui déchirent le pays.
Pensez-vous que pour l’Inde, l’indépendance du Cachemire constituerait un fâcheux précédent, ouvrant la boîte de Pandore aux nombreux séparatismes (Assam, Nagaland, Tamil Nadu,...) qui minent cet Etat multiethnique et multireligieux ?
En aucun cas. Nous avons plutôt le sentiment que la résolution du conflit cachemiri par des moyens pacifiques renforcera la cohésion de l’Etat indien. Si New Delhi aime à se prêter à ce genre de comparaison, c’est parce que le gouvernement veut sciemment occulter la réalité selon laquelle le conflit cachemiri est une guerre de libération déclenchée à la suite d’une agression.
Propos recueillis par S. K.