Je suis la quatrième personne qu'on aperçoit sur l'image, avec un jean bleu...Laissez-moi donc vous raconter l'ensemble de cette soirée telle que moi et les personnes arrêtées avec moi l'ont vécu. D'abord, je me présente : je suis français et étudiant en journalisme au CFJ à Paris. J'étais justement venu à Bruxelles pour faire un sujet sur Indymédia. Ceux d'Indymédia Belgique n'ont pas du me noter, car j'avais des contacts essentiellement avec Indymédia France. Mais j'ai pas mal traîné au Nova. Arrestation : Alors que je suivais d'assez loin, à ce moment-là, la street party et les restes de la manif anar pourchassée par les flics, les robocops se sont mis à charger dans une rue adjacente du lieu sur la photo. Pas le choix : je cours pour éviter le rouleau compresseur. Je rate une rue libre sur la droite, et en face, une ringuette de flics en civil nous attendaient bras et matraques ouverts. Un gars me chope, me fout à terre. A ce moment, j'essaie de faire valoir ma qualité de journaliste (j'ai une carte qui vaut carte officielle). En guise de réponse, la taupe déguisée en anar mais aux attitudes vraiment fachos me fout des coups de pieds dans le ventre. "Journaliste, mon cul! Tu cours avec les autres, t'es qu'un putain de gauchiste!". Il m'attrape par l'écharpe, me traine à terre jusqu'aux marches à proximité où il me balance par dessus les autres, m'attrape les bras et me menotte. Les taupes disparaissent et on se retrouve entouré des robocops. Les gars avec moi commencent à gueuler qu'ils n'ont rien fait. Quelques personnes dans la foule tentent de convaincre les flics de nous relever, ils font bien sûr la sourde oreille. La voix d'une vioque s'élève : "faut bien qu'il y en ait qui payent pour les casseurs!". Ben voyons! A ma droite, une femme sanglote. Elle essaie d'expliquer aux flics qu'elle allait juste chercher ses gamins à la gare du midi... On nous laisse comme ça une demi-heure sur les marches glacées. Régulièrement, les flics nous assènent des "sales gauchistes". Puis on embarque dans le panier à salade, direction les casernes (au nord de la ville je crois). Dans le fourgon, moi et quelques personnes réussissont à nous dégager les mains des menottes en plastique. J'en profite pour téléphoner à ma copine en France, ainsi qu'à mon école. Grand bien me prit, car je n'aurai plus l'occasion de prévenir qui que ce soit jusqu'à cinq heures du matin après douze heures d'arrestation administrative (le maximum)... Les choses deviennent encore plus vicieuses à la caserne. On nous fouille, on nous enlève nos sacs, téléphones, papiers, lacets, lunettes, ceintures... Puis un type me dit en me tendant un papier : "signe ici". J'essaie de regarder ce qu'il y a d'écrit. Il y a du flamand, que je ne comprends pas, et un peu de français. Je demande une traduction. Le flic me retire le papier avant que je le regarde de plus près et me dit que je n'ai pas besoin de comprendre, que je n'ai qu'à signer. Je refuse alors, arguant que je n'ai rien fait. Les gars font la tronche, tentent de me faire comprendre qu'il vaudrait mieux pour moi que je signe, que ça pourrait être embêtant... Subtile pression, certainement inscrite dans la procédure...Je refuse de nouveau. Plus tard dans la cellule, des flamands m'expliquent ce qu'il y avait d'écrit. Il s'agissait de signer sous des mentions telles que : "lancer de projectiles", "vandalisme" ou "bris de vitrines". Bien sûr, inutile pour nous de savoir de quoi on nous accuse! un gars dans ma cellule me racontera que les flics lui ont saisi le poignet de force pour l'obliger à signer... On nous prend ensuite en photo, pour certains c'est les empreintes digitales. Nul besoin d'être parano pour se rendre compte que ça sent le futur fichage informatique à plein nez... Direction cellules, douze dans chaque. De là où je suis, impossible de savoir combien on est exactement. Des Allemands et des Français sont reconduits à la frontière. Quelques exemples des personnes enfermées avec moi : un touriste italien et son ami arrivés à Bruxelles à 15 heures, qui prennent le métro pour aller jeter un oeil sur la street party sur les conseils d'un pote, et qui se font arrêter dès leur sortie du métro. Charmant accueil. Un jeune psy qui se baladait avec sa copine dans les environs par curiosité. Des manifestants de la marche pour la paix venus participer à ce qu'ils croyaient être la fête de la street party. Et tout à l'avenant. Tous de dangereux activistes bien sûr... Qui ont tous ont commis l'erreur suprême : se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. De la criminalisation de la simple présence aux alentours d'une manif... A force de réclamations, on daigne nous autoriser à téléphoner après quatre heures d'emprisonnement. Un bémol : il faut avoir un numéro en Belgique. Merci pour les étrangers qui voudraient prévenir leur famille. On demande alors de prévenir nos consulats ou ambassades (obligatoire normalement, ça m'a été confirmé par le ministère des affaires étrangères français). On nous dit "oui, oui, on s'en occupe..." Jamais on ne les a prévenu. J'en ai la preuve flagrante me concernant : pendant ce temps, mon école avait prévenu le ministère. Celui-ci a tenté de joindre les autorités belges, qui ont prétendu ne pas pouvoir savoir où je me trouvais. Le directeur de mon école a même contacté la police belge, qui a elle clairement refusé de lui répondre, bien qu'il argue que j'étais non seulement simple étudiant, mais en plus journaliste dans l'exercice de ses fonctions. On l'a envoyé chier. Le ministère a précisé à mon directeur que si l'ambassade ou le consulat avaient été prévenus, ils auraient été au courant. Personne ne les a jamais appelés... Et que dire pour les autres, tous les autres, qui n'avaient pas la chance de bénéficier de mon statut "privilégié"?... Résumons : tentative de coller aux gens de faux chefs d'inculpation, fichage larvé, déni des obligations légales les plus élémentaires. Ca commence à faire. Et aucune explication sur les motifs de notre présence dans ces cellules. Si ce n'est bien sûr l'explication que tout le monde comprend : le besoin pour la police de présenter des chiffres conséquents d'arrestation pour pouvoir prétendre qu'elle a fait son boulot et satisfaire la bonne conscience du citoyen lambda. Le même qui criait plus tôt : "quelqu'un doit payer". Eux en tous cas ne veulent pas payer des impôts au pouvoir pour rien. Que voit-on après dans les grands journaux? "Quelques casseurs ont gâché l'ambiance, la police a procédé à quarante ou cent arrestations". Sans préciser, bien sûr, que les personnes arrêtées et les casseurs ne sont pas les mêmes... On nous a lâché à cinq heures du matin, douze heures de trou. Ils n'avaient évidemment rien à nous reprocher, et ces enfoirés le savaient pertinemment. Pas d'explications, rien. Etant sorti dans les six derniers, j'ai assisté à une petite scène édifiante de mépris policier : ils nous ont demandé de nettoyer devant eux les restes de sacs ou de papiers trainant dans le "sas" de sortie. Il fallait bien qu'on serve à quelque chose."Ouais, c'est pas mal, vous auriez pu faire mieux" nous lance un d'entre eux..."allez, vous pouvez partir". Il ose en plus nous la faire bon enfant... Puis ils nous larguent dans la nature en nous enjoignant de déguerpir vite fait de devant la caserne... Tout cela relève malheureusement d'une trop banale iniquité policière. Aucune brutalité spectaculaire, mais la routine quotidienne de pratiques qui culpabilisent le citoyen. Mais il faut témoigner sur cela. Je vais tenter de mon côté divers recours. Si des personnes veulent réagir ou m'écrire, qu'elles n'hésitent pas. Quant aux autres qui étaient là ce soir-là sans savoir pourquoi, qu'ils n'hésitent pas à témoigner aussi -et à me le faire savoir, ce peut être utile pour des démarches.