Publié le 24 avril 2002 dans Ha'aretz par Amira Hass C'est une scène qui se répète dans les centaines de bureaux palestiniens occupés par les troupes israéliennes pendant quelques heures ou quelques jours en Cisjordanie: les terminaux d'ordinateur cassés, brûlés et jetés en piles dans les cours; les cables des serveurs coupés, les disques durs manquant, les disques et les disquettes jetés et cassés, les imprimantes et les scanners cassés ou volés, les portables disparus, les centraux téléphoniques disparus ou dégradés, et les dossiers brûlés, déchirés,dispersés, ou maculés - sinon emportés. Et tous cela dans des pièces pleines de mobilier cassé, de rideaux déchirés, de vitres cassées, de portes enfoncées, de cloisons trouées, de sols et de toilettes souillés. Ici et làles soldats ont laissé des grafitti obscènes et des mots haineux, maiscomparé aux données prises ou détruites, les insultes sont presque de la poésie. Même les toilettes qui débordent ressemblent à de la faiblesse humaine comparées au vandalisme organisé dont témoignent les tas d'ordinateurs détruits. Ce n'est pas seulement le coût du matériel qu'il faudra remplacer. La perte est inestimable en shekels ou en dollars. Des années d'informations transformées en connaissance, le temps de réflexion et de conception passé par des milliers de gens travaillant à la construction de leur société civile et de leur futur, ou essayant de construire un secteur privé qui donnerait un sens à la stabilité économique de leur pays. Telles sont les banques de données développées par les institutions de l'Autorité Palestinienne, comme le Ministère de l'Education, de l'Education Supérieure ou de la Santé. C'est aussi les bases de données des ONG et des instituts de recherche dédiés au développement d'un système de santé moderne, d'une agriculture moderne, de la protection de l'environnement et de la gestion de l'eau. Ce sont les banques de données des organisations des droits de l'homme, des banques et des entreprises privées, des infirmeries et des supermarchés. C'était clairement les cibles de destruction de l'opération appelée "Bouclier Défensif".On a épargné au public israélien la vue des destructions. Ici et là la photo d'un bureau démoli apparait dans les journaux télévisés. Mais les journaux israéliens ne trouvent même pas une seconde pour parler d'une palestinienne ou d'un enfant tué à distance dans sa maison par un soldat anonyme, alors comment trouveraient-ils le temps ou la raison de parler de la destruction en miettes perpétrée par une unité de soldats dans un bureau ? L'armée a laissé tomber ses dénégations que des soldats pillaient les maisons privées - argent, bijoux, caméras vidéo. On pouvait l'expliquer par des officiers trop faibles pour imposer la discipline sur leurs soldats ou par des soldats trop faibles pour résister à la tentation. Mais la destruction systématique des banques de données n'a pas été une question de faiblesse personnelle des officiers ou des soldats. Ne nous racontons pas d'histoires; ceci n'a pas été une opération pour chercher et détruire l'infrastructure terroriste. Si les forces arrachant chaque disque dur de chaque clinique ou de chaque banque, chaque consultant commercial ou chaque ministère pensaient qu'une liste d'armes et de personnes recherchées était dans la mémoire, ils n'avaient qu'à copier l'information et la passer au Shin Beit. S'ils pensaient que les preuves étaient cachées au Ministère de l'Education Nationale ou à la Banque Internationale de Palestine ou dans une boutique qui loue des prothèses, les soldats pouvaient examiner les documents l'un après l'autre, pas jeter les dossiers par terre sans les regarder. Ceci n'a pas été un caprice ou une vengeance brutale de telle ou telle unité, ou d'un soldat pétant les plombs que ses copains n'ont pas osé arréter. C'était une décision de vandaliser l'infrastructure civile, administrative et culturelle développées par la société palestinienne. Etait-ce un ordre explicite ou le genre qu'on donne d'un clin d'oil ? Etait-ce un ordre ou une permission donnée aux soldats de faire ce qu'ils voulaient ? L'ordre - ou le clin d'oil - venait-il du niveau du bataillon ou de la brigade ? Du QG des forces israéliennes en Cisjordanie ou de la direction de l'Opération ? Venait-il du général commandant du Commandement Central ou du Quartier Général ? Quoi qu'il en soit, les scènes de destruction systématiques montrent que l'armée a traduit sur le terrain les instructions inhérentes à la logique de l'échelon politique: Israel doit détruire les institutions civiles palestiniennes, et saboter pour des années l'objectif palestinien d'indépendance, en renvoyant toute la société palestinienne en arrière. C'est si facile et réconfortant de penser à la société palestinienne comme faite de terroristes primitifs et asoiffés de sang dès lors que la matière première et les produits de leur production intellectuelle, culturelle et sociale ont été détruits. De cette façon, le public israélien peut continuer à être trompé en lui faisant croire que la terreur est un problème génétique et pas une mutation sociogique et politique, qui quelqu'horrible qu'elle soit, dérive des horreurs de l'occupation. [Traduit de l'anglais par JPB]