A Jean-Michel Tu dis qu'il y a 27% de non-Juifs en Israël. Si je sais compter, j'en déduis qu'il y a 73% de Juifs, soit près des trois quarts. Avant l'Intifada, 200.000 Palestiniens venaient travailler chaque jour en Israël. Or, 200.000 c'est relativement peu par rapport à l'ensemble de la population active en Israël qui doit approcher les 3 millions. En outre, ces Palestiniens travaillaient dans des secteurs relativement marginaux de l'économie israélienne (construction, agriculture). D'ailleurs si Israël fait actuellement appel à de la main d'oeuvre immigrée, c'est notamment pour remplacer une partie de ces Palestiniens. Les patrons israéliens trouvent difficilement des Juifs prêts à accepter de travailler aux conditions de travail de ces Palestiniens. Ils vont donc chercher de la main d'oeuvre bon marché dans le Tiers-Monde. Mais Israël n'est en rien une exception. Tous les états capitalistes développés font appel à de la main d'oeuvre immigrée pour exécuter les tâches ingrates que les nationaux ne veulent plus faire. La Belgique a fait de même lorsqu'elle a fait venir des dizaines de milliers d'Italiens pour travailler dans les mines. Elle a ensuite fait venir des Maghrébins et des Turcs. Mais la classe ouvrière belge "de souche" a-t-elle disparu pour autant? Tous les Belges sont-ils devenus des petits patrons exploitant une main d'oeuvre exclusivement d'origine immigrée? Absolument pas et ce ne sera pas non plus le cas en Israël. En revanche, on n'est pas loin de cette situation dans certains états arabes du Golfe. Au Koweït (66%), aux E.A.U. (90%!), au Qatar (86%), à Bahreïn (54%) ou même en Arabie Saoudite (52%), la majorité de la population active est composée d'immigrés(source: Atlas du monde arabe, Rafic Boustani et Philippe Fargues, Bordas, Paris, 1990). Pourtant il ne te viendrait sans doute pas à l'idée de qualifier ces états de "colonialistes" ou de "racistes". Comment peux-tu écrire que les Askhénasis et les Sépharades "se partagent le pouvoir, les terres, les bonnes places". Il y a en Israël 1,5 million de pauvres (1 quart de la population!) et plus de 10% de chômeurs. Même si les Arabes et les immigrés sont probablement surreprésentés parmi ces pauvres et ces chômeurs, il n'en reste pas moins que la majorité d'entre eux sont juifs. La vérité, c'est qu'au fur et à mesure que la récession déploiera ses effets, il y aura de moins en moins de "bonnes places" tant pour les Juifs que pour les Arabes ou les immigrés. Le gouvernement Sharon a fait voter un plan d'austérité draconien qui prévoit des économies et des hausses d'impôts pour plus de 2 milliards $. Ils vont notamment puiser 200 millions de $ dans les allocations familiales. Cette mesure ne touchera que les Juifs puisqu'en Israël un père de famille n'a droit aux allocations familiales que si un de ses enfants a effectué son service militaire. Les Arabes israéliens étant "dispensés" de service militaire, ils n'ont pas droit à ces allocations (ce qui est une injustice et une discrimination flagrante!). L'idée selon laquelle cette "population hétéroclite avec peu de droits" que sont les immigrés représenteraient le vrai prolétariat d'Israël est fausse. Tous ceux qui vendent leur force de travail pour un salaire sont des prolétaires. En Israël comme en Belgique, les immigrés - et encore davantage les sans-papiers - ne représentent que la couche la plus précaire de ce prolétariat. Tu écris que "L'Etat d'Israël n'est pas viable;". C'est vrai dans la mesure ou de moins en moins d'états seront viables au fur et à mesure que la crise du capitalisme déploiera ses effets. L'Argentine est-elle viable aujourd'hui dans les conditions du capitalisme? Ce qui se passe en Argentine aujourd'hui peut survenir en Israël demain, ce qui changerait totalement la donne dans la région. Si les travailleurs et les chômeurs israéliens descendent massivement dans la rue pour exiger une amélioration de leur sort, pillant les magasins, bloquant les routes, Sharon serait obligé de rappeler son armée des territoires occupés pour rétablir l'ordre en Israël. Ce faisant, il prendrait un gros risque vu que Tsahal est une armée de conscrits. Personne ne peut prédire de quel côté les soldats tourneraient leurs fusils dans une telle situation. La bourgeoisie israélienne craint l'énorme force potentielle de la classe ouvrière israélienne. La récente démission du ministre Lévy en est un indice. Tous les observateurs politiques israéliens s'accordent à dire que Lévy est le baromètre de la vie politique en Israël. A chaque fois qu'il a démissionné, le gouvernement tombait quelques mois ou quelques semaines plus tard. Lévy justifie sa démission parce qu'il "ne veut pas être associé au bain de sang social" qu'implique le plan d'austérité du gouvernement. Lévy est un politicien de droite, il n'a aucune affinité avec le mouvement ouvrier. Mais Lévy se rend compte que ce plan d'austérité va entraîner des mouvement sociaux importants, même si le climat de guerre actuel le retarde. Lévy envisage la possibilité que ces mouvements sociaux fassent tomber le gouvernement. C'est pourquoi il se met d'ores et déjà en réserve de la république. Il veut pouvoir jouer le rôle de dernier recours de la bourgeoisie en cas de graves troubles sociaux. C'est pourquoi il ne veut pas être associé à ce plan d'austérité; il veut se rendre acceptable pour les travailleurs israéliens. Mais si les travailleurs israéliens ne représentaient pas une grande force, Lévy n'en aurait cure et serait resté à son poste. En Israël comme ailleurs, la faiblesse de la classe ouvrière est avant tout politique. Il n'existe pas un parti ouvrier de masse armé d'un programme socialiste, qui lie la lutte contre l'austérité et le capitalisme à la lutte contre l'oppression nationale. C'est un tel parti qu'il faut construire là-bas comme ici.