Dans le mur "Aujourd'hui, jeudi 4 avril, je viens d'apprendre que l'armée israélienne est entrée dans la basilique de la Nativité à Bethléem, geste tabou. Qui dit que demain ils ne seront pas prêts à monter un attentat contre la mosquée d'al-Aqsa et à se mettre à dos un milliard de musulmans? Et ça, ça ne serait jamais pardonné. Ce n'est pas une journée d'espoir. Je suis, je ne veux pas dire désespéré, mais extrêmement angoissé de ce qui va se passer dans les jours à venir. Le bureau de Bethléem du Centre d'information alternative, que je préside, a été saccagé avant-hier par l'armée. Tsahal saccage tout sur son passage, écrabouille les voitures, renverse les poteaux électriques, et dans le bâtiments qu'elle veut investir, elle place des explosifs sans même frapper à la porte. Les exécutions sommaires de Palestiniens par l'armée sont confirmées de part et d'autre, y compris par des sources fiables, mais il est impossible d'avoir un chiffre exact. Des personnes ont été tuées à bout portant, d'une balle dans la tempe. L'un des collègues de notre centre de Bethléem m'a raconté avoir ainsi vu le corps du chef d'orchestre de la police palestinienne. Pas le genre à se promener avec un bazooka. J'ai aussi parlé avec le directeur de l'hôpital de Bethléem, qui m'a dit que jamais son hôpital n'a été aussi calme, parce que les ambulances ne peuvent pas y parvenir. Comme il a de l'humour, quand je lui ai demandé "Alors, qu'est-ce que vous faites?", il m'a répondu "On joue aux cartes." Depuis un an et demi, il y a un recul dramatique de l'opinion publique israélienne en terme de mobilisation. Mais l'horreur de ce que les gens ont vu et entendu est en train de recréer un sentiment d'urgence. Il y a des rassemblements permanents devant le bureau du Premier ministre, des manifestations devant le ministère de la Défense quasi tous les jours... Il faut sortir de la routine de la protestation habituelle. De même que l'armée a rappelé ses réservistes, il faut que nous rappelions les nôtres, ceux qui sont d'accord mais qui sont fatigués, ceux qui disent "Je viendrai la prochaine fois"... Il y a un nombre significatif d'Israéliens qui savent que, s'ils ne réagissent pas, s'ils ne manifestent pas leur colère, leur rejet de cette politique, ils deviennent complice. Or, des crimes de guerre sont commis quotidiennement. Même le procureur de l'armée, responsable du département juridique de l'armée, a envoyé, il y a à peu près un mois, avant la dernière offensive, un rapport au chef du secteur opérationnel en le mettant en garde contre les dangers collatéraux résultant d'un usage disproportionné des moyens et de l'objectif. C'est pourtant une des règles des conventions internationales qui régissent la guerre. Ce qui est surprenant, c'est qu'on en parle plus en Israël que dans les médias internationaux. Le mouvement des soldats a beaucoup fait pour cela. Des tracts ont été distribués aux soldats et réservistes leur disant: "Attention! Attention! Tel et tel acte sont des crimes de guerre, selon la convention de Genève. Tu as non seulement le droit mais le devoir, d'après la loi israélienne, de dire non." Aujourd'hui, j'ai le sentiment qu'Israël est une machine folle, avec des conducteurs ivres qui brûlent tous les feux rouges, en fonçant droit dans le gouffre. La meilleure biographie d'Ariel Sharon s'appelle d'ailleurs "Il ne s'arrête pas aux feux rouges". C'est exactement ce que nous sommes en train de vivre. Si on ne met pas un mur devant lui, on n'arrivera pas à l'arrêter. C'est nous, les Israéliens, qui sommes avec lui dans l'autobus, qui devons le stopper. Ainsi que la communauté internationale. Les militants pacifistes ne prétendent pas remplacer ce que devraient faire les États, l'ONU, l'Europe. Ces missions ne s'appellent pas "missions de protection du peuple palestinien", mais de façon, à mon avis très pertinentes, "missions civiles pour la protection du peuple palestinien". Ce qui motive ceux qui viennent à Ramallah, Bethléem ou Naplouse rejoint les motivations des brigades internationales pendant la guerre d'Espagne, mais il y a une différence fondamentale: les brigadistes étaient venus se battre, armes à la main. Les missions civiles viennent protester, témoigner, parfois s'interposer. Les Palestiniens n'ont pas demandé de soutien militaire. Ils demandent une protection. Il y a une semaine, je n'aurais pas imaginé, non pas que Sharon soit capable de faire ce qu'il fait, ni que Shimon Peres soit assez lâche pour le laisser faire, mais que la communauté internationale laisse les choses parvenir là où elles en sont. Les États-Unis ont encouragé Sharon, cela s'inscrit dans leur croisade contre le Mal. La réalité américaine est bornée, rétrograde. Ils se voient comme la force du bien, et le tiers-monde - et surtout le monde islamique - comme un monde de sauvages, qu'il faut dans le meilleur des cas mater, et dans le pire réprimer. Georges Bush est un cow-boy. Il est dans un western, profondément. Ce n'est pas une tactique, c'est une philosophie, une façon d'être. La semaine prochaine, je repars en Israël. Je vais prendre la mesure des dégâts. Prendre des nouvelles. Je vais consacrer beaucoup d'efforts au mouvement des soldats réfractaires qui refusent de servir dans les territoires occupés, mouvement dont j'ai été l'un des initiateurs pendant la guerre du Liban. Je ne suis plus réserviste, j'ai passé l'âge, mais le directeur du centre à Jérusalem est actuellement en prison, car lui-même réserviste réfractaire. Il y a beaucoup à faire. C'est très important. Tout au long des dix-huit derniers mois, des soldats se sont retrouvés en taule pour refus d'obéir. Il y a eu un déclic il y a trois mois, un saut qualitatif créé par la violence de la répression. De nouveaux soldats nous rejoignent, qui n'avaient pas signé la pétition un an plus tôt. Confrontés à la réalité, y compris de ce qu'eux-mêmes ont été amenés à faire, ils disent maintenant que trop, c'est trop." Propos recueillis par Jade Lindgaard Président du centre d'information alternative de Jérusalem, militant pacifiste et vieux compagnon de route de la lutte pour la création d'un État palestinien, Michel Warschawski vient de publier "Sur la frontière" (Stock). Alternative Information Center: www.alternativenews.org Pétition des soldats qui refusent de servir: www.seruv.org.il