Beaucoup d’occidentaux n’ont pas compris la vraie nature de l’Islam et ont trop souvent prêté à ce dernier toutes les vertus progressistes et révolutionnaires que leur imagination inventa de toutes pièces. Car historiquement et doctrinalement, l’Islam n’a jamais été un obstacle au capitalisme. « Il n’y a rien dans la doctrine islamique, confirme Bernard Lewis, qui s’oppose au progrès économique » 6 . Et l’islamisme ne semble pas se différencier de l’Islam traditionnel sur ce point. Il suffit, pour s’en convaincre, d’étudier la situation économique iranienne et soudanaise. Rien chez les Islamistes, qu’ils soient sunnites ou chiites - ( Wahhabisme, Frères Musulmans, « Tabligh» indien; «Jamaat-i-Islami » pakistanais, afghan ou indonésien; chiisme duodécimain Khomeinyste) - ne remet réellement en cause les principes fondateurs du capitalisme : les principes économiques issus du capitalisme sont verbalement condamnés au nom de la redistribution des richesses (etc...) mais ils sont islamisés et traduits en arabe, en ourdou en malais ou en iranien, en les greffant sur des vieux termes arabo-islamiques. Le professeur Bruno Etienne affirme pour sa part que l'Islam ne rejette ni la modernité, ni le capitalisme, contrairement à une idée répandue : « Il récupère la modernité à partir de l'Islam retrouvé : la réponse à la modernisation allogène consiste donc finalement à retourner la nationalisation du progrès en islamisant la modernité ». Aussi, l'interdiction coranique de l'usure ne constitue-t-elle pas, dans la pratique, un obstacle fondamental au développement du capitalisme, contrairement à ce que nombre d'observateurs affirment. « Le débat, poursuit Bruno Etienne, ne porte donc pas sur des points théologiques, puisque après tout de nombreux mécanismes ont été mis au point depuis fort longtemps pour contourner la Sharià et le système actuel n'a fait que réadapter de vieilles pratiques : par exemple le leasing remplace le vieux système du crédit-bail (Ta’jîr/ijâra) comme le ‘cash and carry’ est greffé sur le ‘murâbaha’. Toutes les ruses juridiques de contournement (hiyâl) sont utilisées (...) Il semble évident que ce système fonctionne selon les normes du capitalisme et ne profite guère aux déshérités sauf pour leur construire des mosquées et pour légitimer quelques opérations de solidarité : un système d'assurance élaboré à partir de la vieille Mudâraba, ou bien la gestion de la zakât, conçue comme un impôt sur le capital (...) Même dans les Etats les plus islamisés, comme le Pakistan ou le Soudan, le régime appliqué est plus près de la logique capitaliste que des souhaits des islamistes » 7 . Constat que Henri Kissinger avait émis depuis longtemps. Rappelons également qu’Ibn Taiymiyya, référence ultra-rigoriste commune aux Wahhabites et aux Islamistes, admettait l’intérêt, dans les prêts, comme « reconnaissance équitable », tandis que Mohammed Abdou, dont se réclament également les Islamistes, prononça lui-même une Fatwa 8 légalisant le prêt bancaire selon l’esprit et la lettre du Coran. C’est à partir du milieu des années 70 que se développera un véritable système bancaire islamique international, fondé sur les principes mêmes de la Charià, mais contournant habilement l’interdiction coranique du « riba », afin de s’adapter au capitalisme mondial et à l’économie de marché. Et ce sera bien entendu à l’initiative ou sous l’autorité des monarchies pétrolières alliées des Etats-Unis que seront créées les toutes premières banques islamiques modernes : la Banque islamique de développement (Bid), instituée à Djedda en 1975, suite au sommet islamique de Lahore, et la Dubai Islamic Bank, crée la même année. IL existe aujourd’hui plus d’une cinquantaine d’institutions financières islamiques en fonctionnement. Certaines sont même implantées sur des places financières internationales, telles Genève, Londres, Copenhague ou le Luxembourg. Toutes ces banques, à l’exception de la Bid, relèvent de l’initiative privée. Leur doctrine est fondée sur deux principes: l’interdiction des intérêts non liés à une opération productive et la participation aux risques et pertes (au lieu de fixer un taux d’intérêt prédéterminé, elles associent étroitement le capital bancaire, le capital productif et l’épargne). « En réalité, commente Olivier Carré, le système bancaire islamique encourage en fait les opérations à court terme et le resserrement des liens avec les banques conventionnelles, en contradiction même avec ses objectifs non spéculatifs tendant au développement à long terme. Les banques islamiques sont loin d’atteindre ses buts et de respecter la théorie islamique »9. Aussi faut-il rappeler que les activités bancaires imputables aux institutions islamiques ne représentent qu’une infime partie des opérations effectuées par les Etats musulmans ou les particuliers. Les milliardaires séoudiens, par exemple, investissent considérablement dans l’ensemble du tiers-monde et en Occident. Malheureusement pour les nations musulmanes pauvres, les pétrodollars séoudiens ou koweïtiens sont presque exclusivement investis dans la promotion de l’islam et de l’islamisme dans le monde (subventions accordées aux étudiants islamistes par la Fondation Hariri; aides financières des pays du Golfe, de la Libye et du Pakistan, aux mouvements islamistes tels que le FIS, Hammas, Gammàa etc...), ceci au détriment du développement économique des nations soeurs du Maghreb et du Moyen-Orient. Si l’on étudie, par exemple, la nature des placements de l’O.P.E.P (majoritairement musulmane), on observe qu’au cours de l’année 1984, sur un excédent en pétrodollars s’élevant à 402 milliards, 340 ont été investis dans les banques occidentales (principalement sous forme de dépôts bancaires et d’investissements industriels et immobiliers) et seulement 59 dans le tiers-monde, dont 4,5 milliards au titre de l’aide publique au développement 10 . En 1993, les dépôts arabes à l’extérieur du monde islamique étaient égaux à 670 milliards de dollars. Aussi, en ce qui concerne l’Arabie-Séoudite et le Koweit, rappelons que la quasi totalité des pétrodollars de ces Etats, financiers de nombreux mouvements islamistes, sont investis dans les banques et places financières anglo-saxonnes: Royaume-Uni et Etats-Unis. Choix qui n’étonne guère étant donnée la nationalité des compagnies pétrolières qui ont permis aux pays du Golfe d’acquérir la puissance financière que l’on sait. La banque d’affaires américaine City corps, la chaîne de boutiques de luxe new-yorkaise Sacks, la chaîne hôtelière américaine Fairmont et Eurodisney, appartiennent en partie au seul prince Talal Abdel Aziz d’Arabie-Séoudite. Mais l’Arabie-Séoudite ne se contente pas des simples participations financières, puisqu’elle ne cesse, depuis plusieurs années, d’acquérir des sociétés de presse ainsi que des chaînes de télévision et de radio afin de contrôler une partie des media occidentaux et de contribuer à la progression de l’Islam dans le monde ou tout du moins, dans un premier temps, à l’amélioration de l’image de l’islam dans le monde. La presse italienne se faisait récemment l’écho de l’offre de deux milliards de dollars - présentée par le prince séoudien Talal Abdel Aziz, à Silvio Berlusconi, pour acquérir 40% de la société Fininvest11, holding dont dépendent plusieurs chaînes de télévision italiennes. Rappelons également que l’agence américaine Upi (United Press International), la Mbc, Middle East broadcasting Corporation (télévision arabe par satellite, basée à Londres), les cinq chaînes de la télévision arabe par satellite Art (Arab radio télévision), qui diffuse, à partir de Rome ses programmes vers les pays arabes, ainsi que les deux quotidiens arabes concurrents de Londres: al-Hayat et al-Shark al-Awssat, sont détenus par les innombrables princes de la dynastie séoudienne. Enfin, après Londres et Rome, il n’est pas inutile de mentionner tout particulièrement l’existence, à Paris, de la radio arabo-musulmane Idaàt as-Shark (Radio Orient), créée et présidée par le musulman libanais Raghid al-Chammah. Radio Orient est présentée, par ses dirigeants, comme étant une « radio française d’expression franco-arabe pour la communauté musulmane (...), organe d’expression privilégiée de la communauté musulmane multi-ethnique et pluri-culturelle présente dans l’hexagone ». Idaàt al-Shark prétend également défendre un « Islam de France et de tolérance (...), tricolore, tolérant, laïc et républicain, respectueux des institutions nationales et républicaines ». Ceci dans le but paradoxal de « parer au déracinement de la communauté française de confession musulmane » 12 . Mais « l’Islam de France », proposé par la radio arabo-musulmane, ressemble étrangement à l’islam wahhabite ultra-radical, puisque, chaque vendredi, les auditeurs sont reliés à Radio la Mecque (de 9h00 à 11h00), d’où est retransmise la prière. Aussi, comme nous l’ont confirmé André Damien, responsable des cultes auprès de Monsieur Debré et Nicolas Barré, cadre supérieur du CSA et spécialiste des radios confessionnelles 13 , Radio Orient est en partie financée par l’association islamique du milliardaire libano-séoudien Rafic Hariri, actuel premier ministre du Liban et principal agent international des intérêts séoudiens dans le monde. En outre, Monsieur Damien nous a confirmé l’information selon laquelle plusieurs responsables de Radio Orient demeurent liés à l’association de Frères-Musulmans. Enfin, Radio Orient retransmet, en tant que membre associé ou observateur, des programmes distribués par des Etats musulmans (pays du Golfe, principalement): Arab States Broadcasting Union (ASBU); Islamic States Broadcasting Organisation (ISBO); National Association of Broadcasters (N.A.B), et elle reçoit la plupart de ses informations d’agences de presse telles que: Qatary Press Agency, Saoudi Press Agency, Algérie press service, Agence France Presse, Kuwaiti News Agency, E.N.A (Emirats Arabes Unis), United Press Agency (Royaume Uni) etc... On peut donc parler, à propos des réseaux d’information établis en Europe et dans le monde par les Etats musulmans, d’un véritable « prosélytisme musulman mediatique » destiné à promouvoir une image positive de l’islam orthodoxe et ultra-rigoriste. On comprend mieux dès lors, l’importance stratégique que revêtent aux yeux de ces Etats, les communautés musulmanes implantées en Europe via l’immigration. Les membres de ces communautés, à qui les Etats d’accueil ont massivement accordé la nationalité, constituent le noyau - juridiquement « autochtone » - à partir duquel les Etats islamiques soi-disant alliées de l’Occident (monarchies pétrolières du Golfe, Pakistan, Libye etc...), entendent poser les bases de l’islamisation de L’Europe, projet que partagent également les mouvements islamistes. Car ne nous y trompons pas, l’Arabie-Séoudite n’est pas l’alliée de l’Occident. Elle n’est que l’alliée de la finance occidentale, en particulier anglo-saxonne. En effet, si l’Arabie-Séoudite possède ou contrôle de nombreuses structures médiatiques en Occident, et parfois des agences de presse qui diffusent une culture non-musulmane, comme l’agence américaine Upi, elle demeure pour sa part résolument imperméable à toute pénétration des moeurs et cultures occidentales à l’intérieur de ses frontières. La monarchie wahhabite a en effet interdit les antennes paraboliques afin de « prévenir notre société de la contamination occidentale », expliquait récemment le roi Fahd d’Arabie Saoudite. On constate assez aisément, à l'aune de ces exemples concrets de la stratégie islamique, que l’alliance entre l’Europe et les Etats fournisseurs de pétrole, n’est qu’une alliance de dupes. Encore une fois, cela renforce notre conviction selon laquelle les Islamistes - au sens journalistique du terme - ne sont que l’un des maillons de l’impérialisme islamique, à l’intérieur duquel le capitalisme séoudien revêt une place primordiale. Car il n’y a, ainsi que le montre le professeur Bruno Etienne, aucune différence de fond entre, d’une part, l’activité internationale des mouvements comme les Frères-Musulmans et celle de l’Arabie-Séoudite ou du Koweit. Il suffit, pour s’en convaincre, d’étudier, comme nous l’avons fait plus haut, les activités et déclarations de l’Organisation de la Conférence islamique (OCI) 14 . Depuis 1970, en effet, cette organisation, dominée par les Etats qui contribuent financièrement à son fonctionnement, c’est à dire, l’Arabie-Séoudite, la Libye, les Emirats arabes unis et le Koweit, se propose, à l’instar des Islamistes qui se réfèrent à la même tradition islamique rigoriste, d’utiliser les minorités musulmanes d’Europe pour élargir les frontières de la Oumma. Mais il serait faux de croire que l’Arabie-Séoudite finance et soutient uniquement l’islamisme dit modéré et qu’elle combat l’islamisme terroriste radical.