On croyait l’infamie des zoos humains de l’époque coloniale rangée depuis belle lurette au placard. On ne se disait même pas « plus jamais ça ! » tant il semblait évident que jamais plus, des hommes ne songeraient à en exposer d’autres à la curiosité du public.

C’était compter sans Louis Raets, gestionnaire du parc situé à Yvoir et qui accueille depuis début juillet et pour deux mois huit Pygmées, à qui il est demandé de chanter et de danser chaque après-midi devant les touristes. De contrat, pas le moindre. De rétribution, rien n’est moins sûr, d’autant que les visiteurs ne se bousculent pas au portillon. Mais voilà huit de nos frères humains exhibés en lieu et place des papillons exotiques accueillis habituellement en cet endroit.

C’est que Monsieur Raets a la fibre humanitaire, voyez-vous. Alors, lui, de voir les Pygmées vivre dans un tel dénuement, ça l’a tout bouleversé, et il a décidé de prendre le taureau par les cornes, d’en inviter huit en Belgique pendant deux mois, d’ainsi faire découvrir aux ignorants que nous sommes la terrible réalité de la vie pygmée, et, avec l’argent récolté, d’aider le peuple pygmée à vivre mieux.

Fort bien.
Jamais il ne lui est venu à l’esprit, cependant, à ce monsieur et à ceux qui, du Cameroun, ont co-organisé ce qu’il faut bien appeler une exposition, qu’il existait probablement déjà de fort bons reportages sur les Pygmées, qu’à défaut on pouvait en réaliser d’autres, qu’il serait possible, avec le soutien de la RTBF, par exemple (qui s’associe manifestement à l’exposition d’Yvoir, si l’on en juge par le drapeau qui flotte à l’entrée) de diffuser fort largement. Jamais il ne lui est venu à l’esprit non plus, sans doute, que cette expérience de vie, deux mois durant, dans un parc animalier belge, ne serait certes pas sans laisser de traces dans le chef de ces huit Pygmées. Ni que les hôpitaux ou écoles, qu’il voudrait voir construire pour les pauvres-petits-Pygmées, le seraient de toute évidence dans des villes, fort loin donc des lieux de vie traditionnels desdits Pygmées. Ni que les Pygmées, sans doute, n’étaient pas tous des chanteurs et des danseurs. Que certains, on peut l’imaginer, avaient d’autres compétences. Qu’en somme, c’était, ni plus ni moins, des hommes comme nous. Nous, dont on voit bien qu’il serait illusoire de choisir une poignée de nos congénères pour aller représenter deux mois durant toute la richesse d’une culture, d’une civilisation.

Et jamais certainement, il n’a pensé qu’ au-delà de tous les critères d’efficacité et de rentabilité, il est indigne de l’homme d’exhiber ses semblables. On se souvient d’Elephant Man et des scandaleuses exhibitions de « monstres » ; puis des expositions universelles de 1885, de 1897 et de 1958 où des noirs importés du Congo avaient remplacé des malheureux au corps difforme. Un alibi humanitaire peu convainquant saura-t-il nous faire oublier que ceci n’est que la énième version de la même indignité?

Une manifestation organisée ce samedi 27 juillet à l’appel du Mouvement de Nouveaux Migrants (MNM) réunissait quelques dizaines de personnes devant les grilles du Domaine de Champalle, à Yvoir. Le mot d’ordre ? « Libérez les otages ! ». La revendication : le démantèlement immédiat du campement et le retour des Pygmées Bakas.

Espérons que cet appel soit entendu.

Nadia Geerts