Par Richard
Gott, dec'2002.
Pilin Leon,
l'ancienne Miss Venezuela, était occupée à être
juge dans le concours de Miss Londres qui se tenait à Londres
le samedi 7 décembre quand le pétrolier portant son nom
a illégalement jeté l'encre dans le lac Maracaibo, la
principale zone pétrolière du Venezuela. C'est alors que
les marines [soldats] vénézuéliens sont montés
à bord. La fin de l'histoire était supposée signifier
la fin de la lutte de classes. Mais le conflit politique à l'oeuvre
aujourd'hui au Venezuela suggère qu'elle est vivante et fort
bien vivante.
Lorsque
le capitaine du Pilin-Leon a jeté l'encre, il exprimait sa solidarité
avec la grève antigouvernementale lancée à Caracas
[par le patronat et la bureaucratie syndicale du pétrole]. Mais
l'équipage du pétrolier était opposé à
cette grève et à l'action décidée par le
capitaine. Lorsque les soldats sont montés à bord du pétrolier,
sur les ordres du président Hugo Chavez en habit militaire, seul
le capitaine a dû être remplacé.
Au cours
de la dernière année, et même plus, les classes
élevées et moyennes du Venezuela, opposées au gouvernement
Chavez, ont protesté dans les nouveaux quartiers riches de Caracas,
alors que les pauvres - c'est-à-dire la vaste majorité
de la population de cette ville - venaient au centre depuis leurs bidonvilles
afin de manifester en défense de «leur» président.
Chavez
a célébré, les 9 et 10 décembre, sa large
victoire électorale d'il y a quatre ans. Il l'a fait au moment
où se développait depuis une semaine une grève
insurrectionnelle visant à ce qu'il démissionne. Jusqu'à
maintenant, il a manifesté une capacité à la Houdini
[prestidigitateur français qui se sortait de toutes les situations
les plus difficiles] d'échapper aux situations les plus difficiles.
En avril 2002, un scénario assez similaire à l'actuel
avait conduit à un bref coup d'Etat dont Chavez a réchappé
grâce à une alliance entre les pauvres et les forces armées.
Cette fois, le président Chavez dit qu'il ne sera pas pris par
surprise.
L'opposition
espère répéter en décembre 2002 ce qu'elle
a échoué à mener à bien en avril. Mais la
situation n'est plus identique. Les forces armées sont actuellement
plus solidement derrière le président qu'antérieurement.
Les généraux les plus conservateurs n'ont plus de positions
importantes de commandement. Ceux qui étaient partie prenante
de la tentative de coup d'Etat d'avril ont tous été mis
à la retraite.
La situation
internationale est de même différente. Les Etats-Unis avaient
bien accueilli le coup d'avril; mais, cette fois, ayant d'autres problèmes
plus importants ailleurs, Washington est plus circonspect. Washington
a publiquement soutenu la négociation conduite par Cesar Gaviria,
l'ex-président colombien qui dirige l'Organisation des Etats
américains [Gaviria est censé établir un dialoague
entre le gouvernement Chavez et les représentants de l'opposition;
l'OEA, dans laquelle les Etats-Unis ont un rôle prépondérant,
lui a donné une fonction de médiateur].
Peut-être,
un élément plus important que les changements d'attitude
au sein des militaires et de l'administration américaine réside
dans la mobilisation plus déterminée, aujourd'hui, des
masses paupérisées; à tel point qu'existent des
débats sur une possible guerre civile. Jusqu'au coup d'avril
2002, les pauvres avaient voté pour Chavez à diverses
reprises; mais son programme révolutionnaire était dirigé
depuis en haut, sans grande participation populaire.
Après
la tentative de coup, qui révéla que l'opposition visait
à imposer un régime à la Pinochet, les couches
plébéiennes ont réalisé qu'elles disposaient
d'un gouvernement qu'elles avaient besoin de défendre. Les marches
de protestation de l'opposition ont stimulé un processus social
que la majorité des classes moyennes et élevées
auraient préféré qu'il reste dormant: le spectre
d'une guerre de classes et de races [la majorité des couches
pauvres sont noires ou métisses, alors que les manifestations
de l'opposition démontrent non seulement dans l'habillement mais
la couleur de la peau l'extraction blanche et privilégiée].
Les porte-parole
de l'opposition se plaignent que Chavez est un gauchiste qui conduit
le pays au chaos économique. Mais la crainte haineuse sous-jacente
est liée à la terreur de l'élite blanche du pays
qui fait face aux masses populaires mobilisées qui sont noires,
métisses ou indiennes. Seul un racisme qui plonge ses racines
il y a cinq siècles - celui des colons européens envers
les habitants indigènes du Venezuela et les esclaves noirs -
peut expliquer de façon adéquate le degré de haine
qui a surgi. Chavez - qui est plus noir et indien que blanc et qui ne
fait pas secret de sa volonté d'être le président
des pauvres - est la cible de cette rage raciste.
La carte
truquée utilisée par l'opposition, en avril comme en décembre
2002, est constituée par les déclarations de la compagnie
pétrolière, Petroleos de Venezuela, souvent décrite
comme le cinquième plus important exportateur de pétrole
dans le monde et important pourvoyeur de pétrole pour les Etats-Unis
[à hauteur d'environ 15% des importations pétrolière
américaines]. Petroleos de Venezuela, nationalisée il
y a plus de vingt-cinq ans, a été dirigée au cours
des années au bénéfice exclusif de ses managers
et d'une couche de ses employés. Ses bénéfices
ont été réinvestis partout, à l'exception
du Venezuela. Avant l'arrivée de Chavez, la privatisation de
la société était en voie de préparation,
cela à la grande satisfaction des ingénieurs et directeurs
qui auraient tiré les bénéfices de l'opération.
Mais, avec l'interdiction de la privatisation que la nouvelle Constitution
vénézuélienne [proposée par Chavez et adoptée]
confirme, les classes moyennes et les élites prospères
liées au secteur pétrolier ont été toutes
disposées à jouer le rôle de dirigeant d'une opposition
de style Pinochet contre Chavez. C'est pour cela qu'elles cherchent
à bloquer la totalité de l'industrie pétrolière,
suscitant une crise financière et de ressources massive.
La tâche
décisive pour Chavez est de conduire le bateau du pétrole
sous le contrôle du gouvernement, remplaçant le management
conservateur par des dirigeants plus radicaux qui ont été
écartés de la société lors de conflits antérieurs.
S'il veut soutenir, pour faire image, l'équipage, fidèle
au gouvernement, du pétrolier Pilin-Leon, il sera peut-être
contraint d'imposer un état d'urgence lui permettant de reprendre
le contrôle du secteur pétrolier.
* Traduction:
A l'encontre
Richard
Gott est l'auteur de l'ouvrage In the Shadow of the Liberateur: Hugo
Chavez and the Transformation of Venezuela, Ed. Verso, Londres, septembre
2001.