Venezuela: une gifle populaire à l'Empire On en revenait pas encore, on était sous le choc de l'événement. On se remémorait les visages d'Allende (Chili, 1973) et d'Arbenz (Guatemala, 1954) et leur fin tragique. Comment le régime bolivarien avait-il pu être renversé si facilement? Mais surtout où étaient les gens, ces gueux, ces masses populaires qui soutenaient, semble-t-il, la Révolution bolivarienne et son leader ? zumbi, 20 avril 2002. Les médias internationaux répétaient de manière disciplinée les infos qui lui venaient du " Bloc de la presse " vénézuélien : Chavez aurait fait tirer sur la foule, il aurait démissionné mais on n'en voyait pourtant pas d'images ; Cet "autoritaire collectiviste", selon la RTBF, aurait été victime d'une rébellion populaire, mais c'était le chef des patrons qui se retrouvait au pouvoir anéantissant la réforme agraire impulsée par le pouvoir bolivarien; les médias parlaient d'un nouveau gouvernement de transition vers la démocratie alors que celui-ci supprimait toutes les institutions démocratiques; la Maison Blanche, et l'Etat espagnol (président de l'Union Européenne) accusait Chavez d'être responsable de cette situation alors que c'était lui qui était emprisonné. L'information arrivait, ou plutôt la désinformation, ce mur de désinformation qui commença à se fissurer le samedi grâce à une télévision colombienne et, ainsi surprenant que cela puisse paraître, à CNN espagnol. Les premiers messages électroniques apparurent pour annoncer l'arrivée imminente de milliers et milliers de gens, paysans, travailleurs, chômeurs, tous partisans de Chavez et descendant des quartiers populaires. Il ne fallut que quelques heures pour que cette révolte populaire historique accompagnée par le soulèvement d'une bonne partie de l'armée ne viennent à bout des "golpistas", que soit rétablie la "normalité" institutionnelle et que soit remise sur les rails la Révolution bolivarienne Que l'on aime ou pas le personnage et son côté messianique, sa chute était une énorme gifle impériale à la lutte populaire en Amérique latine. Rappelons qu'il y a quelques semaines, G. Tenet, directeur de la CIA, avait, devant une commission sénatoriale, qualifié le Venezuela, tout comme l'Argentine et la Colombie, de pays "volatiles". Le coup d'Etat, c'était une épine en moins dans le pied de l'Empire. C'était aussi la fin du pétrole à des prix préférentiels pour la Cuba sous blocus. C'était la fin du refus vénézuélien de collaborer aux actions du Plan Colombie. C'était la fin d'une politique vénézuélienne visant à construire une OPEP forte, indépendante pour stabiliser les prix du brut. C'était la fin d'un espoir de voir se concrétiser une alliance entre le régime bolivarien et le Brésil dans le cas d'une victoire du PT aux prochaines élections présidentielles. C'était le renforcement de la domination impériale pour imposer la "zone de libre-échange des Amériques", ce projet néo-colonial pour l'hémisphère dont Bush se voit déjà vice-roi. Ce coup d'Etat, que ce soit pour la population vénézuélienne ou en terme géopolitique, était une catastrophe, une tragédie que l'on pouvait pourtant prévoir. Le caractère "non-aligné" de la politique étrangère vénézuélienne avait de nombreuses fois irrité Washington. Le régime bolivarien s'était permis - oh grand dieu! - de rompre la coopération militaire avec les Etats-Unis, le ministre de la défense vénézuélien qualifiant la présence d'une mission militaire permanente étasunienne sur son territoire d' "anachronisme hérité de la guerre froide". Chavez avait eu l'audace - un véritable crime en ces temps de croisade anti-terroriste - de dire que l'on ne combat pas le terrorisme par le terrorisme, faisant ainsi référence à la guerre en Afghanistan. Il s'était permis aussi d'aller saluer - Quelle provocation ! - des dignitaires du " Camp du mal ", à savoir Kadhafi et Saddam Hussein. Il fallait arrêter cet impertinent qui pouvait donner le mauvais exemple! Depuis plusieurs mois, sur les réseaux d'information alternative, on trouvait des détails sur un dit "Plan Allende" pour le Venezuela, on apprenait que la Fondation nationale pour la Démocratie - organisation républicaine servant de couverture à des opérations clandestines de la CIA à l'étranger - avait invité des élus de l'opposition oligarchique vénézuélienne à Washington. Le Washington Post nous informait ce 13 avril que l'ambassade étasunienne à Caracas - et l'ambassadeur, un certain Shapiro, un ancien des guerres sales en Amérique centrale - recevait des visites régulières de membres de l'opposition politique à Chavez, de la presse ou encore de militaires à la retraite. La Jornada, quant à elle, répercutait, ce 16 avril, les propos de l'illustre Institut Stratfor - sorte de CIA privée - sur l'existence de deux plans de déstabilisation du régime bolivarien, un de la CIA et l'autre du Département d'Etat. Si la tension était perceptible au Cenezuela,ce coup d'Etat nous a pris malgré tout un peu par surprise. Pour d'autres, il semblait bien préparé. Ces autres, c'est l'oligarchie vénézuélienne parasitaire voulant protéger ses intérêts face aux réformes (trop timides) du Chavisme, c'est la presse privée (la télévision Globovision, les journaux El Nacional et El Universal) - véritable ministère de la propagande anti-Chavez -, c'est quelques militaires de haut rang formés à l'Ecole des Amériques, c'est un syndicat corrompu qui ne représente que 12% des travailleurs syndicalisés dans le pays. Cette oligarchie a bien organisé son "golpe" avec les forces de répression du maire de Caracas et opposant à Chavez. Cette oligarchie, et sa presse qui se plaignait tout le temps des atteintes à sa liberté de désinformer, fit directement fermer la télévision d'Etat lors de sa prise du pouvoir et attaqua tout de suite les radios et télévisions populaires et communautaires. Cette oligarchie, la même qui assassina plus d'un millier de manifestants en 1989 lors du Caracazo, accusait Chavez d'avoir fait tirer sur les manifestants. Cette oligarchie protégeait ses intérêts de classe et ceux de la métropole car l'Empire a de sérieux intérêts au Vénézuela. Le Plan National d'Energie de mai 2001 montre clairement, pour Washington, cette importance géostratégique. Consommant déjà quelques 25% de l'énergie mondiale, les Etats-Unis prévoient une augmentation de cette consommation et une dépendance accrue des ressources énergétiques internationales, la production et l'infrastructure nationales ne pouvant suivre cette courbe ascendante. Alors que les besoins étasuniens dépendent aujourd'hui à 53% des importations, le Plan en question prévoit une dépendance de 62% pour 2020. Il y a donc péril en la demeure, ou plutôt "menace à la sécurité nationale" selon l'équipe Bush. Car de nombreux producteurs se situent dans des zones de conflits, des régions instables. Le gouvernement étasunien en est conscient. Sa politique étrangère sera à l'avenir, et encore davantage, influencée par la question pétrolière. L'ordre devra être maintenu, directement ou indirectement. Les attitudes trop "indépendantes" ne seront guère tolérées. Chavez le sait trop bien aujourd'hui. Lui qui (re-)gouverne maintenant le troisième (ou quatrième, selon les sources) fournisseur de brut des Etats-Unis. Lui qui maintient le pétrole vénézuélien sous le joug d'un monopole étatique et "archaïque" nous diront les "penseurs de la modernité". Lui qui ne permet pas, jusqu'à présent, aux transnationales de prendre des parts plus importantes dans la production du pétrole vénézuélien. Lui qui ne vend pas aux marchands une ressource qui génère 80% des rentrées de devises et alimente près de la moitié du budget de l'Etat. Lui qui grâce à la révolte d'un peuple est de retour à la tête de l'Etat malgré la cabale médiatique. Lui, ce negrito pas assez blanc et trop "social" pour le patronat. Lui, savant mélange de messianisme, de christianisme, de bolivarianisme, de socialisme, de populisme. Lui, représentant des pauvres et qui comble l'absence flagrante d'une gauche organisée. Eh bien lui, Hugo Chavez, vient d'être légitimé dans sa fonction de la plus belle des manières. Son retour au pouvoir est une victoire et celle-là, l'Empire ne nous l'enlèvera pas, ne l'achètera pas. A suivre |