Chez nos voisins allemands, quatre centrales nucléaires
viennent dêtre placées à larrêt
suite à divers "non-respect des procédures
techniques dexploitation", ainsi que pour des problèmes
de corrosion du circuit de refroidissement. De hauts responsables
ont été "démissionnés" et
le parquet fédéral général de Karlsruhe
a ouvert une information judiciaire contre la direction de la
centrale de Philippsburg et contre lopérateur EnBW.
Les responsables sont passibles de peines de prison, pouvant aller
jusquà 5 ans pour manquement aux règles de
sécurité (AFP 25/10).
En Ukraine, quatre hauts responsables de la centrale nucléaire
de Zaporojha ont été révoqués pour
des actes similaires (AFP 2/11).
En France, en remplissant les pages web de son site avec des incidents
de moindre importance pour la plupart et danomalies génériques
connues de longue date, lASN tente de créer lillusion
dune activité débordante propre à masquer
la triste réalité de son impuissance.
Ce type dincidents devient de plus en plus fréquent,
voire "banalisé", avec un triplement en 10 ans
(de 55 à 60 incidents significatifs par an au début
des années 90 à 160 incidents par an actuellement),
la productivité ayant été largement privilégiée
par rapport à la sûreté des sites nucléaires.
Lopérateur EDF semble pouvoir agir en toute impunité.
La centrale de Dampierre, avec 28 incidents en 2 ans, a battu
tous les records de "non-respects chroniques des règles
dexploitation". Le dernier en date (http://www.asn.gouv.fr du 2/10/01, tranche
n°4 de Dampierre), malgré son placement sous haute
surveillance, porte sur le décalage déléments
combustibles lors du rechargement qui aurait pu provoquer une
perte de contrôle neutronique avec démarrage dune
réaction nucléaire sans que les instruments de mesures
ne le détecte. Le réacteur étant chargé
avec du combustible MOX, est-on passé près dun
accident de criticité ? (lire larticle sur Dampierre
dans ce numéro)
Le rôle de lautorité française de
sûreté nucléaire est donc strictement limité
à lobservation des anomalies, sans autre possibilité
que de compter les coups. La décision darrêter
une installation, ou de poursuivre en justice lexploitant,
relève de la co-tutelle des ministères de lEnvironnement
et de lIndustrie. Mais peut-on concevoir que lEtat,
au travers du gouvernement, puisse prendre des décisions
à lencontre dune industrie dont il est le principal
actionnaire ?
Le "responsable mais pas coupable" qui prévalait
pour le sang contaminé et la vache folle est encore ici
pleinement opérant. Car cest bien de la mise en danger
volontaire des personnes et des biens dont il sagit.
Le ratage de la création dAreva (ex Topco, fusion
de CEA industrie, Cogéma et Framatome), dans un contexte
international morose et sans perspectives réalistes, lincohérence
entre la domination planétaire de la "libération
des marchés" et la lourdeur dune stratégie
énergétique nationale dépassée, le
mauvais bilan récent dEDF (Les Echos du 3/11), la
forte prise de conscience de lopinion publique sur la vulnérabilité
des installations nucléaires face à des actes de
terrorisme, placent lavenir des nucléaristes et de
leur lobby dans une probabilité dévolution
incertaine, voire de régression. Le fleuron technologique
et énergétique français est objectivement
plombé et cantonné à la défensive.
Dans ce contexte, la limitation des "pertes financières"
ne peut sopérer quavec une augmentation du
risque daccidents pris par les opérateurs avec la
complicité de lEtat et leurs alliés politiques,
tous partis confondus.
Et il se trouve des écologistes pour cautionner ces pratiques
par leur silence, avec pour seul intérêt leur éventuelle
promotion dans le carriérisme politicien, dans le plus
profond mépris des luttes quils sont censés
défendre.
Claude Boyer