Ils se rassemblent alors en groupes afin de jeter des pierres contre les soldats israéliens stationnés au sommet des collines qui entourent leurs maisons. Cette confrontation était restée relativement bon-enfant, jusqu\'au mois dernier, où des soldats israéliens ont tiré des grenades lacrymogènes qui ont atterri dans la cour de récréation. Une bombonne métallique a fini à seulement quelques dizaines de centimètres de Sliman Salah, 13 ans, qui fut immédiatement enveloppé d\'un nuage de gaz que des témoins ont qualifié d\'inhabituel : il s\'agissait d\'un gaz jaunâtre. En une minute, Salah tombait, sans connaissance. Lorsqu\'il arriva à l\'hôpital privé Yamamah, son corps était en proie à des crises de convulsions et de spasmes, sa respiration était irrégulière et ses pupilles très contractées. Après l\'avoir examiné, le médecin français qui avait admis Salah à l\'hôpital était perplexe. Ce médecin, Annie Dudin, une pédiatre qui travaille en Cisjordanie depuis une quinzaine d\'années, avait déjà soigné des dizaines de victimes d\'inhalation de gaz lacrymogènes, beaucoup d\'entre elles entre les années 1987 et 1993, au cours de la première intifada, mais elle n\'avait jamais rencontré des symptômes tels que ceux de Salah, avant d\'avoir examiné ce jeune garçon \"Normalement\", les victimes récupèrent, après quelques minutes passées loin des gaz lacrymogènes. Dans les atteintes plus sévères, le masque à oxygène et des injections de solution de glucose peuvent s\'avérer nécessaires pour calmer les quintes de toux et étancher des larmoiements incontrôlables autrement. Mais aucun traitement ne parvenait à soulager Salah. Ses convulsions persistèrent jusqu\'à ce qu\'on lui administre de fortes doses d\'antispasmodiques, et il n\'a repris conscience que très progressivement. \"Je n\'avais jamais rien vu de tel auparavant\", a déclaré le Dr. Dudin. \"Je me serais attendu à cette sorte de symptômes dans le cas d\'un empoisonnement aigu. Mais dans ce cas, pour pouvoir les traiter correctement, il aurait fallu que je sache à quelles substances toxiques Salah pouvait avoir été exposé\". Plus tard, dans la même journée, Salah a été transféré à l\'hôpital Hussein, dans la localité proche de Beït Jala, où il a été remis aux bons soins d\'un neurologue, le Dr. Nabir Musleh. Des tests auxquels le garçon a été soumis ont établi qu\'il avait été victime d\'une intoxication, mais les médecins, une fois encore, ne savaient pas réellement comment le soigner le plus efficacement possible. Ils ont seulement pu recommander à Salah de prendre régulièrement des douches, afin d\'éliminer toutes traces éventuelles de produits chimiques au niveau cutané. Salah fut autorisé à sortir de l\'hôpital, mais vingt-quatre heures après, il fut saisi d\'une nouvelle crise de convulsions et dut être réadmis à l\'hôpital Husseïn de Beït Jala. Ce n\'est que cinq jours après son exposition au gaz que Salah vit disparaître les symptômes les plus préoccupants dont il souffrait. Mais son père dit que Salah a toujours mal à l\'estomac, continue à avoir des vomissements, souffre de vertige et de problèmes respiratoires. Salah n\'est qu\'un exemple parmi une véritable \"épidémie\" de cas semblables, dans la région de Bethléhem, au cours du mois écoulé. Une autre victime des gaz lacrymogènes est arrivée inconsciente et en proie à des convulsions, à l\'hôpital Yamama, et l\'hôpital Husseïn a fait état d\'une augmentation anormale de cas de patients incurables, depuis qu\'un premier cas de ce type y ait été admis, fin février. Peter Qumri, directeur de cet hôpital, a déclaré : \"Jusqu\'à il y a quelques semaines, il était assez facile de soulager les victimes de gaz lacrymogènes. Il nous suffisait parfois de les mettre sous oxygène durant une dizaine de minutes, et nous pouvions les laisser repartir. Maintenant, on nous les amène convulsifs, ils ne tiennent plus debout, parfois même ils sont inconscients, avec des détresses respiratoires sévères. Quelque chose a changé, c\'est sûr.\" Les nouveaux cas enregistrés à Bethlehem font suite à un précédent, constaté dans la bande de Gaza, au mois de février, lorsqu\'une foule importante a été exposée aux gaz lacrymogènes, près du camp de réfugiés de Khan Younis. Les victimes, des hommes adultes, avaient été admis à l\'hôpital Nasser, souffrant de crises dont les médecins ne parvenaient pas à venir à bout. Les patients les moins atteints ont eu des vomissements pendant plusieurs jours après leur exposition à ces gaz. En raison du bouclage extrêmement rigoureux de Gaza, tous les cas n\'ont pas pu être répertoriés alors. Mais des médecins palestiniens exerçant localement ont fait part de leur préoccupation qu\'Israël ait pu utiliser pour la première fois un gaz lacrymogène nouveau, ou le gaz lacrymogène habituel, mais sous une forme plus concentrée, voire un cocktail de plusieurs gaz. Les Forces israéliennes de défense ont indiqué n\'utiliser que les gaz lacrymogènes standard (CS), bien qu\'elles admettent qu\'au cours d\'affrontements, elles ont pu aussi utiliser des fumigènes afin de protéger leurs hommes. Mais elles ont avancé l\'idée que les symptômes dont se sont plaintes les personnes affectées seraient causés par l\'\"anxiété\". Cette conclusion a été rejetée par les médecins, dont l\'un des rares médecins occidentaux exerçant dans la bande de Gaza. Hélène Brisco, de Médecins Sans Frontières, affirme que les patients qu\'elle a traités à Khan Younis étaient bien des cas cliniques et que, dans les cas les plus graves, certains souffraient de paralysies musculaires préoccupantes. Les constatations des Drs Brisco et Dudin ont été corroborées par une enquête du Ministère Palestinien de la Santé, qui a prélevé des échantillons d\'air, au cours des affrontements de Khan Younis, ainsi que des échantillons sanguins sur certains patients. Ses premières analyses suggèrent qu\'Israël a utilisé un \"cocktail\" de gaz, à des concentrations beaucoup plus fortes que par le passé. Le Dr Dudin n\'a absolument pas été convaincue par les explications données par Israël. \"L\'état de mon patient, Sliman, n\'était absolument pas celui d\'un patient souffrant d\'angoisse. Il m\'est très difficile de dire à quoi il avait été exposé. Sans connaître les substances chimiques en cause, je ne pouvais pas mettre en oeuvre les tests vérificatifs nécessaires, mais ses symptômes \"collaient\" avec ceux qui accompagnent généralement l\'exposition à un poison violent. Ceci me fait craindre qu\'Israël utilise désormais des gaz qui ne répondraient plus aux normes habituelles de \"sécurité\". Al-Ahram Weekly (5 avril 2001). Traduit de l\'anglais par Marcel Charbonnier.