Marwan Al-Barghouti : En finir avec l'occupation!
Propos recueillis par Chris Den Hond & Mireille Terrin
Marwan Al-Barghouti, 42 ans, est secrétaire général du Comité suprême du Fatah de Yasser Arafat pour la Cisjordanie et membre du Conseil palestinien. Il est aussi, officieusement, le chef de Tanzim, la branche armée du Fatah. En août, un missile israélien a détruit la voiture qui précédait la sienne. Pour le gouvernement israélien, c'est "un homme à abattre". Il nous a reçus très chaleureusement dans son minuscule bureau de Ramallah.
Les Israéliens continuent leurs attaques contre le peuple palestinien, ils n'ont jamais cessé de tirer et de bombarder, d'assassiner les Palestiniens actifs dans l'Intifada. Vous avez vu vous même les deux hommes et le bébé assassinés à Hebron par les colons qui sont protégés par l'armée; c'est une escalade très dangereuse. Les barrages et les checkpoints n'empêcheront jamais un attentat suicide. Comme vous le savez, le Fatah est fermement opposé à la stratégie des bombes en Israël. Mais nous pouvons comprendre ce qui pousse certains à des actes aussi désespérés. Les Israéliens ne seront pas en sécurité tant que les Palestiniens ne le seront pas aussi. Ils ne vivront pas en paix tant que nous n'aurons pas obtenu notre sécurité et notre indépendance. Ils veulent maintenir l'occupation, continuer à implanter des colonies et avoir la paix et la terre. Je ne pense pas que cela puisse arriver. Ils doivent choisir. S'ils veulent la paix, ils doivent en finir avec l'occupation.
Sur le terrain, vous avez joué un grand rôle dans l'alliance entre tous les mouvements, y compris les Islamistes, désignés comme terroristes par les Etats-Unis. Comptez-vous maintenir cette alliance?
Je préfère parler d'"unité". Il est vrai que nous nous réunissons régulièrement. Et cela va continuer. Premièrement, le Hamas et le Djihad islamique font partie du mouvement de libération nationale palestinien. Deuxièmement, ils jouent un rôle important dans le combat. Troisièmement, notre stratégie, au Fatah, est de concentrer nos activités sur les territoires occupés. Les Islamistes, en particulier, ont une autre opinion, et je peux le comprendre.
Les Israéliens ont franchi toutes les lignes rouges. Ils entrent constamment dans les zones A, théoriquement sous contrôle palestinien, ils y tuent des hommes, des femmes, des enfants, ils démolissent des maisons, ils arrachent des arbres. Ce n'est pas juste de demander aux Palestiniens de respecter Tel-Aviv si les Israéliens ne respectent pas Ramallah. Ce n'est pas juste de demander aux Palestiniens de respecter les civils israéliens s'ils ne respectent pas les nôtres.
Les Palestiniens ne peuvent pas gagner la guerre sur le plan militaire, il faut donc une solution négociée. Quelle solution ? Un Etat, deux nations ? Deux Etats?
Bien sûr, nous pensons qu'il faudra trouver une solution politique. Nous étions satisfaits des accords d'Oslo, malgré leurs défauts. Ils devaient conduire à la fin de l'occupation, à l'arrêt de la colonisation. Mais, malheureusement, ce n'est pas ce qui s'est passé. Entre 1967 et 1993, les Israéliens avaient construit 25.000 logements pour les colons en Cisjordanie et à Gaza. En 26 ans. Après les accords d'Oslo, de 1993 à 2000, ils en ont construit 23.000. Les Israéliens nous poussent à l'Intifada et nous continuerons à résister. Mais nous sommes prêts à nous asseoir autour d'une table et à négocier. La meilleure solution serait un Etat démocratique, avec des droits égaux pour les deux peuples. C'est ce qui se passe un peu partout dans le monde. Mais c'est impossible pour le moment, ce sont les Israéliens et non les Palestiniens qui le refusent. Nous aurons peut-être un jour la chance de vivre dans un Etat démocratique, tous ensemble, tous égaux, juifs, chrétiens et musulmans. Pour l'instant, la solution possible, qui n'est pas la meilleure, c'est celle de deux Etats pour deux peuples. Nous pouvons vivre en bons voisins, côte à côte et non pas dos à dos. Nous avons essayé pendant cent ans de combattre sans négocier, puis pendant dix ans de négocier sans combattre. Nous n'arriverons à rien si nous marchons sur une seule jambe. L'Intifada a remis le processus sur ses deux jambes: il faut combattre et négocier en même temps. Les Israéliens veulent continuer l'occupation, garder les colonies, refuser le droit au retour de réfugiés, garder tout Jérusalem, et en même temps avoir la sécurité. Dans ce cas, ils ne l'auront pas. Ils ne seront pas en sécurité un seul moment. Il est très important pour nous que les Israéliens reconnaissent leur responsabilité historique et morale. On pourra négocier à partir de là. Je ne trouverai rien à redire si des réfugiés préfèrent à la place des compensations, ou s'installer en Europe, aux Etats-Unis ou dans l'Etat palestinien.
Mais Israël doit se retirer des territoires occupés?
Bien sûr, Israël doit se retirer aux frontières de 1967. Parce qu'il est impossible de construire un Etat palestinien sous l'occupation. Je ne connais aucun Etat au monde qui se soit construit sous occupation. Les Israéliens se sont retirés du Sinaï, de Jordanie, du Sud Liban. Il est question qu'ils se retirent du Golan. Les résolutions 242 et 338 de l'ONU exigent ce retrait. Pourquoi la Palestine serait-elle une exception?
Ce qui pose le problème des colonies...
Les colons n'ont pas le droit d'être là, ils doivent quitter notre pays. Ils ont leur propre pays. L'existence des colonies est illégale et illégitime, condamnée par l'ONU. Ces gens doivent rentrer chez eux.
On parle de l'envoi d'observateurs, le gouvernement israélien serait prêt à accepter des observateurs américains, que pensez-vous de cette hypothèse?
Les observateurs internationaux ne servent pas à grand chose. S'ils viennent pour compter les victimes, les médias le font mieux qu'eux. Quant aux observateurs américains, si c'est pour avoir des dizaines d'agents de la CIA chez nous, merci beaucoup, nous avons déjà le Mossad. Les USA participent à l'occupation de notre pays, ce sont eux qui fournissent les armes, les tanks et les F16 qui nous bombardent. Ils soutiennent la politique israélienne à l'ONU. Ils empêchent l'envoi de troupes de l'ONU. Ils ne peuvent en aucun cas prétendre à un rôle de médiation. Nous avons besoin d'une véritable force internationale de protection, qui reste jusqu'à ce que les Israéliens aient évacué tous les territoires occupés, la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem Est.
Les Etat arabes semblent plus intéressés par les pétrodollars que par le sort des Palestiniens...
C'est un fait historique. Malheureusement, les Etats arabes nous soutiennent en paroles mais nous ne recevons aucune aide concrète, malgré l'Intifada, le bouclage, la situation économique dramatique dans laquelle nous nous trouvons, ils ne nous aident pas. Ce sont les peuples qui nous soutiennent, dans les pays arabes il y a de grandes manifestations de soutien à notre lutte, mais leurs gouvernements sont trop liés aux USA pour agir.
Pensez-vous que la solidarité internationale a un rôle à jouer? Par exemple, en plus des manifestations, une campagne internationale de boycott des produits israéliens, une campagne contre la vente d'armes à Israël?
La solidarité internationale est essentielle pour nous. Aucun gouvernement ne nous soutient, ce sont les peuples qui nous aideront à obtenir notre liberté et notre indépendance. Personnellement, je considère la solidarité internationale comme un devoir. En 1981, j'étais en prison quand Bobby Sands (1) faisait la grève de la faim en Irlande. Nous avons décidé de faire une semaine de grève de la faim en solidarité. Nous étions en isolement, sans communications avec l'extérieur, Bobby Sands n'a jamais su que nous faisions la grève de la faim, ni personne d'autre d'ailleurs, mais c'est un devoir moral de soutenir tous ceux qui luttent pour leur liberté et leur dignité.
Toutes les actions de solidarité sont utiles, le boycott en fait partie, nous apprécions aussi beaucoup ce qui se passe en Belgique avec la mise en examen de Sharon. Les manifestations qui l'ont accueilli quand il est allé en France, en Italie, en Allemagne et en Grande-Bretagne ont été un soutien moral important pour notre peuple.
(1) En 1981, Bobby Sands et ses camarades de l'IRA, alors en prison, engagent une grève de la faim pour obtenir le statut de prisonnier politique.