S’inscrivent-elles également dans la vaste campagne de propagande entreprise par Washington pour discréditer les dirigeants de la vieille Europe qui prônent encore le désarmement pacifique de l’Irak ? L’analyse qui suit tente de répondre à ces deux questions. Depuis le vote à l’unanimité des membres du Conseil de Sécurité de l’ONU de la résolution 1441 en novembre 2002, deux camps diamétralement opposés s’affrontent sur la question du désarmement de l’Irak : d’un côté, les pays partisans de l’emploi de la force à tout prix, emmenés par les États-Unis et l’Angleterre et, de l’autre, ceux, comme la France, l’Allemagne et la Belgique, qui espèrent encore pouvoir désarmer l’Irak en poursuivant le programme des inspections. Cette opposition très nette n’interdit cependant pas le déroulement d’un grand débat planétaire permanent, à la tribune duquel se succèdent des représentants des deux groupes. Mais derrière les rencontres officielles et le ballet diplomatique incessant qui ne modifient guère jusqu’à présent les positions de chaque pays, s’engage également en coulisse un sérieux bras de fer à l’issue incertaine et aux conséquences insoupçonnées qui oppose les mêmes protagonistes. Une des armes les plus dangereuses de cette confrontation “souterraine”, où tous les coups semblent permis, réside dans la vaste campagne de persuasion que l’administration Bush a « décidé d’entreprendre [...] en Europe, en utilisant tous les moyens ; de la désinformation à la corruption de journalistes et d’écrivains... Le but est simple : éliminer les dirigeants politiques, les entreprises et les intellectuels qui s’opposent à la guerre en Irak. A la mi-décembre [2002], les spécialistes américains des actions psychologiques ont désigné les cibles prioritaires : la France et l’Allemagne ». (1) Cette guerre médiatique visant donc à décrédibiliser les dirigeants européens opposés à une action militaire en Irak vient en outre d’atteindre son paroxysme avec la déplorable publication, en “Une” du journal populaire britannique The Sun, favorable à l’usage de la force, d’un article intitulé, illustration à l’appui : “Chirac est un ver”. (2) Contrairement à l’opinion de Simon Serfaty, le directeur du programme européen au Centre pour les études stratégiques et internationales (Washington), qui déclare que « la Belgique échappe [à ces critiques] car elle ne fait pas le poids, sinon on s’en donnerait à coeur joie » (3), la campagne de déstabilisation des responsables européens n’épargne plus la Belgique et, en particulier, son ministre de la Défense. La pugnacité avec laquelle les représentants belges - dont le ministre Flahaut - ont géré la crise de l’OTAN explique la montée d’une indiscutable animosité anti-belge chez certains de nos alliés au sein de l’OTAN. Il faut préciser que l’Allemagne étant rentrée dans le rang et que la France s’étant auto-exclue de ces débats transatlantiques, la Belgique a donc dû défendre seule le point de vue des trois pays qui espèrent encore pouvoir désarmer pacifiquement l’Irak. C’est donc sur elle et, en l’occurrence, sur son ministre de la Défense, que s’abattent aujourd’hui les foudres étasuniennes. La première salve verbale, tirée par Philip Shiskin dans « un article paru le 13 février, dans [le Wall Street Journal,] «le» quotidien US passé maître dans la critique anti-belge depuis la crise de l’Otan [dans lequel,] au départ de l’histoire d’un caporal-chef coiffeur, l’auteur extrapole une «analyse» militaire... », nous vaut un droit de réponse pas piqué des vers du « (faux) placide Brabançon » dont Le Soir publie quelques extraits. (4) Mais la joute verbale ne s’arrête pas là : un deuxième tir visant André Flahaut provient des Pays-Bas. Caroline de Gruyter, la correspondante à Bruxelles du NRC Handelsblad de Rotterdam, qui avait déjà défrayé la chronique « en écrivant récemment que la presse politique belge était sous la coupe du gouvernement arc-en-ciel » (5), affirme cette fois, dans des articles aux titres éloquents - “Le ministre belge abuse de l’armée” et “La souris qui rugit” - parus tous les deux dans l’édition du journal néerlandais du samedi 22 février 2003, que « le ministre [Flahaut] utiliserait l’armée pour faire réaliser des travaux dans sa circonscription électorale du Brabant wallon ». (5) Au-delà des faits qui sont reprochés à notre armée et à André Flahaut - il s’agit d’un autre débat -, la simultanéité entre la crise de l’OTAN et la publication des brûlots en question ne laisse planer aucun doute : la Belgique et son ministre de la Défense payent comptant en termes d’image le montant des premières factures présentées par Washington, suite à l’intransigeance belge dans la résolution de la crise de l’organisation transatlantique. La campagne visant à discréditer l’armée belge et André Flahaut n’a en outre certainement pas été créée spécialement pour un pays « qui ne fait pas le poids » (3) : elle s’inscrirait donc logiquement dans la vaste campagne de persuasion lancée par le secrétaire d’État américain à la Défense, Donald Rumsfeld, à la mi-décembre de l’année dernière. Autrement dit, la Belgique serait donc devenue, ne fut-ce que temporairement, une cible prioritaire de la propagande américaine, au même titre que la France et l’Allemagne. André Flahaut serat-il le seul Belge à devoir passer à la caisse ? L’avenir nous le dira bientôt..., mais un ministre averti en vaut deux. Patrick Gillard, historien Bruxelles, le 27 février 2003 Notes (1) Jean-Baptiste Jusot, La France et l’Allemagne ennemis publics numéro un ?, Infoguerre.com, samedi 11 janvier 2003 (http://www.infoguerre.com/article.php?sid=461). (2) Cf. par exemple : Le Soir, vendredi 21 février 2003, p. 8. (3) Philippe Paquet (entretien avec Simon Serfaty), Irak. La crise entre les États-Unis et l’Europe. Un gouffre navrant dans l’Atlantique, dans La Libre Belgique, mardi 25 février 2003, p. 10. (4) Martine Dubuisson, Flahaut, l’insulte et la «prostitution», dans Le Soir, samedi 22 et dimanche 23 février 2003, p. 8. Lire aussi La Libre Belgique, jeudi 27 février 2003, p. 8. (5) Christian Laporte, L’armée en campagne pour André Flahaut, dans Le Soir, mardi 25 février 2003, p. 4. En ce qui concerne les liens presse politique belge et gouvernement, lire par exemple : Jean-Pierre Stroobants, Les étranges manières des hommes politiques belges, dans Le Monde, mardi 26 novembre 2002.