Je vous parlais récemment des remous qui secouent à nouveau la version officielle de l’affaire Dutroux (prédateur isolé sans réseau). En résumé, il s’avère que le juge Langlois a permis de nombreux contacts entre des enquêteurs et des journalistes, et qu’il a même eu lui-même des contacts directs avec des journalistes, soigneusement sélectionnés, et comme par hasard les fers de lance dans la campagne visant à présenter Nihoul comme un pauvre innocent. Selon toutes les règles des procédures judiciaires, il est strictement défendu au juge d’instruction de communiquer avec les médias, c’est le procureur qui doit s’en charger. Juste avant ces contacts, Langlois avait encore reçu des mises en garde spécifiques à cet égard. Il y a deux semaines, le Journal du Mardi enfonçait le clou en révélant qu’il y a eu encore plus de contacts avec la presse qu’on ne le pensait jusqu’à présent, et en présentant le côté juridique de l’affaire. Justement, je vous disais la dernière fois qu’il est étonnant de voir comment la grande presse, qui est toujours ravie d’interroger des experts, était en reste dans cette affaire. Aucun média n’a pris la peine d’interroger un juriste, un oubli que le JDM a tenté de réparer. Ô surprise : apparemment, pour une fois, les experts ne se pressent pas au portillon pour répondre. Un seul a accepté de répondre à visage découvert à la question de savoir si le juge Langlois mérite, sur base des éléments révélés récemment par le JDM et De Morgen, d’être dessaisi pour partialité. Pour Maître Pierre Chomé, l’affaire est entendue, malgré tous les règlements en vigueur, cette affaire est une tempête dans un verre d’eau. Par contre, deux autres juristes ont accepté de répondre au JDM, mais de façon anonyme ! Pourquoi ? mystère, mais apparemment il ne fait pas bon donner son avis sur cette affaire quand cet avis ne cadre pas avec la version officielle. Et effectivement, voici les réactions de ces deux juristes : « Je suis scié. Si c’est vrai, c’est gravissime… (…) Ca me paraît tellement colossal, après l’histoire de Connerotte, maintenant celui-ci… » Voilà pour le premier juriste anonyme. L’autre confirme simplement qu’un juge d’instruction « ne prend pas, lui-même, contact avec la presse ». La faute leur semble évidente. Autre chose à relever dans ce même dossier du JDM, c’est la déontologie du journaliste Gérard Rogge, de la RTBF, la manitou de l’émission Au Nom de la Loi, qui fut la première à claironner l’innocence de Michel Nihoul. Le JDM a mis la main sur un rapport de police qui relate un contact entre Gérard Rogge et deux enquêteurs de Neufchâteau. Logiquement, on s’attendrait à ce que le journaliste rencontre les enquêteurs pour aller glaner des infos. Mais apparemment, c’est le contraire qui se passe. Il est question, lors de cette rencontre, de ‘Patricia’, un témoin anonyme apparemment victime d’abus sexuels. Neufchâteau ne la croit pas et souhaite en savoir plus. PV de Neufchâteau : « M. Rogge prépare une émission dans laquelle il sera fait un ‘bilan’ sur les enquêtes de Neufchâteau, un an après leur début. C’est dans ce cadre qu’il a rencontré ‘Patricia’. » « Suit alors, écrit le JDM, un compte rendu exhaustif des discussions qui ont eu lieu entre le journaliste et le témoin « difficile » : quels endroits elle lui a montrés, qui elle accuse, qui elle lui promet de lui faire rencontrer, quels documents elle lui a donnés… » Donc, c’est vraiment le monde à l’envers, c’est le journaliste qui va, à l’insu du témoin en question, livrer ses sources à la police. J’ai appelé l’AGJPB pour savoir si un tel comportement correspond à la déontologie attendue de la part d’un journaliste, et là aussi, on hésite à engager la polémique sur cette affaire, qui semble clouer bien des bouches. En clair, on nous a répondu que ça dépend des circonstances et que c’est une matière délicate. A noter aussi, les médias qui se mettent à faire de la critique média, phénomène que nous ne pouvons qu’applaudir. Déjà, dans le JDM, Michel Bouffioux citait sur une page entière, pour les corriger, certaines inepties parues sous la plume de ses collègues dans LLB et dans les journaux du groupe Sud-Presse, ainsi qu’un sujet RTBF qui innocentait, de façon non contradictoire, Gérard Rogge. C’est clair que la RTBF n’allait pas charger l’un de ses propres journalistes. Mais c’est De Morgen, dans son édition du week-end du 30 novembre, qui a fait le plus fort en la matière. Sur une double page, Douglas De Coninck relevait de façon systématique les techniques utilisées par les autres journaux pour éviter de citer correctement les informations gênantes publiées notamment contre le juge Langlois. Parmi les méthodes relevées, citons-en quelques-unes : Souligner des détails sans importance : DM avait révélé qu’une réunion secrète avait eu lieu entre le juge Langlois et des journalistes au sous-sol du palais de justice de Neufchâteau. LLB a mené l’enquête et a rectifié : il s’agissait d’un entresol, endroit beaucoup moins secret. Gérard Rogge aussi a affirmé qu’il s’agissait d’une simple salle de réunion. En clair, cet élément n’a aucune importance, mais il permet de faire semblant que les informations sont réfutées. Autre méthode : citer de façon incomplète. Lorsque DM révèle une lettre d’un ministre PSC visant à faire libérer Michel Nihoul en 1978, alors qu’il purgeait une peine pour escroquerie, La Capitale cite un seul passage, très soft, de la lettre du ministre à l’administration pénitentiaire : « Je vous prie de donner à cette requête la suite que vous jugerez la plus favorable », et pose la question de savoir où se situe, en l’espèce, la protection. En fait, le ministre en question ajoutait dans la même lettre que Nihoul était plus un pigeon qu’un malfaiteur, alors qu’il traînait déjà à l’époque un casier judiciaire long comme le bras. De plus, devant l’échec de cette première lettre, le ministre Joseph Michel ne s’était pas démonté, et il s’était adressé plus haut, où il avait effectivement obtenu la « libération en vue d’une grâce » pour Michel Nihoul. Selon le Financieel-Economische Tijd, cette info sur la libération de Nihoul par un ministre PSC était soi-disant connue depuis longtemps, et elle ne méritait donc pas tout ce ramdam. En réalité, c’était le premier mot qui en paraissait dans la presse. Mais au passage, l’info s’en trouve toute relativisée pour les lecteurs du FET. Dans Le Soir, on apprenait que Nihoul avait en fait sollicité l’intervention de ce ministre pour qu’il le fasse libérer parce que son papa était mourant. La citation est de Nihoul et Le Soir le croit sur parole. Pourtant, une simple vérification de ses dires auraient permis au journaliste d’apprendre que le père de Nihoul était mort plusieurs mois avant que Nihoul entame la peine de prison en question. Dans Knack, dans un article qui retrace brièvement l’affaire Dutroux, on apprend que l’un des témoins X aurait affirmé avoir été violée par le pape. Evidemment, c’est archi-faux, mais ça jette efficacement le discrédit sur le témoignage des X. Je ne vais pas tout vous citer, mais DM soulignait donc toute une panoplie de trucs qui figurent à l’arsenal de la désinformation du « reste de la presse », et ça fait plaisir que pour une fois, un journal n’est pas trop frileux pour s’en prendre directement à ses concurrents. Depuis lors, de nouveaux éléments se sont ajoutés à ce dossier. Alors que l’affaire Langlois, potentiellement énorme, était déjà tassée dans la grande presse, c’est l’affaire Bourlet qui éclatait. En résumé, Michel Nihoul a porté plainte contre le procureur Bourlet parce qu’il aurait rencontré des journalistes (ce qui est son devoir !) et qu’il aurait essayé de propager auprès de ces journalistes la thèse des grands réseaux. Il serait à la base de la « campagne de presse dirigée contre Langlois » et il aurait lancé de fausses rumeurs qui impliqueraient jusqu’à la personne du Roi. Cette plainte paraît d’emblée ridicule et uniquement destinée à contrer l’affaire Langlois, (ce serait ennuyeux pour Nihoul de voir dessaisi de l’affaire un juge qui lui est manifestement favorable), mais en attendant, le procureur Bourlet a décidé de se retirer de l’affaire Dutroux jusqu’à ce que la clarté soit faite sur cette affaire. La contre-attaque ne s’est pas fait attendre, puisque hier mardi, DM et le JDM révélaient que Nihoul est lui-même coupable de ce dont il accuse Bourlet. Le document que publiaient les deux journaux est une vidéo caméra cachée enregistrée par des journalistes de Canal+ qui préparaient une interview de Nihoul. Lors d’un entretien préliminaire dans un restaurant, on voit et on entend Nihoul affirmer tout en n’importe quoi sur toute une série de gens, et on l’entend notamment dire que dans les années 80, l’actuel roi Albert 2 avait été photographié « en train de baiser des filles de 14 ans ». C’est donc le même Nihoul qui porte plainte contre Bourlet parce qu’il propagerait des rumeurs sur le roi… Les autres médias ont réagi de façon diverse. RTL-Tvi a simplement relayé l’info, fidèlement, avec une interview de Michel Bouffioux à l’appui. A la VRT, ils étaient sceptiques. Ils ont relayé, mais en s’étonnant qu’au moment de la « révélation » cruciale de Nihoul, il n’y avait plus d’image, rien que du son. Du coup, la VRT soupçonne que c’est un faux, alors qu’on entend très clairement la voix de Nihoul proférer ces accusations. Il faut savoir que la caméra était dans un autre coin du resto où se déroulait l’entretien, et que la bande son était indépendante de la bande vidéo. La cassette vidéo s’est épuisée à ce moment-là, mais la bande son continue sans interruption. De plus, je journaliste de Canal+ a confirmé, selon DM de ce matin, l’authenticité des propos de Nihoul. Mais c’est la RTBF qui a fait le plus fort, en choisissant tout simplement d’ignorer l’information, sans doute jugée trop défavorable à Nihoul, le chouchou d’Au Nom de la Loi. Cela dit, d’après ce que j’ai pu voir sur les sites du Soir et de la Libre, aucun de ces deux journaux n’en parlaient non plus. Apparemment, tout ce qui entache le dogme de Nihoul sympathique partouzeur innocent n’est pas à mettre entre les mains des lecteurs.