Sommet arabe - La resolution adoptée à l’unanimité à Charm el-Cheikh a fait long feu Le verbe fratricide, l’injure assassine, c’est à un bien triste carnaval que se sont livrés samedi dernier à Charm el-Cheikh bon nombre de dirigeants arabes parmi les 22 qui s’étaient réunis pour leur 15e sommet « ordinaire ». Qualificatif qui donne, d’ailleurs, le ton d’une situation tronquée dès le départ puisqu’il s’agissait en fait de discuter d’une situation hautement extraordinaire concernant l’imminence d’une guerre contre l’Irak et de ses suites, lourdes de conséquences pour la région. Après avoir laborieusement démarré par une bataille de couloirs de 48 heures entre les ministres des Affaires étrangères, le sommet s’est terminé en queue de poisson, à la faveur d’une altercation digne des « guignols de l’info » entre le colonel Kadhafi et le prince Abdallah d’Arabie, accouchant à la hâte d’une résolution en huit points comportant principalement « le refus absolu d’une frappe contre l’Irak, la nécessité de régler la crise irakienne pacifiquement » et surtout la condamnation de toutes « les tentatives visant à imposer des changements à la région ». Mais ces bonnes résolutions ont fait presque immédiatement long feu puisqu’une initiative surprise émirienne, proposant un départ de Saddam Hussein, d’abord escamotée par les congressistes, a fini, en 24 heures par recevoir l’aval officiel du Koweït, de BahreÏn et de l’Arabie saoudite. Ce développement majeur confirme ainsi le profond clivage entre « radicaux » (Syrie, Yémen, Liban, Algérie, Libye) et « modérés » (Égypte, Jordanie, Arabie saoudite, Qatar et les émirats du Golfe). Il augure aussi d’une nouvelle bataille interarabe dont l’enjeu est de faciliter les projets guerriers américains contre l’Irak. Tout ceci était d’ailleurs prévisible dès la clôture du sommet puisque la résolution finale, qui rejetait toute forme d’agression contre Bagdad, avait complètement occulté la question clé de la présence massive des troupes américaines dans les pays arabes du Golfe. Le sommet terminé, c’est la rue qui bouge à son tour. Réagissant au duel verbal Kadhafi-Abdallah, des milliers de Libyens manifestent depuis 48 heures devant l’ambassade saoudienne à Tripoli amenant Ryad à mettre en garde le pouvoir libyen contre toute atteinte à son personnel diplomatique. Des défilés contre la présence militaire US dans les pays arabes ont également eu lieu au Yémen, en Égypte et au Maroc. Des mines réjouies, un coup de théâtre et une algarade Pourtant, en dépit de la tension des jours qui ont précédé la réunion, les dirigeants arabes affichaient des mines curieusement réjouies à l’ouverture, samedi, du sommet de Charm el-Cheikh. L’hôte du sommet, le président Hosni Moubarak, parlait déjà de « succès » pour qualifier le tour de force de réunir la totalité des dirigeants des pays de la Ligue. Mais le ton a vite tourné à l’aigre. Après l’intervention du président libanais Émile Lahoud (voir en page 2) qui a ensuite cédé la présidence du sommet au roi de Bahreïn, Hamad ben Khalifa, un discours en demi-teinte de Hosni Moubarak pour évoquer ses « craintes sur les conséquences d’une guerre », c’est le discours du chef de l’État syrien Bachar el-Assad qui a amené les congressistes à plus de réalité. Adoptant un ton direct et volontaire, M. Assad a d’emblée averti que si les Arabes n’arrivaient pas à empêcher les frappes US annoncées (voir par ailleurs), « ils en paieraient le prix et les générations futures apprendraient que Bagdad a été détruite deux fois, par les Mongols en 1250 et au début du troisième millénaire ». Puis c’est une intervention en vidéoconférence de Yasser Arafat à partir de Ramallah qui rappelle aux dirigeants arabes le drame vécu par les Palestiniens. De nouveau c’est la tension avec le président Yéménite Ali Abdallah Saleh qui fustige « la présence d’armées étrangères sur le sol arabe », puis le délégué koweïtien Sabah el-Ahmed el-Sabah qui fait feu de tout bois contre l’Irak, l’accusant de faillir à tous ses engagements. Coup de théatre à ce moment-là puisque commence à circuler de main en main le projet émirati de cheikh Zayed ben Sultan qui propose le départ volontaire du président irakien assorti de garanties pour son immunité . Surpris ou faisant semblant de l’être, Amr Moussa, le secrétaire général de la Ligue, propose une interruption des débats pour un déjeuner tardif. Mais le mal est déjà fait et la presse est au courant. Interrogé à sa sortie de la salle, le ministre saoudien des AE, l’émir Fayçal ben Saoud, évite de se prononcer franchement sur la proposition émiratie, donnant l’impression de la confirmer implicitement. Reprise de séance vers 17 heures pour une intervention somme toute modérée du vice- président du Conseil de la révolution, Izzatt Ibrahim, qui met en exergue le désir de son pays de parvenir à une solution pacifique « en dépit des visées d’Israël et des États-Unis qui, sous des prétextes fallacieux, veulent agresser l’Irak pour contrôler son brut ». C’est ce moment-là que choisit le colonel Kadhafi, irrité de ne pas avoir pris encore la parole, pour lancer sa bombe. Il affirme d’un ton exaspéré que le roi Fahd d’Arabie saoudite lui avait indiqué, après l’invasion du Koweït par l’Irak en 1990, que Ryad était prêt « à s’allier au diable » pour se défendre contre la menace irakienne. Le prince héritier saoudien, Abdallah ben Abdel Aziz, l’interrompt pour affirmer que « l’Arabie saoudite n’est pas un agent du colonialisme », ajoutant : « Toi, qui t’a amené au pouvoir ? Tu es un menteur et le tombeau t’attend. » L’incident a provoqué une interruption des travaux pendant une demi-heure, le temps que les représentants du Liban, de la Syrie et même celui de l’Irak parviennent à dissuader le prince Abdallah et sa suite de se retirer définitivement du sommet. Mais le « la » est déjà donné et personne n’a plus le cœur à l’ouvrage. Tout se précipite avec la décision de tenir une séance à huis clos d’une demi-heure à l’issue de laquelle le secrétaire général de la Ligue, Amr Moussa, lit d’un ton monocorde la résolution finale « approuvée à l’unanimité » par le sommet. Prévu pour deux jours, le sommet, qui avait commencé à 11h30 du matin, n’aura duré que quelques heures. Le temps d’un énième constat amer sur l’inconsistance de la grande majorité des régimes arabes. L’initiative du président des Émirats, cheikh Zayed ben Sultan al-Nahyane, appelle « la direction irakienne à quitter le pouvoir et à quitter l’Irak tout en bénéficiant de tous les privilèges adéquats, et cela dans un délai de deux semaines à partir du moment où elle acceptera cette initiative ». L’initiative prévoit que « des garanties juridiques contraignantes au plan national et international seront fournies à la direction irakienne, pour s’assurer qu’elle ne fera l’objet d’aucune poursuite ». L’initiative prévoit également de « décréter une amnistie totale et globale pour tous les Irakiens, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Irak ». Elle demande aussi, en quatrième point, que « la Ligue arabe se charge, en coopération avec le secrétaire général des Nations unies, de gérer la situation en Irak pour une période intérimaire durant laquelle seront entreprises les mesures nécessaires pour un retour à une situation normale conforme à la volonté du peuple irakien ». Cheikh Zayed affirme enfin que cette initiative est dictée par sa « conviction que les dirigeants de la nation arabe doivent avoir un rôle principal dans ce qui peut aboutir au miracle de parvenir à un règlement pacifique, face au danger imminent » qui menace l’Irak et la région Le colonel Kadhafi, sa tente et ses « gorilles » au féminin Le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, qui a failli provoquer l’arrêt du sommet arabe samedi en raison de l’altercation avec le prince héritier saoudien, fait toujours figure d’enfant terrible lors de ses réunions avec ses pairs. Le colonel Kadhafi était arrivé samedi matin à l’hôtel Mövenpick, qui a abrité les travaux du sommet, venant de Libye à bord d’une limousine blanche, contrastant avec les voitures noires de tous les autres chefs d’État arabes présents à Charm el-Cheikh en Égypte. La sécurité égyptienne a empêché des gardes du corps féminins du dirigeant libyen d’entrer en sa compagnie, à « Jolie Ville » dans la salle du sommet. Les jeunes femmes, en treillis et aux cheveux longs, se trouvaient dans une voiture suivant la limousine blanche du dirigeant libyen. La sécurité égyptienne postée à l’entrée de l’hôtel où se tient le sommet a voulu les empêcher de passer et la voiture a tenté de forcer le barrage. Deux jeunes femmes sont alors descendues de la voiture pour tenter de passer à pied et des membres de la délégation libyenne en sont venus aux mains avec les policiers égyptiens, qui avaient dégainé leurs armes. Les jeunes femmes sont finalement demeurées à l’extérieur du bâtiment. À l’intérieur, lors des débats, vêtu d’un boubou africain cramoisi avec coiffe assortie, le bouillant colonel a commencé à s’emporter lorsqu’on lui a refusé à plusieurs reprises la parole lors des travaux du sommet, avant même son altercation avec le prince Abdallah d’Arabie. Le dirigeant libyen était arrivé en voiture à Charm el-Cheikh, dans l’est de l’Égypte, venu de Libye. Il a comme d’habitude installé une tente dans le jardin de l’hôtel où il avait été logé.Vendredi, il s’est promené sur la plage de la station balnéaire égyptienne, serrant la main des touristes occidentaux qui ont pris des photos souvenir avec lui. En 1988, au sommet arabe d’Alger, le dirigeant libyen a manqué à l’appel à la première séance de travail du sommet, décidant de prendre le soleil sur la terrasse de l’hôtel où étaient logés les dirigeants. Il commande un café et quand on lui suggère de rejoindre ses pairs il interroge:« Pourquoi ? Qu’est-ce qui se passe à l’intérieur? » Il a aussi, au sommet d’Alger, enfilé un gant blanc, un seul, à la main droite. En privé, il avait confié qu il ne voulait pas serrer « des mains tachées de sang ». Lisez la suite sur : http://www.lorient-lejour.com.lb/aujourdhui/infos/infosujetw8.htm