Dans un monde submergé de consternations sur le terrorisme et la guerre, il n'est pas surprenant que la conférence ministérielle de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) qui a eu lieu à Doha, capitale du Qatar, la semaine dernière ait été si peu médiatisée. Le peu d'informations qui sont parues ont été reléguées à la section économique de la plupart des journaux. Les lecteurs ont ainsi été informés qu'après d'intenses négociations sur des sujets tels que les mesures anti-dumping et les subventions agricoles, les 144 Etats membres de l'OMC ont accepté un nouveau cycle de négociations commerciales. Ce qui n'a pas été dit, par contre, est que, dans les dernières minutes, de vives discussions sur d'autres sujets, une clause a été ajoutée par l'Union Européenne dans le texte final. Cette clause est un danger pour notre eau fraîche ; elle promeut la privatisation des ressources en eau du monde entier et met en péril les accords internationaux en matière d'environnement. La réunion, quant à elle, a été caractérisée par une division profonde entre le quatuor - Etats Unis, Europe, Japon et Canada - et le reste du monde. Les pays riches du Nord ont insisté sur une série ambitieuse de nouvelles matières qui ont fait l'objet d'une opposition unanime de la part des pays du Sud. De jour comme de nuit, les négociateurs ont du lutter face à cette division. Le dernier projet de texte a été présenté le 14 novembre au matin. Les délégués, dont la majorité avait veillé toute la nuit précédente, ont sauvegardé toute leur énergie pour pouvoir faire face à cette dernière pomme de discorde sur la date de lancement de négociations sur les nouvelles matières. Seule une poignée d'ONG ont noté que, durant la nuit, une nouvelle section appelée Commerce et Environnement avait été rajoutée au texte par l'Union Européenne. C'est une section qui n'a été négociée par personne et qu'aucun des délégués exténués n'a même remarqué. Quand l'assemblée a adopté le texte plus tard dans la journée, les ONGS, désespérées et sévèrement limitées tant dans leurs nombres que dans leur possibilité à accéder au processus, n'ont pu trouver aucun délégué ayant pris note de cette adjonction. C'est bien malheureux, car elle pourrait avoir des conséquences désastreuses à travers le monde. L'article 31, iii, demande « la réduction ou, selon qu'il sera approprié, l'élimination des obstacles tarifaires et non tarifaires visant les biens et services environnementaux ». C'est une menace immédiate pour les ressources - d'ailleurs en baisse - en eau fraîche du monde, en tant que « service » et en tant que « bien ». Bien que l'eau n'ait pas été inscrite dans l'Accord général sur le commerce des services (AGCS) de l'OMC comme un service environnemental, un grand nombre de pays - les Etats Unis et le Canada entre autres - poussent pour qu'elle y soit incluse. En tout état de cause, l'AGCS couvre des centaines de types de service en eau sous d'autres catégories et contient une longue liste de mesures visant à limiter toute politique gouvernementale visant à préserver et à protéger l'eau. Le Canada veut également que tous les Etats membres éliminent les restrictions sur le traitement national et l'accès au marché de l'eau. Déjà, la Banque mondiale et le Fonds Monétaire International ont entrepris une promotion agressive en faveur de la privatisation de l'eau dans les pays en développement. La porte est ainsi grand ouverte pour que les grandes compagnies transnationales des eaux tirent des profits des systèmes de distribution des eaux et du traitement des eaux usées. En vertu de cette nouvelle disposition de l'OMC, une règle nationale qui protège l'eau en tant que service public et droit fondamental pourrait être considérée comme un « obstacle non tarifaire » au commerce. Elle pourrait donc être éliminée tout comme d'autres règles visant à limiter la privatisation. L'eau est clairement un « bien » dans l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT 94). L'article 11 exclut déjà toute restriction quantitative sur l'exportation d'un bien tout en permettant des mesures tarifaires tels que taxes et régimes du double prix. Pourtant, le nouveau texte propose d'éliminer de tels contrôles sur les exportations, rendant ainsi illégale tout exportation d'eau en gros pour des raisons commerciales. De plus, l'article 32 - également ajouté ce fameux matin - expose que l'article 31, iii doit être « compatible avec » les autres règles de l'OMC, particulièrement avec l'Accord sur l'application de normes sanitaires et phytosanitaires (SPS) qui établit des contraintes sur les politiques gouvernementales relatives à la santé des animaux et des plantes, y compris les contaminants biologiques, et l'Accord sur les obstacles techniques au commerce (OTC), mis en place pour éviter que les nations utilisent des « obstacles non tarifaires », tels que des lois environnementales, qui pourraient interférer avec la libéralisation des échanges commerciaux. Les mesures nationales visant à protéger l'eau pourraient être remises en cause en soumettant le commerce des services environnementaux à ces accords - déjà très dangereux - de l'OMC. Ce ne sont pas les seuls dangers pour l'environnement qui émanent du texte de Doha. L'article 31, i, (nouveau également) est une tentative de clarifier et de codifier les règles entre l'OMC et les accords environnementaux multilatéraux (AEM). Pourtant, bien que les AEM soient reconnus - un développement depuis longtemps attendu par les environnementalistes - le texte exempte tout pays non-signataire d'un AEM. Les Etats Unis, par exemple, n'ont ratifié ni le Protocole de Kyoto, ni le Protocole sur la Biosécurité et ne sont donc liés par aucune reconnaissance de l'OMC quant à leurs dispositions commerciales. En fait, cette nouvelle disposition encourage tout pays à refuser de signer de nouveaux AEM car, se faisant, il bénéficierait de la bonne conduite environnementaliste des autres pays sans pour autant être obligé de mettre en oeuvre quelque action que ce soit. Les délégués ont également accepté de nouvelles et larges dispositions concernant l'accès aux marchés. Ces nouvelles dispositions auront pour conséquence une croissance du libre échange en matière d'exploitation du bois, d'exploitation minière, de la pêche, ainsi que d'autres ressources naturelles. De plus, l'accord sur la propriété intellectuelle (ADPIC) continuera à menacer la diversité biologique et les mesures de sauvegarde et permettra le brevetage du vivant, y compris les plantes, les semences, les gênes et les animaux. Le « round » de Doha est le produit de coercitions et d'intimidations. Déjà, il y a de la dissension entre le Nord et le Sud sur ce qui a été réellement accepté. La société civile a deux ans avant la prochaine conférence ministérielle pour discréditer cet arrangement profondément antidémocratique et dévastateur pour l'environnement. Maude Barlow est la Présidente Nationale du Council of Canadians. Elle a fait partie des ONG observateurs de la conférence de Qatar. URFIG - Unité de Recherche, de Formation et d'Information sur la Globalisation site Web : www.urfig.org