Un Di Ruporto très allègre

De retour du Forum Social Mondial, le président du PS multiplie les effets d'annonce sur le budget participatif. A l'en croire, sa bonne ville de Mons serait en passe de devenir le Porto Alegre wallon...?

Alain Tondeur

C'est Le Soir qui l'annonce : le bourgmestre de Mons, Elio Di Rupo aurait pris ses dispositions pour que le chef-lieu du Hainaut imite très rapidement le système de «budget participatif» qui fonctionne depuis plus de dix ans dans la capitale du Rio Grande do Sul.
« Le projet a fait l'objet d'une note, écrit le quotidien. Et le dossier sera soumis lors du conseil communal qui suivra la séance de vote du budget, prévue début mars. Une méthodologie et un calendrier des opérations ont déjà été arrêtés. La ville de Mons a même été découpée virtuellement sur plan en une trentaine de quartiers, regroupés en six secteurs. Des représentants, élus à la majorité simple et à bulletin secret, seront appelés à débattre des priorités en termes d'investissements extraordinaires. Il est même prévu dès cette année 2002, après une vaste campagne d'information, l'instauration d'une zone test sur deux localités de l'entité montoise durement éprouvées par la crise économique. Si l'expérience s'avère concluante, toute la ville de Mons basculera dans l'ère de la démocratie participative dès 2004. »

Canada Dry

Une lecture plus attentive nous apprend en réalité que Mons sera à Porto Alegre ce que le Canada Dry est au whisky. En effet, dans la cité du Doudou, les représentants élus par les assemblées de quartier auront une fonction purement consultative. Pas question, rapporte Le Soir, de « s'empêtrer dans les dérives d'une démocratie directe avec laquelle, dixit Di Rupo, la peine de mort serait toujours d'application. Non, le tout est de trouver un dosage subtil. Le conseil communal demeure l'instance décisionnelle. La délégation de pouvoir se fait dans un cadre bien défini. La Ville ne se dessaisit pas de ses responsabilités, elle se fait éclairer. »
Ceci a peu à voir avec le budget participatif mis en place à Porto Alegre. Dans cette ville, rappelons-le, les assemblées de quartier débattent et tranchent à propos des priorités. Les délégués élus (non rémunérés et révocables) au «conseil du budget» élaborent la matrice budgétaire à partir d'un système objectif de points. Cette matrice retourne ensuite devant les assemblées populaires, où elle est débattue et amendée avant d'être votée. Le conseil et le collège ne font qu'entériner la mouture finale.

Noeud papillon charmant, sourire au vent au milieu de son nuage de paillettes scintillantes, l'illusionniste Di Rupo se présente devant les médias comme Monsieur Budget Participatif. En même temps, sous la table, il décoche un bon coup de pied aux « dérives de la démocratie directe ». Lisez : au pouvoir décisionnel des assemblées populaires et de leur élus révocables. Pas de ça chez nous ! Les institutions doivent garder les rênes en mains. Sinon, des catastrophes sans nom s'abattront sur la gauche ; le peuple rétablira la peine de mort ! Bref, au terme des pirouettes dirupistes, on retombe sur le vieil argument élitiste qui prétend que donner du pouvoir au peuple ferait inévitablement le lit du populisme le plus abject. Argument démagogique, en l'occurrence, puisque le budget participatif ne porte que sur les investissements locaux.

«Dichotomie sociale»

Ce n'est pas tout. « Di Rupo est peut-être idéaliste mais on ne peut le suspecter d'être un grand naïf, nous dit Le Soir. L'expérience menée à Porto Alegre l'a séduit, pas subjugué.» Citation du Président : « Cette ville est la plus sûre, la plus riche et la plus propre du Brésil. Et je suis persuadé que la démocratie participative y est pour quelque chose. Mais il ne faut pas sombrer dans l'angélisme : il subsiste là-bas une dichotomie sociale. »

«Il subsiste là-bas une dichotomie sociale ». C'est dit sur le mode du constat. Mais que veut dire Di Rupo ? Qu'il faudrait aller plus loin, plus à gauche ? La gauche du Parti des Travailleurs en est bien consciente. Le budget, pour elle, est un instrument de mobilisation et de conscientisation des masses - dans une perspective anticapitaliste - pas un outil de gestion.
Or, comment Di Rupo pourrait-il aller plus loin que la gauche du PT tout en allant moins loin qu'elle dans la participation populaire ? Cela ne tient pas debout. En réalité, le vrai sens de la remarque est tout simplement de faire passer le message qu'à la « dichotomie sociale » - en clair : à la division en classes - il n'y a pas de solution, pas d'alternative. Une conclusion banale pour un social-démorate. Mais avec quelle habileté n'est-elle pas distillée!

Di Ruporto pétille d'allégresse. En surfant sur l'aura de Porto Alegre et de son Forum Social Mondial, il cultive admirablement son image de grand modernisateur progressiste du PS. Ce faisant, il positionne son parti pour récupérer l'électorat de gauche déçu d'Ecolo. Bras ballants, bouche ouverte, les Verts laissent faire.
Tout cela ne peut déboucher que sur de nouvelles désillusions - ou sur une nouvelle forme de clientélisme. C'est peu dire que l'expérience remarquable de Porto Alegre mériterait un autre relais politique en Belgique.??