" Force est donc de constater que nous, arabo-musulmans, n’avons pas une conscience suffisamment claire de ce que sont la liberté et la justice. Dans ces conditions, il ne sert à rien de vouloir entreprendre des réformes politiques. L’esprit traditionaliste des gens ne sera pas en mesure de changer si l’on n’a pas auparavant réformé la religion. De plus, l’utilisation de la religion à des fins politiques, une jurisprudence moyenâgeuse, l’absence de libre-arbitre, le poids écrasant des textes anciens, tout cela crée les conditions favorables à l’émergence de l’extrémisme islamiste, qui veut accaparer la religion et le pouvoir. Nous n’avons pas tant besoin d’une réforme politique que d’un renouveau de la pensée. Sans cela, rien ne sert de créer de nouvelles institutions, d’élire des parlements, d’autoriser des associations ou de libéraliser la presse. Tout cela existe déjà. Nous avons plutôt besoin d’invention et de renouveau dans les domaines religieux et culturel afin de rendre toutes ces institutions opérantes. » Ou encore, Radwan al-Sayyid dans Al Ittihad- Abu Dhabi : « …. En ce qui concerne la cause palestinienne, l’aspect idéologico-religieux transparaît clairement. La Palestine est sacrée, traiter avec Israël est un péché, le djihad doit continuer jusqu’à la libération de Jérusalem, et la normalisation est haram ( illicite ) parce qu’elle suppose une trahison du sacré et de l’obligation religieuse de djihad et de libération. Elle suppose la trahison de l’Islam et son abandon. Cette inflexibilité idéologique (…) réduit le champ de l’action politique au point de la rendre presque impossible. (…) Cette inflexibilité idéologique- ne vouloir traiter le fait politique qu’en termes de halal ( licite ) ou de haram (illicite) – rend difficile une action pratique cohérente et logique. (….) Pour régler le conflit avec les Israéliens, nous avons besoin d’une renaissance culturelle qui rende au discours des partisans de l’Islam politique des critères de justesse et d’erreur, de bien et de mal, qui soient autres que ceux de halal et de haram. L’idéologie extrémiste est un symptôme d’impotence, elle nous ramène en arrière du fait des dégâts qu’elle produit et n’affecte en rien les partisans d’Israël.(…) Il serait bien malaisé de trouver la moindre différence entre cette idéologie et celle des mouvements de gauche des années 70, qui prétendaient que la guerre populaire serait longue à mener. » Pendant ce temps, « nos » intellectuels, orphelins de l’idéologie contestataire de mai 68, frustrés des échecs et trahisons successifs des causes et mythes qu’ils ont magnifiés, n’hésitent pas à épouser une cause palestinienne même confisquée et dévoyée par des terroristes et le fanatisme religieux parce qu’elle leur permet de ne pas quitter le confort de leurs schémas poussiéreux opposant un prétendu méchant capitaliste occupant et surarmé à un pauvre résistant fantasmé, armé de son seul désespoir et, par-là, absous de tous les crimes et abominations commis prétendument en son nom. Ajoutant le déshonneur à l’ambiguïté, ils répugnent à formuler une condamnation claire du terrorisme, à qualifier leurs auteurs d’individus immoraux et de voyous coupables de crimes contre l’Humanité et à sommer leurs protégés de s’exprimer de manière univoque pour que leur discours sur le terrorisme cesse d’hésiter entre la complaisante condamnation verbale et la réelle sympathie. Enfin, refusant de voir dans ces dénonciations d’intellectuels arabo-musulmans une clé de compréhension du conflit différente de leur sempiternelle et trouble vision manichéenne, ils se révèlent incapables d’une réelle indignation pour la violation des droits civils de TOUTES les minorités même lorsque l’une d’entre elles est kurde et gazée par milliers par Saddam Hussein en Irak. « Nos » intellectuels auraient-ils la nausée sélective quand ils ne protestent que contre les démocraties (et en particulier deux d’entre elles…) et quand, pour ne pas tomber dans le piège du « non à la guerre pour le pétrole », ils oublient ou réfutent les espoirs, réels, de libération du peuple irakien ? En proie à une obsession anti-américaine forgée par une trentaine d’années de mauvais combats tous perdus, ils préfèrent défendre le statu quo actuel où triomphe l’oppression et occulter le sort funeste réservé au peuple irakien par ses élites plutôt que d’accorder une once de crédit à l’option américaine de déposer Saddam Hussein pour que naisse - peut-être- un Irak plus responsable, une Syrie et une Arabie Saoudite moins corrompues et arriver enfin à une médiation alors seulement réellement possible entre Israël et les Palestiniens. Comme si les dénouements et avancées résultant des différends entre peuples étaient le fruit obligatoire et exclusif d’une vision statique plutôt que dynamique de l’Histoire. Est-il raisonnable d’espérer l’aggiornamento de ces clercs paralysés par un sentiment de culpabilité lié à une perception dépassée de l’impérialisme ? Est-il illusoire d’attendre les voir un jour ne pas récuser le recours à la force pour défendre les droits civils lorsque ceux-ci sont méprisés, PARTOUT où ils sont-VRAIMENT- méprisés ? Les voir un jour admettre que la Raison sans la force pour l’imposer le cas échéant est vaine et qu’il ne peut y avoir de justice dans le monde sans courage et volonté de se battre, toujours et partout, pour elle ? Le vrai pouvoir, celui qui dure, celui que l’on peut se divertir à contester mais qui finit toujours par s’imposer, n’en déplaise aux aigris de la toute puissance américaine, fonde sa légitimité sur la décence, le courage et la morale. Il importe à nos élites intellectuelles et politiques de retrouver au plus vite le sens de ces valeurs avant d’invoquer, sur un mode pathétiquement incantatoire, l’avènement d’une politique étrangère et de défense commune. Il est urgent pour l’avenir de ce continent qui grossit territorialement, démographiquement et économiquement comme un bœuf, mais perd dans une proportion exactement équivalente tous les crédits qui en faisaient, jusqu’il y a peu, le centre du monde, qu’elles se débarrassent de cette prétendue supériorité intellectuelle qui leur fait prendre le relativisme pour le fin du fin de la pensée et les autorisent à taxer ceux qui se réclament d’une simple mais non simpliste perception du Bien et du Mal, du Permis et de l’Interdit, du Droit et du Devoir, de la Faute et de la Punition, de béotiens naïfs. A prétendre qu’il n’y a pas de mensonge mais seulement une vérité moindre, à proclamer qu’il n’y a pas de vérité mais seulement un moindre mensonge, à tenir qu’une valeur absolue, génératrice d’action, doit être récusée et que le seul dogme recevable est l’absence de dogmes, source d’immobilisme, on finit, l’esprit satisfait par tant de fatuité, par renvoyer Bien et Mal dos-à-dos, confondre victime et bourreau et se découvrir ( ?) disponible à toutes les compromissions de l’esprit. Quand nous en sommes à un tel degré d’abandon moral, à un tel niveau de perversion de la pensée, il est temps de sommer l’aubergiste de poser les lits au sol pour dormir allongés et de servir une nourriture moins fade et écœurante.