De Guantanamo à La Havane et retour John Brown « Non è dunque la pena di morte un diritto, mentre ho dimostrato che tale essere non può, ma è una guerra della nazione con un cittadino, perché giudica necessaria o utile la distruzione del suo essere. » Cesare Beccaria, Dei delitti e delle pene, Capitolo 28. («la peine de mort n’est donc pas un droit, puisque j’ai démontré qu’elle ne saurait l’être, mais une guerre de la nation contre un citoyen, quand celle-ci considère la destruction de ce dernier comme utile ») Tandis qu’en Irak les envahisseurs anglo-américains assassinaient des milliers de personnes dans leur guerre barbare d’agression et de destruction, le régime cubain a tué légalement trois personnes accusées de « terrorisme » pour avoir détourné un bateau à fin de quitter l’île. Presque en même temps, ce même régime cubain a imposé de très lourdes peines de prison à 75 personnes accusées de « conspiration » dans le cadre d’un procès qui manquait des moindres garanties. La peine de mort et la peine de prison pour des « délits » politiques sont ainsi, dans ce pays, qui pour beaucoup de gens reste associé à l’une des plus grandes expériences de libération du XXème siècle, des pratiques dont les gouvernants se réclament sans honte. On dira que c’est peu de chose, para rapport à la barbarie de l’Empire ; c’est pourtant quelque chose d’ énorme et de monstrueux si on tient compte de l’investissement d’affection révolutionaire dont Cuba fait l’objet. Personne ne doute que Cuba est victime d’une agression de la part des différents gouvernements de son gigantesque et arrogant voisin du Nord. Cette agression, matérialisée dans l’embargo et la perpétuation des actes de terrorisme contre le régime cubain mérite une réponse ferme. Cependant, l’imposition de la peine capitale ou de peines d’emprisonnement pour des délits politiques à des citoyens cubains est -avec la privation générale de libertés politiques dont souffre la population de l’île- bien plus qu’une erreur tragique et lamentable qu’il faudrait excuser au nom de l’antiimpérialisme. Ces pratiques sont, en effet, solidaires d’une conception de la société et de la politique qui place les autorités cubaines très près des secteurs les plus extrêmistes de la droite américaine et très loin du mouvement mondial qui lutte aujourd’hui contre la guerre globale permanente et le capitalisme. Le Cuba de Fidel Castro pourrait difficilement entrer en dialogue avec un mouvement qui récuse la mort comme instrument politique et aspire à la libre coopération des multiples réalités individuelles et collectives. Le mouvement des mouvements, ce vaste courant qui avance en s’amplifiant du Chiapas a Seattle, puis à Gênes, à la lutte pour la vie palestinienne, à la résistance contre la guerre globale permanente; ce mouvement qui arrache les grillages et les barbelés des camps de concentration où la gouvernance du capitalisme néolibéral enferme les immigrés « illégaux », qui bloque les trains qui transportent du matériel militaire et qui tisse infatigablement des réseaux de coopération libre et de subversion de ce système fondé sur la violence, ne peut pas tolérer les pouvoirs qui tuent. L’assassinat légal nous dégoûte. L’oppression des consciences et l’emprisonnement des personnes pour leurs opinions ne sont pas seulement contraires à nos méthodes, mais surtout à nos objectifs. Nous ne voulons pas d’une révolution qui, en notre nom, fasse taire les voix dissidentes ou tue légalement les « terroristes ». Etre contre le capitalisme aujourd’hui c’est s’opposer à la guerre comme rituel de mort, mais aussi et surtout comme exercice de souveraineté. La souveraineté, cette forme de pouvoir fondée sur une constante menace de mort du souverain envers les sujets qu’il « protège », maintient toujours ouvert, comme l’affirme Carl Schmitt, l’horizon de la guerre. Or, la peine de mort, selon Cesare Beccaria, le fondateur du droit pénal moderne, n’est autre chose que la guerre du souverain (ou de la nation unifiée/représentée par le souverain, ce qui revient au même) contre l’un de ses sujets : l’affirmation qu’il tient la vie de celui-ci en son pouvoir. Le symbole du pouvoir souverain a souvent été le faisceau (fascio) du licteur, ce magistrat qui toujours accompagnait à Rome les consuls et dont la mission consistait à exécuter la peine capitale. La hache du licteur, placée au milieu d’un fagot de branches, porte un sinistre témoignage de la proximité entre le pouvoir souverain et les instruments de la mort. Dans le capitalisme actuel, qui englobe dans ses processus de production et de reproduction la totalité de la vie individuelle et sociale, la dimension souveraine, loin de s’effacer, est devenue vitale à la simple survie du système. Sans l’existence et la réaffirmation constante de cette dimension du pouvoir, cette vie capable de coopération, d’amour et de liberté échapperait aux réseaux de valorisation du capital dans un processus d’exode constituant. Il est essentiel d’empêcher cette fugue à ceux qui dominent aujourd’hui notre planète, à ceux qui prétendent nous gouverner et remplacer notre libre capacité de faire et de vivre ensemble par une grossière « repésentation ». Si dans ce répugnant exercice de mort nous n’acceptons pas d’être représentés par Bush, Blair, Al Qaïda, Aznar ou l’ETA, malgré leurs nombreux efforts, Monsieur Fidel Castro Ruz et son régime ne pourront pas eux non plus le faire. Ces derniers ne représentent ni ce « nous » mondial complexe et démesuré ni même la propre démesure du peuple cubain. La raison de cela n’est pas –comme pourraient le penser les « think tanks » des Etats Unis- que Cuba devrait avoir un régime représentatif et que les Etats Unis pourraient l’imposer par la force : c’est, au contraire, que le monde entier, la vie, l’amour, la puissance productive du commun et des individualités qui s’y affirment sont déjà en train de constituer quelque chose que personne ne peut plus représenter. La représentation implique la mesure (un homme, une voix, deux hommes deux voix,, 82´% des voix contre Le Pen = Chirac ; 100 voix de plus qu’un autre candidat = Bush ; 99,9des voix = Castro, ) Cette mesure qui n’est autre que celle du travail abstrait qui sert de base à la valeur, mais aussi aux institutions capitalistes ou « socialistes » qui en imposent la loi, c’est justement ce qu’on n’arrive plus à nous imposer. La représentation des peuples sous une souveraineté qui tue les traîtres et emprisonne les dissidents est aussi inacceptable en Floride ou au Texas, que dans la base/camp de concentration de Guantanamo ou même, pour ne pas sortir de Cuba, à La Havane La défense de l’autodétermination interne de la population cubaine constitue la seule possibilité d’un avenir communiste pour ce pays qui sut défier et même vaincre l’impérialisme. Les citoyens cubains et du reste du monde qui parions pour cet avenir communiste ne peuvent pas accepter le manque de libertés et les méthodes barbares de répression. Nous n’acceptons pas non plus l’embargo et le harcèlement politico-militaire que doivent souffrir les cubains et encore mois une intervention militaire ou de toute autre sorte organisée par les dirigeants de la gouvernance capitaliste mondiale. On ne peut pas accepter non plus que soient compromis les importants acquis sociaux qui existent encore à Cuba : il est indifférent que la menace contre ces acquis provienne de Miami ou des cercles de pouvoir qui, à La Havane, souhaitent tranformer Cuba en un « socialisme de marché » à la chinoise, c’est à dire en un capitalisme qui ne reconnaît pas le moindre droit d’autoorganisation aux travailleurs. Le spectable macabre de la mort et de la prison pour des délits politiques, la mise en scène d’un scénario de guerre permanente sont, à Cuba aussi, des instruments fondamentaux pour imposer et perpétuer l’ordre capitaliste et la répression d’un désir de liberté qui n’a plus de place dans le capitalisme ni dans le « socialisme » cubain.