Cette année, les membres du Forum de Davos ont voulu montrer qu’ils se souciaient de l’opinion. D’autant plus qu’ils se rendaient compte que les contestataires éprouveraient des difficultés à les rencontrer. Ils ont donc ouvert un site nous permettant, virtuellement, de nous adresser à eux. Ces pensées leur sont donc prioritairement

destinées.

LETTRE OUVERTE AUX NOUVEAUX MAÎTRES DU MONDE.

 

Bonjour à vous, de votre forteresse imprenable.

Ce petit mot pour vous dire que si vous vous permettez de vous couper du monde -visiblement pour vous fermer les oreilles à la critique- les décisions que vous allez prendre nous concernent, et que nous estimons illégal de ne pas nous permettre d’en être témoins.

Je vous écris de Belgique. Aujourd’hui, les gens qui «pensent...autrement » sont considérés comme de dangereux terroristes, comme on me l’a fait comprendre à la frontière suisse.

Oui, mon nom figure sur la liste des 300 indésirables durant votre Forum. Oui, je suis criminalisée comme une hooligan. Non, je n’ai à ce jour commis aucun acte violent. J’ai juste exprimé mes opinions. A Prague, notamment, lors du sommet du F.M.I. et de la Banque Mondiale. Force vous est de constater, Messieurs les nouveaux Maîtres du Monde, que nos définitions du mot « démocratie » divergent. Il semble qu’on n’ait plus pris la peine d’imprimer ce terme dans le nouveau dictionnaire novlangue à l’usage des économistes qui dirigent actuellement la planète. Si tant est que cette utopie désuète de démocratie ait jamais existé.

Je viens de lire dans les journaux que les membres de la black list, dont je fais partie, « avaient commis des violences lors de mobilisations contre la globalisation économique » (Le Courrier, jeudi 25 janvier 2001). En ce qui me concerne, je me suis tout au plus permis, ornée d’un nez de clown, d’offrir des bonbons aux policiers tchèques. Toujours est-il que le lendemain de la manifestation, avec un petit groupe franco-belge, nous avons été arrêtés, sans avoir commis aucun délit. Cela est-il légal ? Je vous le demande.

Le temps est venu, me semble-t-il, de vous faire part de nos modes de fonctionnement, et de les confronter aux vôtres et à ceux qui vous obéissent, afin de comparer nos deux systèmes.

Nous sommes des gens responsables, capables de nous autogérer.

Or, face au tournant que vous tentez d’imposer à la planète, notre vigilance est mise en éveil. Notre valeur première n’est pas le souverain Profit, qui néglige autant la biodiversité de la Terre que la santé de ses occupants, sans compter la survie des habitants de pays qui, espérons-le, ne sont pas en voie de se développer de la même manière que les nôtres.

Notre mode de vie prône qualité plutôt que rapidité ou productivité. De même, rentabilité et compétitivité ont peu cours dans notre système de valeurs. N’étant pas mus prioritairement par l’appel du profit, nous sommes prêts à payer (et nous le faisons !) les produits de base tels que le café, le cacao, etc, à leur vrai prix.

Quant à notre comportement, il se base sur le bon sens et la raison, plutôt que sur l’observation inconditionnelle de lois décidées sans notre accord. Jugez-vous légale la suspension des traités de Schengen, pour empêcher un millier d’Italiens de manifester à Nice contre une charte niant les droits humains les plus élémentaires ? Est-il admissible de vous fermer à ce point à la contestation grandissante, que vous fassiez interdire l’accès aux frontières suisses à des centaines de personnes dont le seul crime est de ne pas voter pour l’explosion de la planète ?

Non, nous ne nous adaptons pas au Nouvel Ordre que vous tentez d’imposer au monde. Nous ne nous retrouvons pas dans votre pensée inique, qui tend à nous amener à une seule manière de manger, de nous habiller, de consommer. Dans notre altérité, nous sommes plus riches que quiconque.

Non, nous ne voulons pas d’un univers où tout s’achète; depuis la monnaie elle-même, jusqu’au droit de polluer.

Votre organisation mondiale est une nouvelle dictature, et nous nous réservons le droit d’y résister. Et de la boycotter.

Enfin, soyez avertis que quand bien même vous vous réuniriez à l’avenir dans le désert pour éviter que nos voix n’arrivent jusqu’à vous, nous continuerons à nous opposer à votre résistible ascension.

Une refoulée, qui n’a plus que le droit à la parole.