19 août 2002 Désactivation de maïs OGM "confiné" à Afsnee (Gand) Durant ce long week-end du 15 août, le groupe baptisé "L'aigle Bayer et ses serres universitaires : OGM, non merci" s'est proposé de neutraliser une expérience de génie génétique menée sur un domaine universitaire gantois. La société Aventis CropScience - devenue récemment Bayer CropScience- pratiquait depuis plusieurs années à Afsnee (Gand), au numéro 2 de la Kleine Mortelputstraat, la culture de maïs transformé génétiquement pour sécréter un insecticide. L'expérimentation rassemblait dans une serre de 75m² une centaine de plants d'un maïs dont le génome intégrait un gène de la bactérie Bt (Bacillus thuringiensis) producteur d'une toxine néfaste pour le papillon pyrale à l'état de chenille. Ces lignées de maïs étaient en outre modifiées en vue de tolérer l'absorption d'herbicides à large spectre, le glufosinate d'ammonium (Basta) dans certains cas, le glyphosate (Round up) dans d'autres. L'ampleur des déréglements biologiques qu'engendre la manipulation insecticide des végétaux est aujourd'hui établie, ce qui n'a pas empêché leur exploitation commerciale sur des millions d'hectares, aux Etats-Unis notamment. Faire produire la toxine par le maïs lui-même cause une explosion des quantités d'insecticide libérées dans la nature, au bas mot 100.000 fois supérieures à celles des pesticides conventionnels. De plus, on n'a pas affaire ici à un simple déplacement de la production létale des usines de Bayer vers les cellules du maïs. La protéine qui inonde désormais les champs est directement sécrétée sous sa forme active : il s'agit d'une construction moléculaire inédite, ne visant plus seulement les insectes qui l'ingéraient, mais un spectre beaucoup plus large d'organismes vivants. On sait par ailleurs que cette toxine subsiste longtemps dans le milieu (8 mois dans le sol), et que sa capacité à susciter des résistances chez les insectes ciblés est énorme, ce qui exige une augmentation de la toxicité mise en oeuvre. Ce dernier point est le plus précieux aux yeux de Bayer. En rendant inefficaces à court terme tous les pesticides à base de Bt, depuis les méthodes de lutte biologique jusqu'à ses propres produits, la firme agro-chimique crée pour un nombre croissant d'agriculteurs l'obligation de recourir à de nouvelles formulations d'insecticides. Son marché s'étend à la vitesse de la pollution. Le protocole de l'expérience menée à Afsnee prévoit un confinement visant à éviter toute dissémination. Or, les travaux de chercheurs comme Mae-Wan Ho, professeur à l'Open University de Londres, ont établi que le confinement est un leurre, comme le montrent de nombreux cas d'ADN et de vecteurs viraux manipulés en laboratoire survivant dans l'environnement malgré leur désactivation. Par ailleurs, il suffit de se rendre sur la "ferme" d'Afsnee pour constater la désinvolture avec laquelle est appliqué ce confinement. Vasistas latéraux ouverts à tous vents (d'où l'on aperçoit des champs de maïs conventionnels à un jet de gène), porte arrière non verrouillée, caractère globalement vétuste de la serre. Il n'est toutefois pas question ici de discuter des modalités de confinement ou d'attirer l'attention sur tel ou tel risque. Le coeur de la problématique des expérimentations de végétaux transgéniques est ailleurs. A savoir, que les expériences in vitro n'apportent aucun renseignement fiable car elles correspondent à un contexte artificiel déconnecté de conditions naturelles qui ne sont, elles, jamais reproductibles. Au niveau de l'écosystème terrestre, toute dissémination est irrattrapable, pour la bonne raison que le vivant se caractérise par une perpétuelle évolution, passant d'un équilibre à l'autre, au fil d'interactions inconnaissables dans leur totalité. A l'échelle du gène, c'est le même problème insoluble que les servants des canons à ADN découvrent progressivement. Ainsi, la proclamation médiatique mi-août 2002 d'un rôle nouveau joué par certaines portions de l'ARN dans l'expression des gènes fait entrevoir une remise en cause du credo actuel selon lequel l'ADN ordonne et l'ARN exécute. Cette découverte ne révèle pas un continent riche de promesses, comme le déclare le principal promoteur français des biotech Axel Kahn, notamment employé par Bayer, mais un abîme sans fond. Il ne s'agit pas d'une révolution mais bien plutôt d'une confirmation de la complexité de l'interaction propre à la transmission génétique, et donc de l'impossiblité d'en contrôler les innombrables variables. En somme, que ce soit au niveau de l'écosystème terrestre comme au niveau de la transmission génétique, le vivant est, de par son interactivité fondamentale et mouvante, trop complexe pour être maîtrisé. L'expérience menée à Afsnee illustre par ailleurs la nature aberrante du projet. D'abord, la pyrale ne survit pas sous notre latitude et ne présente donc aucun intérêt d'étude au niveau régional. Ensuite, des moyens biologiques existent pour lutter contre les insectes. Enfin et surtout, qu'est-ce que le maïs sinon le paradigme cultural même de l'épuisement productiviste des sols, des nappes phréatiques, des subventions et de la souveraineté alimentaire (voir la supercherie du maïs "hybride" que l'agriculteur ne peut ressemer lui-même) ? Pour terminer, rappelons que les OGM procèdent d'une conception de la vie et du monde où se croisent réductionnisme scientifique, adhésion inconditionnelle au Progrès, productivisme, croissance et autres merveilleuses boussoles idéologiques. A titre d'exemple, l'abstraction algébrique du laboratoire est exactement celle des économistes, c'est-à-dire une mathématisation à but lucratif de la nature en matières premières, comme de toute activité humaine en force de travail. L'aigle Bayer et ses serres universitaires : OGM, non merci.