Cuba
à la recherche de l'espérance Fernando Martinez Heredia, alors adolescent, a activement participé à la Révolution cubaine. Il a longtemps été professeur de philosophie marxiste et directeur de la revue "Pensamiento critico". Il est aujourd'hui directeur du centre de recherches sociales "Marinello" à La Havane. Pour lui, l'accumulation d'une culture anti-capitaliste a été le facteur déterminant de la résistance du peuple cubain à la crise économique des années '90. Ataulfo Riera Plus de 10 ans après le chute du Mur de Berlin et l'effondrement du "socialisme réellement inexistant", comment évalues-tu la situation économique et sociale à Cuba? Au niveau économique, la situation s'est stabilisée. Au début des années '90 il y a eu une chute spectaculaire du commerce extérieur et de la production nationale. Cette crise a atteint son sommet en 1993-1994. A partir de 1995, le PIB a commencé, lentement, a croître et ce redémarrage se fait à un rythme aujourd'hui plus élevé. La productivité de l'économie s'était vue fortement amoindrie du fait de la chute des ressources, des produits semi-finis , du combustible et de l'outillage. Ces carences sont en voie d'être résolues. Par exemple la production de combustibles cubains a été multipliée par quatre. La situation économique s'est également améliorée grâce au devises rapportées par le tourisme et par le développement de l'extraction du nickel, car Cuba dispose sans doute de la principale réserve mondiale de cette matière et l'exporte aujourd'hui dans 28 pays. On peut donc également penser que cette crise a été une sorte de "chance" pour sortir Cuba d'une économie de dépendance... Oui,
il y a 10 ans lors d'une conférence de la Jeunesse communiste cubaine
j'avais dit que nous allions trouver des avantages à nos malheurs.
Par exemple, la carte géologique de Cuba avait été
réalisé il y a plus de vingt ans. Dans le cas du nickel
et du fer, nous n'avions jamais développé de complexe sidérurgique
de haute qualité, malgré les ressources existentes. L'URSS
ne nous a jamais aidé pour mener à bien un développement
économique plus indépendant. Quel a été l'impact de la crise des années '90 au niveau social? Les
acquis sociaux ont été maintenus: les dépenses sociales
pour l'éducation et la santé n'ont pas été
diminuées. Il faut souligner par exemple dans le cas de la culture
de canne à sucre que la rationalisation de cette branche n'a pas
impliqué de licenciements ni une baisse des salaires. Le développement du tourisme couplé à la dollarisation implique pas mal de problèmes: différenciations sociales entre Cubains, inégalités dans l'accès aux produits, retour important de la prostitution et de la domesticité, etc... Si la crise écomique profonde est dépassée et les conquêtes sociales maintenues, les frustrations sociales sont importantes quand on songe qu'un employé dans un hôtel dispose de plus de revenus (en dollars) qu'un savant ou un medecin, payé en pesos cubains...
L'impact social négatif du tourisme est indéniable. Mais
c'est une nécessité économique. La lutte contre ces
conséquences négative fait également partie de la
lutte idéologique permanente que doit mener une révolution.
Après la victoire de 1959, nous avons dû lutter contre le
sous-développement, l'impérialisme, etc, mais grâce
à l'élan et à l'enthousiasme révolutionnaire
des masses, nous avons résisté. Ne se forme-t-il pas des couches de la population dont l'intérêt est de pousser plus loin l'ouverture au capitalisme? De même, plutôt qu'un soutien massif au régime, ne se développe-t-il pas une sorte de "fatalité", une grande partie de la population sachant parfaitement qu'un régime capitaliste étant pire, ils "tolèrent" donc passivement le régime actuel? Enfin, dans un contexte marqué par l'absence de démocratie participative directe de la population dans les choix économiques, politiques et sociaux nationaux, n'est-ce pas là des dangers majeurs pour la révolution? Je
pense, en tous les cas à court terme, qu'il n'y a pas de possibilité
pour que se cristallise une nouvelle couche sociale aspirant à
restaurer le capitalisme et présentant une alternative idéologique
et politique. Il existe des mécanismes fiscaux, d'imposition, qui
ne permettent pas une accumulation du capital. A part les entreprises
mixtes entre l'Etat cubain et le capital étranger, il n'existe
que des micro-entreprises cubaines, même pas de petites et encore
moins de moyennes entreprises. Aucun particulier cubain ne peut employer
une main d'oeuvre salariée, le personnel des micro-entreprises
(petits restaurants, etc.) sont des familiers. Une délégation officielle cubaine était présente au Forum social mondial de Porto Alegre. Lors des mobilisations à Québec contre l'ALCA, Fidel Castro a envoyé un message de solidarité aux manifestants. Comment voyez-vous à Cuba, depuis l'événément Seattle, le développement d'une nouvelle lutte internationaliste contre la mondialisation du capital? Cela représente-t-il un grand espoir pour Cuba? Oui!
Nous, Cubains, nous avons toujours vécu à la recherche de
l'espoir. Nous avons eu l'espérance de la guérilla du Che
en Bolivie, celle du gouvernement d'Allende au Chili, celle de Velazquo
Alvarado au Pérou, celle des révolutions en Argentine et
au Brésil, l'espérance en 1985 que les gouvernement latino-américains
se refusent à payer la dette, etc. A Cuba, par exemple, les Zapatistes
jouissent d'une énorme popularité. C'est avec beaucoup de
joie que les gens ont suivi la marche zapatiste pour la dignité
indigène en mars dernier. C'est dans ce sens que nous suivons ce
qui s'est passé à Seattle et depuis lors à Prague,
Nice, Dakar, etc. Car nous voyons bien qu'apparaît sous une forme
nouvelle quelque chose qui pour nous est fondamental: l'internationalisme
au coeur des métropoles capitalistes et impérialistes. |