Droit à la mobilité ici et maintenant!
Le Collectif sans Ticket – Interview

Né il y a deux ans, le Collectif Sans Ticket (CST) nous explique sa démarche, les succès et les obstacles qu’il a rencontrés dans sa lutte pour le droit aux transports. Interview de David.


Issus de collectifs de chômeurs et précaires, les activistes du CST "se déplaçait toujours en se débrouillant, en faisant des caisses collectives." Mais cela devenait difficile de circuler sur le réseau SNCB, "cela nous empêchait de financer des activités et du matériel de diffusion . C’est à ce moment-là que l’on a repris une carte éditée par AC [France] durant le mouvement des chômeurs et précaires en 1997. On l’a mis à notre sauce, on l’a lancé au départ dans notre milieu sans mener un travail direct sur la question du droit au transport". Cette carte était une sorte d’abonnement autonome permettant aux usagers des transports publics de mettre en lumière le problème.

"Dans nos déplacements, il se passait quelque chose avec les contrôleurs. Il y avait tout de même quelques 30% qui allaient d’une compréhension de type "pauvres chômeurs" à celle d’une solidarité effective. Nous, on amenait toujours un discours sur le fait que chômeurs ou travailleurs à la SNCB, on est pris dans des engrenages similaires face auxquels il faut créer des alliances." Suite à ce travail informel provenant de pratiques individuelles, "on s’est dit qu’il fallait aller plus loin: découvrir ces gens, explorer cette entreprise et mener un travail de recherche action. Travail que l’on a commencé l’année dernière et qui nous a mis en contact avec tous les échelons de la SNCB. Travail ayant pour objectif de chercher les manières de réouvrir une parole par le bas avec les travailleurs et les usagers".

Le Collectif a déjà dressé un bilan sur cette intervention spécifique. "On s’est rendu compte des impasses, même si ce travail nous a apporté beaucoup de choses en termes de relais, de formations,… Face à une machine quadrillée comme la SNCB, il nous était difficile d’intervenir tant dans le rapport avec les travailleurs, du fait de leur organisation très figée par les syndicats officiels, que par rapport aux usagers de la SNCB répartis sur un territoire national." C’est pourquoi le collectif a réévalué sa pratique et a décidé d’agir sur un territoire plus direct où ces membres sont des usagers quotidiens.

"A partir de ce moment-là, on a développé un travail spécifique qui se dessine aujourd’hui sous trois modalités:

1° Un travail vis-à-vis des travailleurs de la STIB.

2° L’Assemblée des usagers qui réunit des personnes dispersées sur le territoire et qui permet d’ouvrir un début de contact, de mise en lien, de solidarité effective pour avancer les questions qui nous sont propres.

3° Et les free zones: Depuis deux mois, on essaie grosso modo de mettre en place un dispositif de contrôle des contrôleurs et un système d’information des usagers que les contrôles s’effectuent à tel ou tel endroit. Deux équipes agissent : une volante qui piste les petits bonhommes rouges, une autre, en tunique blanche, qui informe les usagers sur la présence ou non de contrôleurs". En général, beaucoup de gens sourient quand ils assistent à l’intervention des activistes. Certains discutent avec les tuniques blanches ou les remercient de les avoir informé de la présence de contrôleurs. D’autres se demandent si la carte "droit au transport" permet d’échapper aux sanctions financières.

David affirme que le but du collectif, via les actions free zone, est de potentialiser, de donner des contours organisés à la "fraude", de politiser finalement une pratique que le CST n’a pas inventée. Créer une solidarité, une coopération entre les gens. Exemple très concret : si vous quittez le métro et que votre ticket est encore valable, donnez-le à quelqu’un qui compte en acheter un…

A côté de ces trois axes, le collectif mène aussi un travail "pour faire rebondir la question au niveau institutionnel en bossant autour de la modification de l’article 23 de la constitution qui demande un travail de fond et d’analyse sur une cartographie de la mobilité en termes de revenu et de circulation." Approche institutionnelle "dans une perspective de protection et réformatrice du droit".

Les fantasmes de la gratuité

Pour le collectif, la gratuité des transports publics n’est pas une utopie et pour cause: "Le monde salarial classique a une gratuité de fait ou à 60% payé par l’employeur. Pour les travailleurs précaires, cela dépend du travail et/ou de la prestation. Les minimexés et les catégories VIPO, cela vient de sortir à Bruxelles, 300 Fb. Pour les chômeurs, il n’y a aucune intervention de même que pour les sans papiers. Il faut mettre à jour très pragmatiquement, très techniquement ce fait et arrêter de parler en terme de fantasme sur la gratuité. Elle est déjà opérationnelle d’une certaine manière. A la SNCB, les tranches où les trains sont rentables économiquement sont les heures de pointe. Dans ces moments-là, les navetteurs ne mettent pratiquement pas d’argent pour se déplacer."

Un des questions traditionnelles des gens face à cette revendication est celle de savoir qui va payer. A cela, David répond d'abord "qu’au niveau d’un budget national, il suffirait de 12 milliards pour que tous les réseaux soient gratuits ; il pourrait y avoir un impôt mobilité [200 Fb par mois par personne]. Les plus riches paieraient plus et il faudrait faire attention au fait que ce que paient déjà les employeurs ne retombent sur les ménages."

David affirme aussi que "les voitures produisent la plupart des effets négatifs – pollution, embouteillages, nuisances sonores, accidents, coûts en terme de soins de santé -, elles produisent des externalités négatives qui reviennent à des sommes astronomiques pour la collectivité. Si on internalisait ces coûts, il faudrait nous payer pour prendre les transports publics dont la nuisance est très faible." La réduction de ces nuisances ainsi que celles des dépenses consacrées aux fonctions de contrôle et de suivi judiciaire au sein de la STIB compenseraient largement le coût financier de la gratuité.

Pour argumenter encore son combat, le CST prétend que "la gestion de la fraude du point de vue de la STIB est un système purement disciplinaire. Economiquement parlant, elle est parasitaire, elle ne coûte plus qu’elle ne rapporte". Et, en effet, sur un budget de 16 milliards, 12 sont donnés par la Région ou par l’Etat fédéral. 4 sont des rentrées propres. La gestion de la fraude ne rapporte que quelques 200 millions.

Un combat pour le service public

Le combat du CST est aussi celui pour le service public. Mais pas n’importe lequel! "On n’est pas très intéressé par un service public fonctionnant à la papa, à la fordiste, très centralisé, très bureaucratisé où l’information vient d’en haut. On n’est pas intéressé non plus par celui qui tend vers le privé où l’usager est considéré comme un client et dont la fonction se limite à se plaindre des retards.

Pour nous, il s’agit de construire entre ces deux positions un chemin qui ne peut être trop déterminé et qui ne peut se faire que par un mouvement, par un travail incessant d’alliance des usagers et des travailleurs". Le CST se bat pour un service public pouvant se penser de manière plus horizontale, où les luttes sociales, syndicales dépasseraient le catégoriel. Où usagers et travailleurs s’allieraient. A ce propos, David nous dit "qu’à la STIB, il y a une culture plus conflictuelle qu’à la SNCB".

Un combat légitime

Selon le magazine C4 (mars-avril 2000), le coût du voyage a grimpé ces dernières années. Le prix des abonnements "Métro-Tram-Bus" a augmenté de plus de 50% alors que "l’indice des prix" augmentait, lui, de 24%. Cet écart est d’autant plus préoccupant quand on sait que les allocations sociales ne suivent pas cet indice.
Le droit à la mobilité est le socle de l'usage effectif des droits et libertés reconnus par les déclarations des droits de l'homme et relevant parallèlement des droits économiques et sociaux garantis par l'article 23 de la Constitution [document des avocats du CST]. Ce combat, légitime et essentiel, est mis en pratique par le CST par la voie de la "désobéissance civile". A travers leur refus de payer, de nombreuses personnes se sont retrouvés avec des amendes aux sommes pharaoniques. Les membres du collectif ont fait
l’expérience du tribunal de police et de sa "magistrature très réactionnaire et très abêtie". David explique comment ils se sont rendus compte de la manière dont étaient traités les dits fraudeurs [hors CST] faisant l’expérience de la "justice fast food" ou de la justice de classe, rajoute-t-il. Les tribunaux ne sont pas des tribunes politiques, leur a-t-on affirmé. A chaque condamnation pratiquement systématique, ils ont fait appel automatiquement. Ces appels seront regroupés en décembre prochain.

Article basé sur l’interview audio de David : [Ecoutez] ainsi que sur la lecture d’articles du CST: http://www.collectifs.net/