Chapitre 7 jusqu'à la fin 7. Droit d’accès. A. Les O.N.G. L’arrêté royal du 4 mai 1999 stipule que le Ministre et le Directeur général de l’Office des Étrangers ont tout pouvoir de " donner le droit de visiter un ou plusieurs centres à d’autres institutions, organisations ou personnes (…) pour la durée et aux conditions qu’il détermine " (art.46). La décision d’octroi, de refus ou de retrait est totalement arbitraire. Elle ne doit pas être justifiée. Le refus ou le retrait ne peut faire l’objet d’aucun recours ni judiciaire ni administratif. Les associations suivantes ont obtenu le droit d’accès au Centre de Vottem : Amnesty International (dans le cadre de ses mandats), A.P.D. (Aide aux personnes déplacées), Aumônerie des Étrangers, Centre pour l’Égalité des Chances, C.I.R.E., Comité National d’Accueil (C.N.A.), M.R.A.X., Service Jésuite Réfugiés, Service Laïc d’Aide aux personnes, Sürya, une visiteuse de prisons. La Ligue des Droits de l’Homme n’a jamais reçu de réponse à sa demande. Le service Droits des Étrangers de la F.G.T.B. a essuyé un refus. Les O.N.G. qui ont obtenu le droit d’accès peuvent l’exercer librement si elles le désirent : leurs délégués ont le droit d’accès aussi souvent qu’ils le souhaitent, ont accès à tous les bâtiments, y compris les cachots, peuvent parler librement à tous les détenus s’ils le désirent. Il s’agit d’un acquis important qui n’était pas un droit reconnu au départ. Toutefois, en septembre 1999, le directeur a retiré le droit d’accès au Délégué du Service Laïc d’Aide aux personnes au motif que celui-ci avait transmis un courrier critique sur le Centre, courrier publié dans un quotidien et dans un hebdomadaire. Le Service Laïc n’a jamais récupéré le droit d’accès pour une autre personne. L’arrêté royal du 4 mai 1999 n’exige pourtant officiellement la neutralité " à l ‘égard de la politique du gouvernement en matière d’étrangers et de fonctionnement des Centres " qu’aux conseillers moraux et religieux, pas aux représentants d’O.N.G. Notre collectif œuvre à l’élargissement du droit d’accès à d’autres associations. B. Les parlementaires. L’arrêté royal du 4 mai 1999 stipule que le droit d’accès est accordé aux " membres de la Chambre des représentants, du Sénat et des Conseils des Communautés et Régions " (art 43). Ce droit avait été contesté à de nombreuses reprises dans les années précédentes. Bien qu’il soit à présent clairement inscrit dans un arrêté royal, le directeur du Centre de Vottem tente constamment d’en réduire la portée. Les (rares) parlementaires qui se rendent au C.I.V. ont moins de liberté que les O.N.G. : ils doivent annoncer leur visite, ils sont constamment accompagnés par un membre de la direction, ils ne peuvent pas rencontrer tous les détenus (ils doivent dire qui ils viennent rencontrer), etc. L’accès des parlementaires dans les prisons est sans entraves : il devrait l’être aussi dans les Centres fermés. L’accès des Centres fermés aux parlementaires doit être au moins aussi libre que celui des O.N.G. C. Les conseillers moraux et religieux. Un prêtre catholique, un pasteur protestant et un prêtre orthodoxe ont droit d’accès à Vottem. A noter que l’arrêté royal du 4 mai 1999 stipule que les personnes chargées de l’aide morale ou religieuse " se doivent d’adopter dans le cadre de leur assistance une attitude neutre à l’égard de la politique du gouvernement en matière d’étrangers et de fonctionnement des centres " (art 52). En guise de conclusion. Le directeur donne une image rassurante du Centre fermé de Vottem : des conditions matérielles plutôt confortables, un personnel soigneusement sélectionné, un encadrement par des assistants sociaux, éducateurs, psychologue, médecin, bref un lieu convivial et respectueux des droits humains. Loin des débordements de violence et de racisme dont a fait preuve le personnel du Centre de Bruges. Loin des évasions spectaculaires et des révoltes de détenus du Centre 127 bis. Vottem, un centre exemplaire ? Les bâtiments sont certes neufs, fonctionnels et pas du tout surpeuplés. Mais ils sont surtout très similaires au " camp de concentration " : hauts grillages, caméras omniprésentes dehors et dedans, portes blindées, absence de communication entre les ailes. Tout est calculé pour " renforcer la sécurité ", c’est-à-dire pour empêcher les évasions. Les conditions matérielles de vie ne sont pas des plus enviables : la nourriture est de qualité très médiocre, inadaptée à des personnes habituées à des types d’alimentation très différents, elle provoque souvent des problèmes de santé. Les soins médicaux sont de très mauvaise qualité : médecine expéditive, refus de soins spécialisés, ignorance des plaintes, impossibilité de communication entre médecins et détenus, non respect du secret médical. Loin d’être un " lieu convivial ", le Centre de Vottem est un lieu de désespoir total. Les tentatives de suicide sont nombreuses, les automutilations fréquentes. Les détenus sont souvent angoissés, abattus, désespérés, prostrés. Les tensions peuvent être vives. L’absence de révoltes collectives (soulignée par le rapport annuel du C.I.V. de 1999 et dont le directeur est très fier) ne signifie absolument pas que les détenus soient contents de leur sort. Tout est fait pour empêcher la révolte : toute velléité revendicatrice est sanctionnée ; toute infraction au règlement peut entraîner la mise en isolement, le transfert dans un autre centre ou dans une prison ; le " roulement " des détenus est très grand, les problèmes de communication entre eux sont énormes et tout est fait pour qu’ils se connaissent le moins possible ; la précarité de leur situation est extrême. Tout cela rend la résistance difficile. Mais, n’en déplaise au directeur, nous n’avons jamais rencontré de détenu heureux ! Comment qualifier l’attitude du personnel ? Globalement correcte, gentillesse paternaliste, sans débordements de violence ni de racisme ouvert comme à Bruges ou au Centre 127 bis durant les années précédentes. Mais, car il y a surtout des mais :
La " gentillesse " du personnel n’est donc qu’un trompe-l’œil, le paravent d’une violence fondamentale : quelle que soit la plus ou moins bonne ou plus ou moins mauvaise volonté du personnel, ce qui pose problème c’est la fonction même qui lui est attribuée. L’ensemble du personnel (gardiens, mais aussi service social, service médical, éducateurs, psychologue) est entièrement au service d’un seul but : l’expulsion. Son rôle est de convaincre les détenus qu’ils doivent se soumettre à l’incarcération et à l’expulsion. Ce n’est donc pas par hasard qu’aucune énergie n’est apportée à récupérer des bagages ou de l’argent dû par un C.P.A.S. , à préparer une libération, à protéger des mineurs ou des victimes de la traite des êtres humains : c’est la logique même du Centre fermé au service d’une politique d’expulsion. Le pouvoir de décision du directeur est énorme et totalement arbitraire dans différents domaines : le droit de visite, le droit d’accès des O.N.G., la mise en isolement, le transfert vers un autre Centre fermé ou vers une prison. Le directeur décide de beaucoup de choses et aucun recours n’est possible contre ses décisions. L’assistance juridique est soumise à d’énormes entraves : la langue, l’accès au dossier, la possibilité de déposer plainte valablement devant les tribunaux,... Les victimes de la traite des êtres humains (prostitution, travail forcé, passages onéreux et dangereux,…) ne sont pas protégées. Elles sont la plupart du temps incarcérées dans les Centres fermés au lieu d’être mises en contact avec les Centres spécialisés. L’application de la procédure prévue par la circulaire de 1997 aux personnes incarcérées pose problème. Souvent, les personnes ne peuvent être libérées que si elles acceptent de faire des déclarations. Ce qui veut dire que la première phase, dite " phase de réflexion " se passe dans le Centre fermé et non dans un Centre spécialisé, et que ces personnes restent enfermées et risquent le rapatriement si elles craignent de faire des déclarations par peur de représailles. La détention des victimes les fragilise encore plus. Seule une petite partie des victimes détenues dans les Centres fermés arrive à obtenir un droit au séjour et une réparation, si petite soit-elle, par rapport à la violence et à l’exploitation subies. L’incarcération des victimes en vue de leur assurer une protection est une hypocrisie totale. La violence est terrible lors des expulsions. Malgré cela, beaucoup de détenus résistent, mais ils savent qu’ils prennent des risques importants. Faire revenir au Centre de Vottem un détenu gravement blessé par les gendarmes lors d’une tentative de rapatriement est une bonne tactique pour inciter à la soumission. A l’inverse, transférer un détenu dans un autre Centre fermé après une résistance réussie à son expulsion est un bon moyen de ne pas " donner des idées " aux autres. En ce sens, la mort de Sémira a bien servi l’Office des Étrangers : faire peur. En ce sens aussi les blessures graves infligées lors d’expulsions servent bien l’Office des étrangers : faire peur. L’ensemble des informations que nous avons recueillies sur le Centre fermé de Vottem depuis sa mise en fonction et l’analyse que nous en faisons nous confirme dans la conviction que ce lieu est, comme les autres Centres fermés, une prison où la violence est quotidienne, un camp de détention où l’arbitraire est aux commandes. L’ensemble de ces éléments nous confirme aussi dans la conviction que la poursuite de l’action de notre collectif est une nécessité absolue. Notre position est et reste l’exigence de la suppression des Centres fermés. Pour nous, supprimer les Centres fermés est et reste une exigence minimale. Parce que cette revendication doit se placer dans un ensemble de revendications globales :
La lutte quotidienne acharnée de notre Collectif se place dans la perspective de la suppression pure et simple des centres fermés et d’une modification fondamentale de la politique qui les sous-tend. Les centres fermés sont l’aspect le plus visible d’une politique qui criminalise les étrangers et qui ne peut donc que profiter à l’Extrême Droite. C’est vrai en Belgique comme dans l’ensemble des pays européens. De l’intérieur du Centre fermé, en réponse aux manifestants qui scandaient " Libérez les prisonniers ", un détenu russe crie : " Ici ce n’est pas une prison. Aucun d’entre nous n’a commis de délit, ici c’est un camp ". Je m’appelle A. K., je suis éthiopien et actuellement détenu au Centre fermé de Vottem. J’ai quitté mon pays pour échapper à la mort. J’ai vécu dans différents pays africains avant de prendre l’avion au Cameroun pour arriver en Belgique. Ce que je voulais, c’était demander l’asile en Angleterre, puisque je parle un peu anglais. Pour ne pas être renvoyé directement en Afrique, j’ai fait une demande d’asile en Belgique. Depuis que je suis ici je n’ai connu que les Centres fermés. Avant Vottem, j’étais enfermé à Bruges. Pendant mes interrogatoires je n’ai jamais eu d’interprète, j’ai toujours dû me débrouiller avec le peu d’anglais que je connais, c’est pour çà que l’on m’a déclaré de nationalité érythréenne alors que je suis Éthiopien. L’Office des Étrangers veut m’expulser vers le Cameroun, mais je ne connais personne là-bas. Et ce n’est pas avec les 500 F qui me restent que je vais pouvoir aller dans un autre pays africain et encore moins arriver à vivre au Cameroun. Quant à l’Éthiopie, il n’est pas question pour moi d’y retourner maintenant, c’est la mort qui m’attend là-bas. Quatre fois on a voulu m’expulser, la première en février et la dernière le 20 mai. Lors de cette dernière, quand je me suis rebellé pour attirer l’attention du Commandant de bord, les gendarmes ont été très violents. J’ai eu le tympan perforé et des brûlures aux bras et aux jambes où j’avais mes liens. (ndlr. Le 03 juin, cinquième tentative d’expulsion. Il faut noter que ces deux dernières expulsions ont été empêchées entre autre grâce à l’intervention des passagers avertis par quelques militants du CR.A.C.P.E. et du Collectif contre les Expulsions présents à Zaventem. Il faut avoir que lors de cette tentative d’expulsion, Monsieur K. était toujours sous antibiotiques pour son problème de tympan perforé. Il ne pouvait donc prendre sans risques et sans précautions particulières l’avion. Or le service médical du Centre Fermé de Vottem a laissé faire.) " Retourner en Roumanie serait pour moi une réelle condamnation à la disparition physique. Je soumets mon cas à votre examen, et je ne peux douter que vous comprendrez l’impossibilité dans laquelle je me trouve de rentrer dans ce pays qui persécute de la manière la plus flagrante l’ethnie tzigane. Je sais qu’il y a eu des centaines de milliers de mes congénères tués pendant la dernière guerre. Faut-il que ceux qui –comme nous- arrivés une génération après, en souffrions encore ? Je vous demande instamment votre aide et votre compréhension. Comme vous le voyez, nous ne demandions rien qui fut exagéré. Nous voulions simplement une vie digne. Or, non seulement le nouveau pouvoir n’a jamais accepté de céder à des demandes si " exagérées "mais, comme il a été écrit plus haut, a commencé à nous massacrer. Nous faisons donc partie des organisateurs de plusieurs manifestations de protestation. C’est pourquoi nous avons tous été arrêtés et torturés à plusieurs reprises et lors des incarcérations par les bourreaux de la Securitate au mois de septembre 1990 et janvier 1991. Nous pourrions vous remettre tout un catalogue du système de torture de la Securitate : la manière dont ils frappent la plante des pieds à travers les chaussures pour que les pieds gonflent ; la torture à l’électricité, la planche et la brique, sans oublier, outre ses " spécialités " locales, les doigts coincés dans une porte, les coups, insultes et humiliations. Nous les avons toutes subies. Pourtant, nous avons décidé de résister, considérant avoir des responsabilités envers notre ethnie. Cependant, de temps en temps, les autorités roumaines font des exemples pour se créer une façade de respect de la Loi. En d’autres termes, ils font des procès publics sous des prétextes plus invraisemblables de manière à ce que les tziganes, tout comme les opposants, sachent bien qu’ils n’ont rien à attendre de la part de la Loi. Lorsque nous avons quitté la Roumanie pour nous enfuir en France, nous étions menacés d’un procès pour soi disant " incitation à la haine raciale anti-roumaine et tentative de déstabilisation de la Roumanie en liaison avec une organisation internationale ". Si cette organisation est la conférence tzigane qui a eu lieu à Vienne , tout ce qu’on peut en dire, c’est qu’elle a essayé, vainement d’ailleurs, d’alerter les médias. En aucun cas, elle n’est intervenue dans la politique intérieure roumaine. Nous risquions de mourir innocents. Si nous avons fui, c’est également parce que nous avons perdu nos dernières illusions. Ce procès, prouvant la manipulation de la Loi, le manque d’indépendance des magistrats soumis au pouvoir jusqu’au crime, nous a montré définitivement que nous avons affaire à un état de fait et non de droit dans lequel l’état actuel des choses durera tant que durera la dictature. Ceci (le Centre pour illégaux) est en réalité une vraie prison. Ce sont deux femmes qui vous écrivent cette lettre. Voici les évènements récents : Quand nous sommes venues pour répondre après une première interview au Commissariat (Bruxelles) dans l’après-midi, nous avons obtenu une réponse négative et les policiers nous emmenèrent au Centre. Pourquoi ? Depuis décembre nous vivions dans la ville d’Anvers, dans un studio qui avait un contrat officiel. De février à mars, nous sommes allées à l’école de néerlandais. En juillet s’ouvrait à l’université (U.F.S.I.A.) la faculté des langues.Une vie comme la nôtre s’adapte à ces choses à un minimum social de 14.000 f. Dans ce but (pour ce faire) nous nous sommes inscrites à la bourse du travail (V.D.A.B.) FOREM, nous avons une carte de sécurité sociale et une assurance médicale. Tout cela s’est brusquement brisé après nous avoir arrêtées et enfermées. Est-ce seulement parce que nous avons reçu une première réponse négative ? Pourquoi cela est-il ainsi ? Nous avons de la prison envoyé un appel (interjeté appel). Nous espérons que cette méthode nous amènera à la liberté. Nous espérons votre aide et une réponse. Merci beaucoup à vous. D. et E. Je suis de Sierra-Leone. Je n'ai plus ni père ni mère. Nous étions 8 enfants, soit une famille de 10 personnes avec mon père et ma mère. J'ai perdu mes père et mère le 6 janvier 1999. Cela s'est passé l'année dernière, quand les rebelles ont attaqué notre maison la nuit, alors que toute la famille dormait, à l'exception d'une de mes sœurs qui n'était pas à la maison. Ce jour-là les rebelles ont d'abord tué nos parents en notre présence. Alors que nous pleurions, ils nous ont poussés à l'intérieur de la maison. Nous étions 6 garçons et une petite fille, la dernière-née de ma mère. Nous étions 7 enfants; ils ont fermé la porte et ont mis le feu à la maison. Alors que la maison brûlait, j'ai réussi à m'en extraire par la porte de derrière, ne sachant pas que les rebelles étaient toujours là autour. Ils m'ont touché d'une balle à la jambe et je suis tombé. Ils sont venus à moi, où j'étais tombé, ont utilisé leur couteau et m'ont coupé à la tête, sur mon visage et sur tout le corps . Ils ont eu l'impression qu'ils m'avaient tué, m'ont laissé et sont partis. Je suis resté couché là par terre jusqu'à deux jours plus tard, quand les travailleurs du H.C.R. des Nations Unies sont venus dans notre village pour voir ce que les rebelles avaient fait. Ils m'ont vu et m'ont emmené d'urgence à l'hôpital. Après que je sois resté environ 7 semaines à l'hôpital, ils sont venus et m'ont emmené dans un camp de réfugiés (le camp de Blama). Il y avait aussi là-bas un docteur qui me soignait pour les blessures que j'avais gardées sur mon corps. J'étais dans ce camp où des gens arrivaient chaque jour... A un moment donné, il n' y avait plus assez de nourriture, ni de médicaments; et les gens arrivaient de plus en plus nombreux. Un jour j'ai décidé de partir vers un autre endroit, juste pour sauver ma vie. Avec l'aide de Dieu, grâce à un frère, j'ai pu me retrouver ici en Belgique. Le jour où je suis arrivé à l'aéroport à Bruxelles, la police m'a demandé qui j'étais. Je le leur ai dit et ils m'ont pris ma carte d'identité de citoyen sierra-léonais et le papier que le H.C.R. des Nations Unies m'avait donné au camp, attestant que j'étais un réfugié de Sierra Leone. Après cela ils m'ont emmené au Centre de transit 127 où je suis resté quatre jours. Ils m'ont donné une lettre dans laquelle ils me disaient de me préparer à répondre aux questions qu'ils allaient me poser le jour suivant. Ce jour-là, ils m'ont posé beaucoup de questions et j'y ai répondu. Ils m'ont demandé de dessiner une carte de Sierra Leone et de mentionner la rue principale à Freetown. Je leur ai dit que je ne savais pas comment dessiner la carte et que je ne pouvais pas la dessiner parce que je n'avais pas été à l'école secondaire. Je n'ai même pas fini l'école primaire avant que la guerre ne commence. Cinq jours plus tard, ils m'ont dit qu'ils ne pouvaient pas me donner l'asile ici en Belgique parce que personne ne voulait me tuer dans mon pays, que j'avais fui mon pays simplement à cause de la guerre, qu'ils donnaient l'asile à des gens qui se battent dans leur pays et à quelqu'un que le gouvernement veut tuer. Ce jour- là, ils m'ont emmené sous escorte à l'aéroport et m'ont forcé à entrer dans l'avion pour retourner dans mon pays. J'ai refusé et je leur ai dit que ce n'était pas facile pour moi de retourner à cause de la guerre dans mon pays. Ils m'ont emmené à la prison (Centre fermé) de Bruges où je suis resté 18 jours. Ils m'ont emmené à l'aéroport à la manière forte, m'ont lié les jambes avec une corde. Il y avait quatre hommes ce jour-là et j'ai dit que si je retournais dans mon pays, j'allais mourir, donc que je ne voulais pas retourner. Après m'avoir puni à l'aéroport, ils m'emmenèrent à un autre centre, Merksplas. Je suis resté là à souffrir pendant 9 jours. Un jour j'ai été voir l'assistant social et lui ai demandé de me dire pourquoi j'étais dans ce Centre, il m'a dit que je resterais dans ce Centre jusqu'au jour où la Belgique prendra la décision de me renvoyer dans mon pays avec escorte, puis que je ne veux pas retourner de moi-même. Un jour, j'ai décidé de mourir ici. J'ai décidé de me tuer une nuit où tout le monde dans le dortoir dormait. Je suis allé aux toilettes; j'ai mis ma tête à l'intérieur de la toilette et ai monté mes deux jambes par-dessus. C'est alors qu'un des gardiens est venu pour donner un médicament à quelqu'un et s'est rendu compte de ce qui se passait. Après cela, ils m'ont emmené dormir avec eux. Le jour suivant, ils m'ont emmené au Centre de Vottem... (où le C.R.A.C.P.E. m' a rencontré et a parlé un peu avec moi). S'il vous plaît, j'ai besoin d'un parrain ou d'une marraine. Je n'ai personne ici en Belgique, à part mon Dieu. Je suis très, très content pour la carte de téléphone que vous (C.R.A.C.P.E.) m'avez envoyée. Je l'utiliserai pour vous téléphoner à votre bureau quand vous aurez reçu ma lettre. S'il vous plaît, j'ai besoin de votre aide. G. M. " C’est avec le cœur serré que je vous écris cette note, afin de vous remercier pour tous les bons documents dont vous m’avez fait profiter. Sachez que je n’oublierai jamais votre bienfait. Souvent je me demande si la seule mauvaise chose que j’ai eu à faire de ma vie n’était pas de militer pour Les Droits de l’Homme dans le R.P.G. de mon pays ou bien c’est d’avoir fuit de mon pays avec un faux document. Au cas où il m’arriverait quelque chose, ce que je ne souhaite pas, je vous laisse l’adresse de mes parents, ils sauront vous informer de mon devenir. " A. C. Les conditions carcérales ne sont pas vraiment difficiles mais ce qui est insupportable, c’est d’être enfermé. Donc c’est la liberté qui me manque. Liberté en légitimité. Parce que personne ne pourra me convaincre que je suis coupable (puisque je suis privé de liberté) ni d’un point de vue moral, ni éthique, ni aucun autre point, que légal. B. - Annexe 1 - - Annexe 2 - La procédure d’examen du statut de réfugié en Belgique. Le statut de réfugié O.N.U. est réglé par la Convention de Genève. Cette Convention donne une définition très large mais aussi très vague du réfugié. Chaque pays ayant ratifié la Convention organise comme il le veut la procédure de l’examen du statut de réfugié. Une limite fondamentale de la Convention de Genève réside dans le fait que le réfugié doit prouver qu’il a été personnellement persécuté. Être Rom en Slovaquie, journaliste démocrate en Algérie, Sierra Léonais fuyant la guerre, ou encore Kurde dans le Sud-Est turc n’est pas suffisant. La Convention de Genève ne prévoit pas de statut collectif. Il n’aurait donc pas été suffisant d’être Juif fuyant l’Allemagne nazie pour être considéré comme réfugié au sens de la Convention de Genève. La plupart des réfugiés dans le monde fuient des guerres, des violations généralisées des droits de l’homme, des persécutions massives. Mais toutes ces raisons ne sont pas reprises dans la définition de la Convention de Genève. La procédure d’examen du statut de réfugié se fait en Belgique en trois étapes. La détermination de l’État responsable de l’examen de la demande d’asile est réglée par la Convention de Dublin à laquelle tous les pays européens ont adhéré. Selon cette convention, l’État responsable est soit celui qui a délivré le visa, soit celui par lequel le demandeur d’asile " non porteur " d’un visa est entré dans l’espace Schengen. Ces dispositions posent plusieurs problèmes : les membres d’une même famille se voient souvent attribuer des États responsables différents ; le demandeur d’asile n’a pas le libre choix du pays où il introduit sa demande. Le demandeur d’asile peut être incarcéré à Vottem et dans les autres Centres fermés pendant l’examen de l’État responsable. Si la Belgique se déclare responsable, le réfugié a accès à la procédure d’asile. Sinon, il est reconduit à la frontière de l’État responsable. La recevabilité de la demande est examinée par un fonctionnaire de l’Office des Étrangers. Ce premier entretien sert de base pour toute la suite de la procédure. Or il est, la plupart du temps, expéditif, sans la présence d’un avocat et avec d’énormes problèmes de traductions de langues. Le PV écrit de cet entretien n’est pas transmis au demandeur d’asile qui doit pourtant le signer. Plus de 90% des demandes sont jugées irrecevables parce que " manifestement non fondées ". En quelques minutes d’entretien, un fonctionnaire peut refuser au demandeur d’asile le droit à l’examen même de sa demande. Le réfugié dont la demande est jugée irrecevable, peut introduire une recours au C.G.R.A. (Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides). Il peut être incarcéré pendant toute la durée ce recours. Il est particulièrement difficile aux étrangers détenus à Vottem de constituer valablement un dossier pour étayer leur recours : impossibilité de rassembler des documents, de contacter des compatriotes, de disposer d’interprètes suffisamment compétents et disponibles, etc. Si le réfugié gagne le recours urgent, il est libéré et sa demande est examinée au fond. L’examen au fond est fait par le C.G.R.A., organisme indépendant. Même si l’examen y est plus approfondi que dans la phase de recevabilité, l’ensemble de la procédure peut être caractérisé par ce que les juristes appellent le renversement de la charge de la preuve. C’est le réfugié qui doit démontrer qu’il a été ou qu’il risque d’être persécuté, ce n’est pas l’O.E. ou le C.G.R.A. qui doit démontrer que la demande est sans fondement. Toute déclaration du demandeur d’asile est considérée comme suspecte, toute demande est considérée comme potentiellement abusive. Tout réfugié est suspecté d’abuser du droit d’asile pour contourner l’arrêt de l’immigration. Le C.G.R.A. peut accorder ou refuser le statut de réfugié. S’il refuse le statut, le demandeur d’asile peut introduire un recours auprès de la C.P.R.R. (Commission Permanente de Recours des Réfugiés). - Annexe 3 - - Annexe 4 - - Annexe 5 - Collectif de résistance aux centres pour étrangers (Liège) LE REGLEMENT APPLICABLE AUX CENTRES FERMES POUR ETRANGERS : CONTENU ET ANALYSE Un arrêté royal " fixant le régime et les règles de fonctionnement applicables aux lieux situés sur le territoire belge, gérés par l’Office des étrangers, où un étranger est détenu, mis à la disposition du Gouvernement ou maintenu, en application des dispositions citées dans l’article 74 /8, §1er de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers " a été signé le 4 mai 1999. Cet arrêté royal remplace le " Règlement fixant les règles de vie dans les centres fermés " élaboré par le Ministère de l’Intérieur. Ce règlement était très confidentiel jusqu’à ce qu’il soit diffusé par notre Collectif. Il n’avait aucune valeur légale. L’arrêté royal du 4 mai 1999 s’applique à tous les centres fermés (127, 127bis, Bruges, Merxplas, Vottem). Seuls deux articles ne sont pas applicables au centre 127 (les articles 35 et 36 concernant les visites).
N.B. Il y a gradation dans les sanctions énumérées à l’article 90. Par exemple, le refus d’effectuer les corvées entraîne la suppression des " avantages ". Trois infractions même mineures au règlement entraîne le placement en cellule d’isolement. La mise en cellule d’isolement est préconisée en cas de maladie, à titre de sanction, ou encore préalablement à l’expulsion. Il est explicitement prévu de mettre en isolement les " occupants présentant un risque sérieux de suicide " (art 106). Le détenu mis en isolement doit recevoir quotidiennement la visite du médecin et du service social. Des " normes " d’équipement de la cellule d’isolement sont fixées : " le local d’isolation doit comprendre au minimum un matelas, un nécessaire de toilette et un système d’appel permettant à l’occupant d’appeler un membre du personnel " (art 94). Normes minimales s’il en est ! Attention : tous ces " avantages " peuvent être retirés ou refusés s’il y a des "indices sérieux (… de ) danger pour la sécurité nationale, la sécurité publique ou l’ordre public, la prévention de faits délictueux, la protection sanitaire ou des bonnes mœurs, la protection des droits et libertés d’autrui, la protection de la sécurité du centre ". aux membres de la Chambre des représentants, du Sénat et (ceci est nouveau) des Conseils des Communautés et Régions (art 43). L’accès est autorisé entre 8 et 19 heures. au bourgmestre et au gouverneur de province compétent pour le territoire sur lequel est situé le centre (art 44) à la Commission européenne pour les Droits de l’Homme, au Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants, au Centre pour l’Egalité des Chances et la Lutte contre le Racisme (art 45) Le " Règlement général fixant les règles de vie dans les centres fermés " spécifiait quelles ONG pouvaient solliciter le droit d’accès. La formulation ambiguë permettait des interprétations différentes, plus ou moins restrictives. L’interprétation la plus restrictive a été utilisée quand notre Collectif s’est organisé pour que les ONG concernées sollicitent réellement le droit d’accès. Avec l’arrêté royal du 4 mai, les choses se corsent : le Ministre et le Directeur général de l’Office des étrangers ont tout pouvoir de "donner le droit de visiter un ou plusieurs centres à d’autres institutions, organisations ou personnes (…) pour la durée et aux conditions qu’il détermine " (art 46). Si le Ministre a tout pouvoir de le donner, il a aussi tout pouvoir de le refuser. Ce droit de visite peut s’exercer entre 8 et 19 heures. Aucun recours contre un refus n’est possible. Chaque détenu doit être mis au courant de la possibilité de faire appel à un avocat. L’avocat peut téléphoner au détenu, le détenu peut téléphoner gratuitement à l’avocat. L’avocat doit disposer d’un local séparé pour recevoir son client. Il a accès au Centre de 8 à 22 heures. (art 31) Le règlement interne du centre doit être remis au détenu. Celui-ci peut consulter le Règlement général s’il en fait la demande. Le détenu peut faire appel au médecin de son choix, à ses propres frais. Il doit en aviser le médecin du centre. Dans ce cas, les médicaments et le traitement sont à sa charge (art 54). Le médecin du centre et lui seul peut formuler des objections médicales quant à l’éloignement d’un détenu ; ces objections sont transmises au Ministre ou à son délégué. (art 62) L’ensemble du Règlement s’applique aussi aux mineurs d’âge. Aucune disposition particulière n’est prévue, hormis ceci : " S’il y a des mineurs dans le centre, une infrastructure doit également être mise à leur disposition de manière à ce qu’ils puissent se délasser " (art 79). Ce risque est traité dans un paragraphe à part, au même titre que l’incendie et l’alerte à la bombe." Les occupants présentant un risque sérieux de suicide peuvent être isolés de leur groupe. Ils sont isolés de leur groupe. Ils sont régulièrement contrôlés par le personnel du centre et étroitement suivis par les services médical et social " (art 106). Une Commission chargée de la "surveillance permanente de la qualité du séjour dans les centres " est instituée. Elle est présidée par un magistrat et composée de 4 membres : deux représentants de l’Office des étrangers et deux représentants du Centre pour l’Egalité des chances et la Lutte contre le Racisme " (art 121). Un rapport annuel de chaque centre fermé sera transmis à cette Commission. " Chaque occupant a le droit de parler au directeur de centre ou à son remplaçant. Il doit en faire la demande au service social. " (art 120) " Le personnel du centre n’entretient avec les occupants que les contacts nécessaires à l’exécution de sa mission. Une attitude professionnelle est exigée de manière permanente " (art 7). Ce point ne figurait pas dans le Règlement antérieur. Il existe un règlement applicable au personnel des centres fermés dont il n’est pas dit jusqu’à présent s’il va être modifié ou non. " Elles se doivent d’adopter dans le cadre de leur assistance une attitude neutre à l’égard de la politique du gouvernement en matière d’étrangers et de fonctionnement des centres " (art 52). Le Conseil des ministres du 4.10.98 consécutif à l’assassinat de Sémira Adamu a pris un série de décisions censées "humaniser " les expulsions et les centres fermés, censées aussi rendre les décisions plus transparentes. Parmi ces mesures figurait l’engagement de donner un cadre légal aux règles de fonctionnement des centres fermés par le biais d’un arrêté royal. Cet arrêté royal n’humanise rien, au contraire. Les mesures répressives sont maintenues et accentuées. L’arbitraire reste aux commandes. Les centres fermés sont et resteront des lieux clos sans contrôle extérieur réel. Ils resteront des lieux clos où la violence pourra continuer à s’exercer quotidiennement dans l’impunité. Et une fois de plus, le Parlement est hors jeu. Le projet d’arrêté royal existe depuis près d’un an. Il n’a été soumis ni au Parlement ni même à aucune commission parlementaire. Les partis de la majorité ont versé des larmes de crocodile après la mort de Semira. Ils poursuivent de plus belle la politique qui a causé directement cette mort. 4.6.99. Collectif de résistance aux centres pour étrangers (CRACPE Liège) - Annexe 6 - Vottem : Un médecin démissionne et accuse. Ginette Marchant était l’un des deux médecins du Centre fermé de Vottem, inauguré en mars 1999. Après onze mois, elle vient de démissionner et lance un appel au Centre pour l’Égalité des Chances. Afin que s’ouvre un débat sur l’indépendance médicale et le respect de l’éthique de sa profession dans les Centres fermés. " Ces règles déontologiques sont incompatibles ", écrit-elle, " avec les injonctions du Ministère de l’intérieur pour lequel tout employé du Centre, y compris le médecin a pour mission première de convaincre les " résidents " de se laisser rapatrier ". Elle part parce qu’il lui est impossible de faire son travail, parce que ne lui sont permis que les soins d’urgence, parce que la répression s’accroît dans le Centre. Elle part, décidée à dénoncer publiquement le fonctionnement d’un univers clairement carcéral. Son témoignage est accablant. Il nous permet de découvrir aussi un aspect encore caché des Centres fermés : on y écroue aussi des Belges et des ressortissants d’autres pays européens. Le docteur Marchant explique d’abord le mensonge de l’image rassurante, voire sociale, que le Ministère de l’Intérieur s’applique à donner du Centre fermé pour Illégaux de Vottem. " Lors du recrutement, c’est le directeur qui interviewait les candidats. Il faisait attention à ne pas choisir des gens qui avaient des opinions racistes, que certains émettaient clairement. Il fallait une belle image, une image sociale. Je correspondais à cette étiquette parce que j’avais travaillé dans l’humanitaire et que je suis une femme. Quand il m’a recrutée, il m’a expliqué qu’il voulait travailler à ce que les gens soient bien. L’autre médecin – puisqu’il s’agissait de deux mi-temps – a été choisi parce qu’il est métis ". Un vernis qui ne résiste pas longtemps à la réalité et aux exigences de l’employeur. " Tout va à l’encontre du soi-disant but social. On prétend qu’on donne des formations aux " résidents " pour les aider à partir. Sur les onze mois que j’ai passé là-bas, je n’ai jamais vu qu’on formait quelqu’un à quoi que ce soit. Il y a des détenus qui y passaient huit mois et qui ne parlaient toujours pas français. Et puis, le psychologue est rattaché à la direction et fait de l’administratif, les assistantes sociales doivent encourager les gens à partir et les médecins aussi ! C’est schizophrénique d’abord pour les détenus et aussi pour le personnel. Les agents disciplinaires se font engueuler par leurs collègues plus " sociaux " et vice-versa. Tout le monde surveille tout le monde et on se ment tous ". Un vécu que partage un autre ancien employé du Centre, qui ne se risque pas encore à parler à découvert. " J’ai été clairement engagé pour mon profil social et puis on m’a mis un uniforme et des menottes en me demandant de jouer les gendarmes. L’aspect social était complètement ignoré et de toute façon, entre ouvrir les portes, fermer les portes, compter les résidents… On n'avait pas le temps. L’agent de sécurité est traité aussi mal que les résidents par la direction. On est partagé entre le règlement et ce qu’on nous demande réellement de faire et c’est très schizophrénique. Si on fait trop de social et pas assez de sécurité on est appelé dans le bureau du directeur. Si on fait l’inverse on reçoit des notes de service ! Et il nous interdit de parler à l’extérieur, ce qui accentue les tensions ". Madame Marchant affirme clairement qu’un Centre fermé est une prison. Le leitmotiv est la sécurité, on y est surveillé sans cesse par des caméras et des gardiens en uniforme, le fonctionnement est basé sur la répression et l’infantilisation, les " résidents " y sont traités comme s’ils avaient commis des délits et comme des " fauteurs de troubles potentiels ". " Les détenus doivent prendre leur douche de 8h30 à 9h00, après on coupe l’eau chaude " raconte-t-elle, " les préaux sont accessibles de 9h00 à 10h00 sous le prétexte qu’il n’y a pas assez d’argent pour les y laisser plus. Cette " promenade " est obligatoire. Ceux qui ne veulent pas y aller doivent recevoir un mot du médecin, les contacts entre détenus hommes et femmes sont interdits, ils ne peuvent se parler qu’à travers les grilles, ils ne peuvent pas avoir de briquet. Dès lors, ceux qui fument doivent sans cesse demander du feu aux gardiens, il n’y a pas de miroirs, tous les couverts sont en plastique, les repas se prennent de 12h00 à 13h30 et s’ils ont faim après, tant pis. S’ils mettent de la nourriture dans leurs casiers, elle est confisquée, ils sont fouillés après chaque visite, des fouilles sont régulièrement organisées dans les chambres, leurs produits de beauté sont confisqués… J’ai dû me battre pour des choses incroyables. A leur arrivée au centre, ils passent obligatoirement à la douche puis chez le médecin et on m’amenait en slip des gens qui venaient de débarquer et qui ne comprenaient pas ce qui leur arrivait. On veut donner une image sociale de ces Centres alors que ce sont des lieux pénitentiaires ! ". La violence est là, dès le premier jour. Une violence essentiellement psychique qui fait rapidement se multiplier les tentatives de suicides et autres " accidents ". Une des préoccupations primordiales dans le Centre devient d’éviter qu’un détenu n’y meure. " Ca a commencé tout de suite dans la violence, les détenus n’acceptent pas d’être enfermés et ils ne comprennent pas pourquoi ils le sont puisqu’ils n’ont rien fait. La discipline est devenue de plus en plus stricte parce qu’il y a eu de plus en plus d’accidents. Un des premiers détenus, un Ukrainien, s’est tailladé les veines à son arrivée. Puis il a fait la grève de la faim. Il résistait sans manger et sans boire, il était entraîné militairement. On a fait des prises de sang, son urée montait. J’ai refusé de le perfuser de force, on l’a alors envoyé à l’hôpital de Saint-Gilles puis en prison. Les détenus ont été de plus en plus surveillés pour éviter toute tentative de suicide ou de rébellion ". Le docteur Marchant souligne plus particulièrement la détresse des " transits ", des personnes arrêtées à l’aéroport où elles faisaient escale vers un autre pays où les attendaient famille ou amis. " Au mois d’octobre 1999, il y a eu de gros problèmes de suicides, un s’est ébouillanté, un autre s’est coupé les veines, un autre a arrêté de manger… C’étaient des " transits ". Leur situation est peut-être la pire. Ces gens sont attendus ailleurs et ils se font arrêter par la police qui trouve que leurs passeports sont un peu bizarres. Ils se retrouvent à Vottem sans rien comprendre, s’est horrible ! La plupart sont des Africains, de pays très pauvres, ils se font cueillir à Zaventem simplement parce qu’ils sont noirs. Je me rappelle une vieille somalienne qui allait vers Londres où toute sa famille l’attendait. Les gendarmes l’ont arrêtée à Zaventem. Elle ne parlait aucune langue dans laquelle on aurait pu communiquer. En plus, elle était aveugle. Elle avait des vertiges et quand je lui ai fait une prise de sang, on s’est rendu compte qu’elle était diabétique. L’Office des Étrangers l’a libérée de suite, avec un ordre de quitter le territoire ! Mon collègue l’a fait hospitaliser d’urgence parce qu’elle risquait un coma. Elle a passé quinze jours à l’hôpital, puis elle est repartie. Tout çà pour quoi ? ". En tant que médecin, G. Marchant dénonce les violations de l’éthique médicale inhérentes, dit-elle, au statut de fonctionnaire de l’Office des Étrangers. Les seuls soins permis sont des soins de base, relevant de l’aide médicale urgente. Les soins " de confort " sont prohibés, le secret médical n’est pas respecté et l’isolement médical est utilisé à des fins punitives. " Au Centre ", raconte-t-elle, " on avait que l’équipement nécessaire à une médecine générale. Pour des radios, des soins dentaires… Il fallait envoyer les gens à l’hôpital et je ne pouvais le faire que si leur cas répondait à l’aide médicale urgente. Ils ne se préoccupent absolument pas de la santé des personnes. Si j’obtenais un rendez-vous chez un spécialiste pour un détenu malade et qu’ils arrivaient à l’expulser entre-temps, le rendez-vous sautait, sans scrupule. J’étais une des seules à qui les gens pouvaient parler. Ils venaient souvent me voir, mais les conversations étaient limitées puisque je n’étais jamais seule. En plus, on ne respecte pas le secret médical. Il y avait des réunions de service tous les jours où l’on devait donner l’état de santé des détenus. La santé mentale des personnes n’est absolument pas prise en compte. Dans le bâtiment médical il y a quatre cellules d’isolement où on enferme les détenus quand ils vont trop mal, pour les surveiller. Parfois j’estimais que médicalement, la personne pouvait regagner le groupe mais la direction refusait parce qu’elle devait être punie de son acte ! On répond au désespoir par la répression ". Ginette Marchant refuse d’obéir à l’Office des Étrangers et d’encourager les détenus à se laisser expulser. Cela lui vaudra une convocation devant les inspecteurs des Centres fermés. " Ils m’ont reproché de dire aux détenus que je pouvais les faire évader en les envoyant à l’hôpital. C’est vrai que j’aurais pu, mais je ne l’ai jamais fait, même si c’était dur. Le deuxième grief était que je n’encourageais pas les gens à monter dans l’avion. Cela, je l’ai reconnu. Or, quand on travaille dans un Centre, on est tous censés aller dans une même direction, favoriser le départ. Moi je les mettais au courrant de leurs droits, c’est-à-dire qu’ils pouvaient refuser de monter dans l’avion. Là, les inspecteurs étaient très fâchés, ils m’ont reproché de ne pas collaborer. Faire ce qu’on me demandait, les encourager à partir, était renforcer leur désespoir, ce que je ne pouvais pas en tant que médecin. Alors j’ai démissionné ". Un autre médecin confirme… Les violations de l’éthique médicale sont confirmées par le docteur Radoux, médecin généraliste qui a visité 3 détenus de Vottem. L’accès à des médecins extérieurs est théoriquement prévu par l’arrêté Royal qui fixe les conditions de vie dans les Centres. En pratique, l’accès à un médecin indépendant est rendu presque impossible. " Les démarches pour accéder au patient sont très lourdes ", raconte Danièle Radoux. " Je suis allée à Vottem 3 fois et ça a été chaque fois différent. Le " résident ", comme ils disent, doit faire une demande au directeur en nommant clairement le médecin qui va venir le voir. Quand j’ai été avertie par le patient, j’ai envoyé un fax au directeur en demandant l’accès et j’ai attendu 2 jours avant d’avoir une réponse. Quand je l’ai reçue, je suis allée au centre et j’ai été mise en rapport avec un des médecins qui m’a transmis le dossier du patient. J’étais appelée par un diabétique qui estimait qu’il n’était pas soigné de façon adéquate. La version du médecin en charge du dossier était qu’il ne suivait pas son traitement exprès pour pouvoir sortir. Un des problèmes est là, l’impossibilité dans laquelle se trouvent les détenus de faire confiance aux médecins de l’intérieur. La deuxième fois, j’ai été appelée par un avocat qui s’inquiétait pour son client amorphe. Je me suis donc présentée au centre avec l’avocat. On nous a d’abord refusés parce que nous n’avions pas suivi la procédure. L’avocat a obtenu, après beaucoup de discussions, que le client fasse une demande pendant que j’étais là. On m’a mise dans un parloir pour que je ne voie pas le patient pendant qu’il faisait sa demande. Puis il a fallu attendre que la demande parte à la direction et qu’elle en revienne. Puis on m’a autorisée à voir le patient dans le parloir. J’ai demandé un local adéquat à un examen médical. On est reparti demander à la direction où je pouvais le voir. Tout ça a pris 3 heures et j’avais mes autres consultations à faire ! On nous a fait traverser le Centre jusqu’à l’aile de l’infirmerie et on nous a conduits à un bureau où il n’y avait que des tables. J’ai dit que j’avais besoin de l’examiner couché. Le gardien partit chercher une autre salle et est revenu en disant que l’infirmerie n’était pas disponible… C’est une des façons subtiles d’empêcher les médecins d’accéder au centre.Il y a une autre façon, encore plus sensible. Si un médecin vient voir un détenu, ça veut dire qu’il doit prendre en charge tout le traitement, la responsabilité, le rappel en cas d’urgence, etc., mais aussi qu’il faut venir donner les médicaments sur place. C’est de l’intimidation. En cas de vacances le patient peut faire venir ton remplaçant, s’il y a eu demande nominale préalable. Et le suivi médical extérieur est au frais du patient. Tout ça rend objectivement impossible la prise en charge d’un détenu en Centre fermé. Le problème fondamental reste l’impossibilité de respecter l’éthique médicale en étant fonctionnaire de l’Office des Étrangers. La pathologie des gens se retourne contre eux. Le dernier cas que j’ai vu ne s’alimentait plus et il était considéré comme un manipulateur. Toute la problématique psychologique liée à l’enfermement est niée. Alors qu’ils sont dans une situation où leur santé mentale est attaquée. J’ai été aussi écœurée par le paternalisme honteux de certains membres de l’équipe médicale, les patients sont systématiquement tutoyés, traité sans respect, infantilisés… ".
Depuis la parution du livre de Chris De Stoop, Elles sont gentilles, Monsieur, en 1993, le rôle de la Belgique COMME plaque tournante du trafic d'êtres humains en Europe est connu. A l'époque, une commission parlementaire est mise en place. Une loi relative à la répression de la traite des êtres humains est adoptée le 13 avril 1995. Trois centres d'accueil spécialisés sont financés par le gouvernement fédéral depuis 1995: Payoke à Anvers (qui existait déjà), Pag-asa à Bruxelles et Sürya à Liège (créés en 1995). Les ASBL d’accueil ont été dotés de moyens plutôt dérisoires tant en terme d’encadrement de personnel que de capacité d’hébergement. En 1999, l’ASBL Sürya a fonctionné avec une capacité d’hébergement de 22 lits et avec un encadrement de 6 personnes pour un total de 170 dossiers pris en charge ! Début 2000, il a fallu un " cri au secours " médiatisé pour que la subsidiation déjà dérisoire soit reconduite. Le 7 juillet 1994, une circulaire prévoyait déjà différents moyens d'aider les victimes et de leur délivrer titres de séjour et autorisations d'occupation à certaines conditions; cette circulaire est modifiée et précisée le 13 janvier 97. D'après la circulaire de 1997, lorsqu'un service de police est convaincu qu'il est en présence d'une victime, il doit prendre les initiatives nécessaires pour que cette personne puisse être accueillie par un des centres spécialisés. Lorsqu'il n'en n'a pas la certitude, il doit organiser un entretien avec un intervenant d'un de ces centres. La circulaire de 1997 prévoit le processus suivant : 1) Première phase: lorsqu'une personne se déclare victime, accompagnement par un centre d'accueil spécialisé et délivrance d'un Ordre de Quitter le Territoire dans les 45 jours. Au cours de cette phase, la personne doit décider si elle souhaite ou non déposer des déclarations concernant les exploiteurs ou se préparer à un retour au pays d'origine. 2) Deuxième phase: la victime dépose plainte ou fait des déclarations et obtient un permis de séjour de 3 mois libellé sous la forme d'une déclaration d'arrivée. L'accompagnement par le centre d'accueil spécialisé est obligatoire. La victime peut bénéficier d'un permis de travail provisoire. 3) Troisième phase: délivrance d'un certificat d'inscription au registre des étrangers. Il s'agit d'un permis de séjour de 3 mois qui peut être renouvelé, octroyé si le Procureur du Roi fait suite à la déclaration, en actant qu'il s'agit bien d'un dossier traitant de la traite des êtres humains, et peut mettre en branle l'instruction. Durant toute la période de l'instruction un permis de travail B peut être obtenu. Si la plainte débouche sur une citation à comparaître devant le tribunal et si elle est considérée comme significative, une demande de permis de séjour pour une durée illimitée peut être introduite. La suite dépend du sort réservé à leur plainte en justice. Or il s’avère qu’un grand nombre de dossiers sont classés sans suite, parce qu’on n’arrive plus à remettre la main sur les exploiteurs , parce que pour certains magistrats complaisants, la prostitution est une chose dont la société s’accomode fort bien, parce que tout simplement la volonté politique n’y est pas. Ce classement sans suite intervient parfois très vite. En ce qui concerne les dossiers du secteur Horeca, la magistrature a tendance à les traiter dans le cadre de la répression du travail en noir et ne qualifie pas les faits de traite des êtres humains, oubliant le trafic d’êtres humains, la surexploitation, ce que certains appellent à juste titre l’esclavage moderne. Dans le cas de personnes détenues dans les centres fermés, le classement sans suite intervient parfois tellement vite que la personne est encore incarcérée, ce qui empêche sa prise en charge par un service spécialisé. Il faut conclure qu’il n’y a pas de volonté gouvernementale réelle de mettre en place des outils efficaces contre la traite des êtres humains : les victimes sont criminalisées et incarcérées au lieu d’être protégés, les moyens mis à la disposition des ASBL d’accueil sont dérisoires, le choix se porte plutôt sur les centres fermés que sur les centres d’accueil. La répression s’abat généralement sur les victimes et non sur les exploiteurs. La lutte contre la traite des êtres humains est conçue dans le cadre de la lutte contre l’immigration illégale et non dans le cadre du respect des droits humains les plus élémentaires. - Annexe 8 - - Annexe 9 - Extraits de l’arrêt du Conseil d’État No 77847 du 28 décembre 1998. Considérant, sur la première branche, que le Commissaire général adjoint s’est fondé sur le compte-rendu de l’examen radiologique pratiqué le 8 octobre 1997, à la demande de l’Office des étrangers, au service de radiologie |
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Plus sans papiers Ecrit par: Collectifs.Net Article le plus lu sans papiers: Bilan du fonctionnement du centre fermé de Vottem
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