PAGE 1: GARDONS LES PIEDS SUR TERRE "L'ARGENTINE peut-elle sortir du chaos ?". Cette pressante question ornait sur quatre colonnes la une du quotidien Le Monde du 3 janvier 2002. Pourquoi pas le Brésil, la Corée ou le transport en Ile de France? Et pourquoi pas "Le chaos peut-il sortir d'Argentine ?". Il faudrait alors supposer qu'il puisse s'établir ailleurs. Or il est déjà partout : Afghanistan, Moyen-Orient, élections américaines, justice, économie mondiale qui par l'accumulation de richesses augmente le champs de la pauvreté etc. Pas un continent, pas un pays, pas une ville n'échappent sur l'ensemble de la planète, au chaos économique, politique et social. "L'Argentine peut-elle sortir du chaos ?". Deux possibilités s'offrent à l'esprit dès lors que s'impose l'impérieuse nécessité d'une réponse affirmative. La première est utopique : pour sortir du chaos, l'Argentine devrait quitter la Terre. Seule la second est, quoi que difficile, réalisable. Les Argentins, comme le reste des Terriens, n'ont d'autre solution, pour "sortir" du chaos, que de le détruire en bâtissant pierre à pierre un ordre véritablement humain. Un tel ordre suppose l'égalité économique, sans laquelle il ne peut y avoir qu'une prétendue "égalité devant la loi"et en dehors de laquelle la liberté politique n'a d'autre réalité que celle d'un hochet idéologique. C'est dans cette direction, quelque peu oubliée, que nous devons nous efforcer de faire tendre les énergies de la rébellion. Libérer le travail humain du joug capitaliste. PAGE 6: LES "BLACK BLOCS" ET LEURS LIMITES L'appellation "Black blocs"aurait été inventée par la police allemande dans les années 80 pour désigner les groupes "autonomes" qui manifestaient avec violence. La presse a de nouveau employé cette expression lors des manifestations américaines en opposition à la guerre dite "du Golfe", en 1991. Finalement, ceux que ce terme montrait du doigt l'ont repris à leur compte pour qualifier leur mode d'organisation en petits groupes et leur apparence : cagoules, foulards et vêtements souvent de couleur noire. C'est seulement à partir des événements de Seattle, en 1999, que l'appellation "Black blocs"a été employée régulièrement pour désigner les auteurs d'actions violentes et rapides dirigées contre les capitalistes et les représentants des états les plus industrialisés réunis en "sommets". Certains Black blocs, qui se font et se défont au gré de ces manifestations, se réclament des idées anarchistes. D'autres se définissent plutôt selon un patchwork de revendications contestataires. Durant les années 90, des groupes aux bagages idéologiques plus affirmés se fixaient un objectif d'autodéfense. Il s'agissait d'empêcher les forces de police d'arrêter des manifestants. Ou bien, de "libérer", pour un temps plus ou moins long, une rue, un quartier -ce qu'ils appellaient des "zones autonomes temporaires"- de toute représentation étatique. Plus récemment quelques-uns des Black blocs se sont engagés dans l'action violente systématique, dirigée contre des symboles capitalistes comme les banques ou les grands magasins. Ceci rappelle les méthodes des "autonomes" qui n'avaient d'autre tactique, tels des gamins jouant aux cow-boys, que l'action violente de rue et l'affrontement avec la police pour s'attaquer à la puissance étatique. Les Black blocs, dont le mode de regroupement temporaire, groupusculaire, plus ou moins spontané, est axé vers la bagarre de rue et le harcèlement de la police, ne prennent pas le chemin d'une stratégie constructive capable de favoriser l'émergence d'un mouvement composé d'organisations libertaires qui se donneraient les moyens théoriques et pratiques de combattre le système d'oppression constitué par le capitalisme et l'Etat. Ils montrent ainsi leurs limites, leur vision réductrice de l'action directe ou de la propagande par le fait, leur manque de vision dans la construction d'un avenir meilleur pour l'humanité. Les pouvoirs financiers et politiques ne seront pas déstabilisés par des actions de casse limitées, à prétentions révolutionnaires, provoquées par de petits groupes sans assise populaire, aux cours de "manifs" aux revendications réformistes. Tout au plus un gouvernement pourrait-il "tomber", si une révolte de grande intensité éclatait, comme en Argentine ces derniers jours. Dans un tel cas, d'ailleurs, ces petits groupes n'auraient qu'une influence minime dans la propagation d'une révolte suscitée par le ras-le-bol d'une population économiquement désenchantée, après quelques années d'une relative et artificielle prospérité. N'oublions pas que le Pouvoir s'est bâti, renforcé, grâce aux violences guerrières et économiques, génératrices de profits et de domination. Ce système autoritaire a l'expérience de la violence, des manipulations de toutes sortes à l'encontre de la population. Même confronté à une situation de révolte qui lui échappe un certain temps, si celle-ci n'est pas soutenue par un mouvement révolutionnaire conséquent, il arrive à rétablir sa domination. C'est comme cela que fonctionne et perdure ce régime barbare qu'est le capitalisme. Les évènements de Gènes, cet été, ont montré que les affrontements pouvaient être utilisés, voire provoqués, par les exploiteurs. Leurs agents de désinformation, les médias, en ont profité pour tenter de discréditer un mouvement de contestation d'importance internationale qui dérange, par son mérite à les rendre visibles, les projets économiques mondiaux des puissants de la planète. Sans toutefois les contrecarrer, car cette contestation est orientée vers la réforme du système de l'exploitation de l'homme par l'homme, non son éradication. Les représentants de la gauche européenne, en criant "sus aux casseurs!", ont en fait renforcé cette illusion largement provoquée qu'on avait, à Gènes, assisté à une catastrophe. Et qu'elle aurait mise en péril les réformes proposées, susceptibles d'être retenues par les capitalistes, finalement devenus compréhensifs. Quant aux anarchistes, ils devraient savoir -s'ils veulent absolument s'impliquer dans des actes de violence- qu'ils peuvent être sujets à manipulations et provocations. Il est apparu à Gènes que les Black blocs, libertaires ou autres, s'étant formés pour l'occasion, n'étaient pas préparés et organisés pour les déjouer et les rendre inopérantes. Limiter le champ de l'action aux "manifs", à la casse de dimension groupusculaire aboutit à l'impasse. C'est sur les lieux où sévit l'exploitation, plus que dans la rue, que l'anarchisme trouvera le terrain où se développer. C'est au sein d'associations de toutes sortes, de groupes coopératifs, fédérés entre eux, poursuivant un but commun que les libertaires montreront leur capacité à construire un monde civilisé, égalitaire et solidaire. Crocquant