Le retour du "complot juif"

Alimentée par l'intifada, la propagande "antisémite" prend de l'ampleur dans la presse palestinienne mais également dans celle des Etats voisins.

Le prochain succès cinématographique égyptien est intitulé "Les Matzot de Sion". Son tournage commence bientôt et s'il n'est pas assuré de poursuivre une carrière internationale, il trouvera probablement un public passionné dans les pays voisins d'Israël. Produit au Caire par Mounir Adhi, ce film relate, à sa manière, l'histoire du mystérieux assassinat du curé Thomas et de son bedeau en 1840, à Damas. A l'époque, ce récit avait choqué la population syrienne, et les dirigeants de la communauté juive locale avaient été accusés d’avoir commandité ce double crime afin d'utiliser le sang des deux victimes dans la confection du pain azyme.

Cette affaire sordide et mensongère a été remise à l'ordre du jour en 1983, lorsque Moustafa Tlass, le ministre syrien de la Défense de l'époque (qui se targuait également d'être un historien), a publié un livre intitulé "Les Matzot de Sion". Cet ouvrage à prétention historique entendait valider la thèse antisémite de 1840. Interviewé ensuite par l'hebdomadaire allemand "Der Spiegel", son auteur (proche de l’ancien président Hafez el-Assad) affirmait même détenir des documents probants "découverts en France, en Autriche, aux Etats-Unis et au Liban". Personne n'a jamais vu ces archives secrètes qui n'existent, semble-t-il, que dans l'imagination du responsable de la Défense syrienne. En revanche, le contenu de son livre a été tellement apprécié dans le monde arabe qu'il servira de base à un film, dont le script a été rédigé par l'écrivain palestinien Hassan Sami Youssouf.

Selon son producteur, "Les Matzot de Sion" (dont le rôle principal sera confié à Omar Sharif) sera "la réponse arabe à l'industrie cinématographique américano-sioniste du film et tout particulièrement au film la "Liste de Schlinder" qui justifie le fait que les Juifs se sont installés en Palestine". Il n'est en tout cas qu'un exemple parmi de nombreux autres de la propagande antisémite qui se développe actuellement au sein du monde arabe. Certes, celle-ci a toujours existé depuis 1948 et les régimes en place l'ont toujours utilisée avec plus ou moins d'intensité pour détourner l'attention de leur opinion publique des problèmes intérieurs. Cependant, la signature de la paix israélo-égyptienne au début des années 80, les accord de paix israélo-palestiniens d'Oslo (1993) et la paix avec la Jordanie (1994) n'ont rien changé. En Egypte, la presse (contrôlée par le pouvoir) multiplie ses "scoops" sur de prétendus "complots du Mossad". Ainsi, par exemple, celui d'agents israéliens qui répandraient le Sida "grâce à des chewing-gum empoisonnés".

Les caricatures typées (nez et doigts crochus) sont également nombreuses dans la presse arabe. Surtout dans le quotidien officiel syrien "Tichrin", qui publie régulièrement des articles révisionnistes, mais également dans les journaux palestiniens. A Ramallah, on trouve facilement le "Protocole des Sages de Sion" traduit en arabe. Et à Aman, "Mein Kampf", également traduit, est en vente dans tous les kiosques.

Holocauste, connais pas
Depuis l'élection d'Ariel Sharon, les allusions antisémites se sont multipliées dans la presse arabe. Quant à la presse palestinienne, elle garde une certaine réserve sur ce sujet tout en multipliant les appels à poursuivre l'intifada. Il n'empêche que l'Autorité palestinienne n'est pas exempte de critiques puisque Abou Mazen (le dauphin d'Arafat) a écrit une thèse de doctorat consacrée aux "relations secrètes entre les nazis et la direction du mouvement sioniste" dans laquelle il affirme que cette dernière a eu intérêt à gonfler le nombre des victimes de la Shoa pour arriver à ses fins (la création d'un Etat juif).

On retrouve ce genre d'argument dans les médias palestiniens où l'on écrit régulièrement que contrairement à l'Islam, "le judaïsme n'est pas une religion au vrai sens du terme". Et où l'on présente, comme l'a fait le quotidien "Al Ayat Al jedidah" du 18 février 1999, l'institut Yad Vashem (Jérusalem) comme "le centre juif du mensonge". Autre exemple : le 29 novembre 2000 (l'intifada déclenchée deux mois plus tôt battait alors son plein), la télévision officielle palestinienne a commémoré l'anniversaire du vote de l'ONU partageant la Palestine en deux en diffusant une émission spéciale consacrée au sujet. Pour l'occasion, le docteur Assam Sissalem (Université islamique de Gaza) dénonçait "le mensonge des réclamations juives. Tout cela est sans fondement, affirmait-il. Il n'y a jamais eu de Chelmno, de Dachau et d'Auschwitz. C'étaient juste des centres de désinfection (...) Ils essayent de faire croire qu'ils étaient persécutés et assassinés pour créer cette entité étrangère sur la terre où vivaient nos ancêtres". Ce qui explique sans doute pourquoi une centaine d'intellectuels palestiniens se sont réunis à Gaza pour soutenir le philosophe français Roger Garaudy, lorsque ce dernier a été jugé pour révisionnisme.

Des livres trafiqués
Les livres scolaires sont l'un des vecteurs par lesquels les thèses antijuives (Israël est présenté comme une entité satanique préparant la conquête du monde) sont transmises dans les pays arabes. En Palestine, ce phénomène commence à changer gr,ce, entre autres, à la Belgique et à l'Italie qui financent l'édition de nouveaux manuels totalement expurgés de toute référence douteuse. Cependant, il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine. En avril 2000 (au moment où Israël et l'Autorité palestinienne semblaient encore en mesure de conclure un accord de paix permanent mettant fin au conflit dans la région), les responsables de l'éducation égyptien, jordanien, marocain et israélien se sont rencontrés à Chypre dans le cadre d'un symposium consacré au "renforcement de la paix par l'éducation."

A l'époque, cette réunion n'intéressait pas les médias, qui préféraient concentrer leur attention sur le pèlerinage du pape en Terre sainte. Au cours des échanges ministériels qui se tenaient à huis clos à Chypre, Anis Al-Qak, le sous-secrétaire d'Etat palestinien à la Planification et à la Coopération internationale, a reconnu "qu'il sera difficile d'éliminer les expressions antisémites du cursus scolaire des jeunes palestiniens". Dans la foulée, Yossi Sarid, leader du Meretz et ministre de l'Education dans le gouvernement d'Ehoud Barak, lui a proposé une collaboration en ce sens, laquelle a été acceptée. Pas pour longtemps car, de retour à Ramallah, Al-Qak a été obligé de faire marche arrière en raison des violentes critiques dont il était l'objet dans la presse locale. Le docteur Moussa Al Zoubout, président de la Commission de l'Education du Conseil national palestinien (l’embryon du parlement du futur Etat) a fermement remis Al-Qak à l'ordre en réaffirmant la ligne officielle en la matière : "L'Holocauste a été exagéré pour présenter les Juifs comme des victimes d'un crime de masse, déclarait-il alors. Ils veulent justifier de la sorte leur présence sur le sol de Palestine et leur droit aux compensations".

Lior SEGAL, avril 2001